Réaction

PQ, parti de(s) régions

Je ne peux pas vous dire à quel point je suis heureuse du fait que Catherine Fournier, députée de Marie-Victorin (à Longueuil), ait quitté le Parti québécois! Non non, ce n’est pas ce que vous croyez!

Je ne dis pas ça pour des raisons partisanes: c’est parce qu’on peut maintenant affirmer sans réserve que le PQ est le parti des régions (ou un parti de régions).

Les détours à prendre pour qu’une analyse soit rigoureusement exacte —c’est-à-dire contienne toutes les nuances nécessaires pour représenter la situation sans généralisation hâtive— m’ont paralysée au point que j’ai trouvé dans mes dossiers deux brouillons de billets sur la répartition géographique des voix: un avant et un après avoir reçu les résultats du scrutin! Et bien sûr, aucun des deux n’a été publié.

Je remercie donc Catherine du fond du cœur d’avoir initié le déblocage qui fait que, ce soir, je sors de mon hibernation post-électorale et que je vous parle finalement des dix régions sociologiques de Pierre Drouilly. Je ferai toutefois avant un détour par un article de la Presse canadienne sur le programme du Parti québécois qui était malheureusement passé plutôt inaperçu cet été.

Disparu (pour l’instant) des grandes villes

Je dois l’avouer: je n’ai pas immédiatement fait le lien en entendant l’annonce. C’est plutôt en voyant ce meme mis en ligne par une page Facebook très partisane pro-Québec solidaire:

L'ensemble des député-e-s péquistes du Grand Montréal quitte le PQ
Source: Québec solidank, Facebook, 11 mars 2019

C’est là que j’ai réalisé que l’astérisque venait de disparaître, qu’on pouvait le dire de manière toute simple: le Parti québécois est présentement le parti des régions.

Heureusement, le parti l’avait vu venir et avait prévu le coup dans son programme. C’était ce que titrait la Presse canadienne au regard de son analyse des «données lexicales» de celui-ci: «Le PQ place l’État et les régions d’abord et l’indépendance se fait discrète»1.

Pour ce projet, la stagiaire en journalisme de données de la Presse canadienne, Shannon Pécourt, avait compté le nombre d’occurrences de chaque mot dans le programme. (Pas à la mitaine, là, sans doute avec un logiciel d’analyse qualitative assistée par ordinateur ou logométrique.)

L’article relevait la phrase prémonitoire suivante, que le parti a par ailleurs utilisé à plusieurs autres endroits dans ses communications: «Le Parti Québécois (sic) a toujours été et demeure le parti des régions»2.

Au palmarès des mots les plus souvent employés, la Presse canadienne a trouvé que «région» et «régions» arrivaient respectivement au 12e et au 13e rangs. (Oui oui, ils ont été comptés séparément…)

Le résultat avait surpris le politologue consulté, Thierry Giasson, de l’Université Laval. Il y a vu une démonstration du fait que les péquistes avaient conscience des difficultés qui les attendaient: «Ils savent qu’ils vont probablement avoir des luttes serrées en Abitibi, dans le bas du fleuve, dans Lanaudière, etc.» Finalement, le PQ les a toutes perdues sauf Rimouski et Joliette, où Harold Lebel et la vice-chef Véronique Hivon ont respectivement tenu le coup.

Le repli de la députation péquiste dans les régions concorde tout à fait avec l’analyse du sociologue Pierre Drouilly en 2012 dans son article «La structure des appuis aux partis politiques québécois, 1998-2008». C’est donc l’occasion pour moi de finalement vous parler de comment il propose de diviser le Québec pour les fins d’analyse électorale.

Du journalisme de données?

Je me permets avant une courte aparté. L’article de la Presse canadienne est passé beaucoup plus sous le silence que je ne l’aurais cru, surtout au sein de la communauté des tripeux de données électorales. Toutefois, j’ai souri tantôt en relisant le terme «données textuelles».

Je suis historienne du livre et je monte des bases de données à partir desquelles j’effectue des visualisations de données.

Ainsi, à titre de digital humanist, je trouve l’analyse proposée extrêmement superficielle: ce n’est normalement que le point de départ en stylométrie ou en topic modelling. Les occurrences de mots de la même famille n’ont même pas été combinés, malgré le fait que les notes méthodologiques précisent que «[l]’analyse lexicale implique ensuite de regrouper les mots significatifs selon différents thèmes auxquels ils sont reliés»!

Saluons tout de même la présence de notes méthodologiques, encore beaucoup trop rares en journalisme de données. J’ai également apprécié le fait que le programme ait été analysé sur le plan strictement textuel, sans interférence provenant de l’analyse des considérations tactiques. (Là, c’est probablement la littéraire qui parle.)

Les dix régions du Québec

J’ai déjà parlé de l’article de Drouilly en discutant d’abstention. J’ai aussi mentionné au passage sa proposition principale, la division du Québec en dix régions sociologiques, en présentant les trois «régions» de Montréal dans le billet qui abordait la vidéo de la campagne de Québec solidaire dans Jeanne-Mance—Viger.

Revoici les 27 circonscriptions montréalaises de la carte de 2017 réparties dans les trois régions sociologiques de Drouilly: l’Ouest de Montréal anglophone en rouge, l’Est francophone en bleu et le Nord-est allophone en jaune.

Sources: «Fichiers de la géométrie des circonscriptions électorales du Québec (2017)». Élections Québec. Consulté le 26 septembre 2018; Drouilly, Pierre. «La structure des appuis aux partis politiques québécois, 1998-2008». Dans Les partis politiques québécois dans la tourmente: Mieux comprendre et évaluer leur rôle, 131‑68. Québec: Presses de l’Université Laval, 2012.

Le Québec hors de l’île de Montréal est donc divisé en sept régions. Les banlieues métropolitaines sont séparées en deux régions parce que sinon, elles formeraient une région beaucoup trop grosse. Drouilly les appelle les Basses-Laurentides et la Montérégie, bien que ses régions sociologiques ne correspondent pas parfaitement aux regroupements administratifs du même nom.

Le Grand Montréal compte ainsi cinq régions, il en reste cinq pour le reste du Québec.

La Capitale-Nationale et Chaudière-Appalaches sont réorganisés en «Québec réfractaire» pour la ville de Québec et ses banlieues (c’est le terme à Drouilly, pas le mien!) et en «Québec tranquille» pour la Beauce. Ensuite, si on simplifie, l’Outaouais et l’Estrie sont réunis en un «Québec frontalier», puis le Centre-du-Québec et la Mauricie donnent le «Centre du Québec» (très original, je sais).

Tout le reste du Québec, donc toutes les régions éloignées, se retrouve dans le «Québec septentrional». Si vous ne vous souvenez plus de votre géographie secondaire II, «septentrional», c’est l’adjectif qui veut dire «du Nord».

Le Québec septentrional

Pour décrire le Québec septentrional, Drouilly souligne «le niveau plus élevé de politisation qu’on y rencontre, plus élevé que pour des populations ailleurs au Québec qui ont un niveau d’éducation semblable». En revenant sur l’histoire économique et sociale des régions éloignées, Drouilly explique pourquoi, en ajoutant qu’elles sont «une terre fertile pour le PQ: forte présence ouvrière et longue histoire de luttes sociales»3. Certaines régions, comme la Côte-Nord et le Saguenay—Lac-Saint-Jean, deviennent des châteaux forts du parti dès son entrée en scène.

En conclusion de son article, Drouilly fait remarquer qu’à l’élection de 2007, qui avait porté le Parti libéral du Québec au pouvoir et relégué le PQ en Deuxième Opposition officielle derrière la défunte Action démocratique du Québec (ADQ), le PQ en était à ses derniers retranchements: «il n’en reste [de l’alliance politique des années 1970] que les milieux populaires de l’Est de Montréal, les régions défavorisées du Québec septentrional et le groupe déclinant des boomers banlieusards»4.

À l’automne dernier, ce qui restait de péquiste dans les milieux populaires de l’Est de Montréal a déserté pour Québec solidaire (Rosemont et Hochelaga) et pour la Coalition avenir Québec (Pointe-aux-Trembles et Bourget). On ne sait pas si ce sont les «boomers banlieusards» de Longueuil qui ont élu Catherine Fournier ou un autre groupe démographique, mais il n’y avait qu’elle qui avait survécu au tsunami caquiste dans le 450.

Il ne manque donc plus qu’à Véronique Hivon de démissionner pour que le Parti québécois soit entièrement retranché dans le Québec septentrional. Toutefois, comme montréalo-centriste, je me permets de considérer Joliette comme étant en région, donc je n’ai pas de problème à affirmer sans ambage que le Parti québécois n’est qu’un parti de régions.

Réalignement?

Après avoir décrit la situation en 2007, Drouilly avait émis une hypothèse: cette élection aurait marqué un passage «d’un système d’opposition “fédéraliste/souverainiste”, à un système d’opposition “fédéraliste/autonomiste” qui nous aurait ramenés aux années 1950»5. Il rejette toutefois aussitôt cette hypothèse. En effet, dès l’élection suivante, celle de 2008, l’ADQ s’est effondrée, rétablissant le bipartisme qui positionne libéraux contre péquistes depuis la création du parti de René Lévesque.

On le sait maintenant, Drouilly avait tort de voir dans l’élection de 2008 un rétablissement à la situation initiale. On assiste bel et bien depuis une quinzaine d’années à un réalignement du système politique sur un axe qui reste toujours à définir (droite/gauche? identitaire/ouvert?).

Une chose demeure certaine: nous n’assistons pas à un retour à l’opposition des années 1950 entre fédéralistes et autonomistes! Les lignes de fracture ont bougé, et la CAQ a réussi son pari de reléguer le débat constitutionnel aux calendes grecques.

Notes

Réaction

Société distincte, satire et science politique

À mon humble avis, c’est Peter Taylor dans le Beaverton, un site de nouvelles satirique pan-canadien, qui a le mieux remis en perspective l’élection de lundi1:

After decades of claiming to be a society distinct from the rest of North America, Quebec went and did the same damn thing as Ontario and the USA […] electing to a majority a party of xenophobic right wing populists2.

Certes, la Coalition avenir Québec (CAQ) est moins ouvertement xénophobe que Donald «Mexicans are rapists»3 Trump. On note toutefois la même frustration à être contraint par les tribunaux dans l’ouverture du premier ministre désigné François Legault à utiliser la clause dérogatoire, à l’instar du premier ministre ontarien Doug Ford.

En Ontario, la manœuvre avait pour objet de réduire le nombre de sièges au conseil municipal de Toronto4. Au Québec, Legault a soulevé dès sa première conférence de presse, au lendemain de l’élection, la possibilité de s’en servir pour interdire aux gens en position d’autorité de porter des symboles religieux5.

Société distincte?

Si le Québec se joint à ses voisins anglophones en élisant un populiste de droite, il se distingue néanmoins en ce que son nouveau premier ministre n’appartient pas à l’un des deux partis qui s’échangent le pouvoir depuis les années 70.

Caricature de Pascal dans Le Devoir pour le 3 octobre 2018: Comment ça, «les vieux partis»?
Source: Pascal. Le Devoir. 3 octobre 2018.

Ça n’en fait pourtant pas une société distincte à l’échelle occidentale: on a observé la chute des «vieux partis» en France, en Allemagne, en Suède et aux Pays-Bas. Le phénomène n’est néanmoins pas universel en Occident. Il existe notamment des contre-exemples anglo-saxons.

En Australie et en Nouvelle-Zélande, les partis travaillistes (Labour Party), partis traditionnels du centre-gauche, ont augmenté leurs appuis aux dernières élections. Au Royaume-Uni, tant les travaillistes que les conservateurs ont obtenu une plus grande part du vote populaire, quoique seuls les travaillistes ont augmenté leur nombre de sièges.

Où s’inscrit l’élection québécoise dans le contexte occidental? Ce qui nous semble sans précédent le demeure-t-il lorsqu’on compare notre nouvelle donne à la situation en France et en Allemagne, par exemple?

Dans cet esprit, j’aborderai tout d’abord la monté de l’extrême droite et la chute des partis traditionnels dans ces deux pays européens. Ensuite, je vous présenterai ce que les politologues ont à dire sur la reconfiguration de l’espace politique en France. Pour conclure, j’amorce une analyse analogue de la situation au Québec.

Montée de l’extrême droite?

Marine Le Pen, chef du parti de l’extrême-droite en France —le Front national récemment renommé Rassemblement national— a salué la victoire caquiste sur Twitter en partageant une capture d’écran d’un article du Parisien:

Contrairement à ce que serinaient les libéraux immigrationnistes béats, les Québécois ont voté pour moins d’immigration. La lucidité et la fermeté face au défi migratoire est le point commun des élections de quasiment tous les pays du monde confrontés à cet enjeu6.

Legault n’a toutefois pas apprécié l’accolade virtuelle du personnage honnis de la politique française:

Je rejette toute association avec Mme Le Pen. Les Québecois sont accueillants et généreux. Nous allons accueillir des milliers d’immigrants chaque année, mais nous allons le faire d’une façon qui favorise l’intégration. On va en prendre moins, mais on va en prendre soin7.

On suppose que la CAQ ne s’imagine pas non plus cousine du parti d’extrême-droite allemand Alternative für Deutschland (Solution de rechange pour l’Allemagne), qui avait atrocement conjugué natalisme et xénophobie dans cette publicité sur fond de musique rock:

Merkel sagt, wir brauchen die Einwanderer. Wir sagen: „Neue Deutsche?“ Machen wir selber8.

On pourrait ajouter le Brexit aux manifestations de la montée de l’extrême-droite en Europe, quoique les résultats ont été presque aussi serrés qu’au référendum québécois de 1995.

Je ne crois toutefois pas que l’élection de la CAQ participe du même phénomène. D’après Xavier Camus, l’extrême-droite québécoise serait plutôt au parti Citoyens au pouvoir, qui a obtenu 0,34% grâce à ses 56 candidatures9.

Chute des partis traditionnels

Là où le résultat de lundi s’inscrit dans une mouvance occidentale, selon moi, est en matière de chute des partis traditionnels.

Un parti de droite —l’Action démocratique du Québec (ADQ), remplacée par la CAQ, en mauve— et ensuite un parti de gauche —Québec solidaire, en orange— ont émergé avec suffisamment d’importance sur la scène provinciale pour mener à la chute des partis centristes.

En 2007, l’ADQ a été élue opposition officielle, reléguant le Parti québécois (PQ) à la troisième place. C’était une première brèche. Plus d’une décennie plus tard, Québec solidaire sortait des confins de l’est de Montréal et faisait élire un total de 10 personnes députées, soit une de plus que le PQ.

Au Québec, les partis centristes que sont le PQ (centre-gauche) et le Parti libéral du Québec (centre-droit) avaient également la particularité d’être les garants des pôles opposés —respectivement souverainiste et fédéraliste— sur la question nationale, qui a été centrale depuis la première élection du PQ.

Der Untergang

En Allemagne, les partis traditionnels sont, au centre-gauche, les sociaux-démocrates (Sozialdemokratische Partei Deutschlands ou SPD) et, à droite, les chrétiens démocrates d’Angela Merkel (la Christlich Demokratische Union ou CDU) et son pendant bavarois, la Christlich-Soziale Union ou CSU.

Il existe également un parti de centre-droit, les libéraux démocrates (Freie Demokratische Partei ou FDP), mais il n’a jamais obtenu plus de 15% depuis 1949.

L’Allemagne utilise un mode de scrutin proportionnel mixte compensatoire avec un seuil minimal de 5% pour obtenir des sièges. Cela signifie que tous les partis qui obtiennent au moins 5% des voix reçoivent une proportion de sièges presque identiques à la proportion des voix obtenues.

C’est le système que les partis d’opposition, incluant la CAQ, s’étaient engagés à implanter.

L’utilisation d’un mode de scrutin proportionnel depuis 1949 (du moins en Allemagne de l’Ouest) n’a pas empêché l’alternance du pouvoir entre deux partis de gouvernement, parfois alliés à des petits partis, d’autres fois ensemble en «grande coalition».

Dans le graphique ci-dessous, la ligne noire montre les résultats combinés des chrétiens démocrates et chrétiens sociaux (CDU/CSU) et la ligne rouge, les résultats des sociaux démocrates (SPD). Pour ces partis, les pourcentages représentent tant la proportion du vote populaire que la proportion de sièges.

Les libéraux démocrates (ligne jaune) n’ont pas atteint le seuil de 5% en 2013 et donc n’ont pas eu de députation fédérale pendant quatre ans, mais ils sont de retour depuis 2017.

Résultats électoraux en Allemagne depuis 1949
Source: San Jose et Flone (vectorisation). 2 octobre 2009. Wikimedia Commons.

En arrière-plan, on retrouve les couleurs des coalitions. En haut, on constate qu’elles ont toujours inclus au moins un des deux mêmes grands partis. Dans le dégradé qui suit en descendant, on voit les couleurs de leur(s) partenaire(s). Les noms des partis participant au gouvernement sont également indiqués au milieu du graphique.

On constate que les deux grands partis chutent tranquillement depuis le milieu des années 1980, comme au Québec. Au final, en 2017, CDU/CSU ont obtenu leur pire score depuis 1953 et le SPD, depuis au moins 1949.

Contrairement au Québec, cet effondrement des grands partis ne s’est toutefois pas traduit par la prise de pouvoir d’un autre parti. Alternative für Deutschland, l’extrême-droite, est néanmoins arrivé troisième (ligne bleue).

Des partis de gouvernement devenus tiers partis, on en trouve toutefois en France.

Fin du bipartisme

Logo du Parti socialiste (France)

Logo du Labour Party (Royaume-Uni)

En France, les partis traditionnels sont le Parti socialiste ou PS (centre-gauche) et une entité qui a beaucoup changé de nom au cours des dernières années, maintenant appelée Les Républicains (droite). L’emblème du PS est la rose, tout comme le Labour Party au Royaume-Uni.

Comme en Allemagne, le centre-droit est représenté en France par de plus petits partis comme le Mouvement démocrate (MoDem) de François Bayrou et l’Union des démocrates et indépendants (UDI) de Jean-Louis Borloo.

Les élections françaises se font en deux tours. Toutes les candidatures se présentent au premier tour. Au second tour de l’élection présidentielle, l’électorat n’a le choix qu’entre les candidatures qui se sont classées première et deuxième au premier tour10.

Jean-Marie Le Pen devant une affiche de sa fille Marine Le Pen
Source: MaxPPP/Nice Matin/Cyril Dodergny. Publié sur la page de Domenach, Hugo. «Jean-Marie Le Pen, le boulet du FN?». Histoires politiques. France Inter, 30 avril 2015.

La fracassante apparition du Front national (FN) sur la scène nationale en France s’est faite en 2002: Jean-Marie Le Pen, le père de l’autre, avait causé la surprise en dépassant le candidat socialiste au premier tour de la présidentielle (16,9% contre 16,2% pour Lionel Jospin).

Quinze ans plus tard, c’était au tour de sa fille d’atteindre le second tour. Cette fois, c’était pris pour acquis depuis environ un an que le FN y serait11. Comme au Québec, donc, le parti de droite émergent a obtenu des succès électoraux avant que la gauche de la gauche n’en obtienne.

Le système présidentiel français, comme celui des États-Unis, permet à des personnes de se présenter sans être clairement affiliées à un parti politique. Ainsi, la gauche de la gauche était représentée aux dernières présidentielles françaises par Jean-Luc Mélenchon.

Candidat de la coalition Front de gauche à la présidentielle de 2012, Mélenchon propose plutôt en 2017 une «candidature hors parti» en lançant le mouvement France insoumise (FI)12. C’est davantage une posture qu’une réalité concrète puisque FI est en fait inscrit comme parti politique13.

En avril 2017, aucun des deux partis de l’alternance du pouvoir en France, le Parti socialiste et la droite caméléon, n’a atteint le second tour.

Comme on peut le constater dans le graphique ci-dessous, en mars 2017, à un mois du scrutin, Mélenchon (ligne rouge) a dépassé dans les sondages le candidat socialiste, Benoît Hamon (ligne rose). Il finira loin devant au premier tour (20% contre 6%), à quelque 150000 voix de François Filion (ligne bleue), le candidat de centre-droit (sous l’étiquette Les Républicains).

Évolution des intentions de vote à l’élection présidentielle 2017
Source: Jybernard. Évolution des intentions de vote à l’élection présidentielle 2017. 2 mars 2017. Wikimedia Commons.

Celui qui a finalement remporté la présidentielle en devançant Marine Le Pen (ligne noire) au premier et au deuxième tour est un autre candidat hors parti: Emmanuel Macron (ligne jaune), qui a obtenu l’appui des centristes Bayrou et Borloo.

À un an des élections présidentielles, Macron a fondé le mouvement En marche (remarquez les initiales EM qui sont reproduites). Juridiquement, il s’agit d’un parti politique qui s’appelle Association pour le renouvellement de la vie politique14.

Nouvelle donne

Certains ont qualifié Macron d’«extrême-centre»15, d’autres l’ont situé dans le quadrant pro-immigration (ou cosmopolite), libertarien, productiviste et néolibéral d’un plan avec deux axes.

Pour résoudre la question, les politologues peuvent examiner l’enquête post-électorale 2017 French Election Study (FES 2017). Bien évidemment, les mêmes données peuvent se prêter à plusieurs interprétations différentes.

Pierre Bréchon y voit la preuve que le clivage gauche—droite n’est pas mort, puisque Macron se situe effectivement au centre.

Positionnement sur l’axe gauche—droite des principales candidatures à la présidentielle française de 2017
Source: Bréchon, Pierre. «Paysage après la bataille présidentielle: la gauche et la droite, même pas mortes!» The Conversation, 20 septembre 2017.

Par contraste, Florent Gougou, l’un des auteurs de la FES 2017, et Simon Persico y voient une reconfiguration de l’espace politique français en deux axes, le retour du «quadrille bipolaire» de Duverger.

Diagramme du nouveau système multipartite en France selon Gougou et Persico
Source: Gougou, Florent et Simon Persico. «A New Party System in the Making? The 2017 French Presidential Election». French Politics 15, no 3 (1 septembre 2017): 313, figure 2.

Dans ce nouveau système multipartite, plutôt que d’avoir uniquement un axe droite—gauche, il y aurait deux axes:

axe horizontal (sur le graphique):
le pôle nationaliste (anti-immigration) et authoritaire s’opposerait au pôle cosmopolite (pro-immigration) et libertarien;
axe vertical (sur le graphique):
le pôle productiviste et néolibérale (pro-mondialisation) —qu’on pourrait aussi appeler la droite économique— s’opposerait au pôle écologiste et interventionniste (anti-mondialisation), qu’on associe à la gauche économique.

Dans l’enquête post-électorale, six valeurs ont été mesurées chez les personnes sondées:

  • autoritarisme;
  • écologisme;
  • ethnocentrisme;
  • mondialisation économique;
  • libéralisme économique;
  • conservatisme social.

Le positionnement de l’électorat de chaque personne candidate a permis de la situer dans l’espace politique.

Notons que les lignes de fracture identifiées par Gougou et Persico occultent le clivage eurosceptique—europhile que soulignent les journalistes. À cet effet, une proposition pour promouvoir les symboles de l’Union européenne serait devenue l’année dernière:

symbolique à l’heure où le clivage gauche-droite perd de sa vigueur et que certains voudraient lui substituer celui entre pro et anti-européens16.

Mon amie Claire me soulignait que ces questionnements par rapport à l’entité au-dessus n’est pas sans rappeler la problématique des relations entre le Québec et le Canada.

Un quadrille bipolaire québécois?

Gougou et Persico sont parvenus à la conclusion d’un retour au quadrille bipolaire —plutôt qu’une tripolarité ou juste quatre blocs— en posant deux questions qu’on pourrait également se poser au Québec:

1. Est-ce que Macron est une mutation du pôle traditionnel de gauche ou un nouveau pôle centriste libéral?

Réponse: Macron a développé un nouveau pôle distinct de la gauche traditionnelle.

2. Est-ce que Fillon et Le Pen représentent deux pôles distincts de la droite ou est-ce que qu’ils correspondent au même, mais à des degrés divers?

Réponse: Le Pen et la droite traditionnelle ne correspondent plus au même pôle.

Au Québec, ces questions deviendraient:

1. Est-ce que la CAQ est:
a. une nouvelle mouture de la droite traditionnelle? b. un nouveau pôle ni à gauche, ni à droite?
2. Est-ce que le PQ et Québec solidaire représentent:
a. deux pôles distincts de la gauche (souverainiste)? b. le même pôle, mais à des degrés divers?

Les réponses à ces questions permettront de savoir combien de pôles on trouve au Québec: grosso modo, est-ce, d’après leur électorat, que la CAQ et le PLQ tirent dans la même direction? même chose pour le PQ et QS?

Pour terminer, voici en vrac quelques observations qui soutiennent chacune de ces hypothèses.

1a. La CAQ est une nouvelle mouture de la droite traditionnelle.

La CAQ a accusé le PLQ d’implanter son programme économique au cours du dernier mandat:

Pour le moment, disons que le Parti libéral a pigé quelques idées dans le programme de la CAQ

—Charles Sirois, grand vizir de la CAQ17

1b. La CAQ est un nouveau pôle ni à gauche, ni à droite.

La CAQ soutient n’être ni à droite, ni à gauche:

La CAQ est un parti pragmatique, à l’écoute des gens qui rejettent les étiquettes de gauche ou de droite. Ce n’est pas ce qui nous définit

—Jean-François Roberge, député caquiste18

2a. Le PQ et Québec solidaire représentent deux pôles distincts de la gauche (souverainiste).

Le PQ se distingue de Québec solidaire par la présence d’une droite identitaire dans ses rangs:

2b. Le PQ et Québec solidaire représentent le même pôle, mais à des degrés divers.

Les personnes qui militent pour la convergence entre ces deux partis sont certainement d’avis que leurs positionnements sont suffisamment proches:

C’est sur la base de cette entente pour le bien commun et pour en assurer l’application que les deux partis décident de maximiser le nombre de leurs candidats qui peuvent être élus, donc de faire des alliances dans un certain nombre de circonscriptions. Et comme ils sont souverainistes, un de leurs objectifs est de maximiser le nombre d’élus souverainistes à l’Assemblée nationale.

—Jean-François Lisée, avant la chefferie19

Faudrait-il également intégrer la dimension fédéraliste—souverainiste? Espérons que nous aurons un sondage post-électoral pour nous aider à démêler tout ça!

Données sources

Vous pouvez consulter le tableur qui a permis de faire le graphique sur Google Spreadsheets.

Notes

Réaction

La course pour la médaille de bronze

À Tout le monde en parle, hier, Guy A. Lepage a commencé son entrevue avec les analystes politiques en leur demandant:

Le PLQ et la CAQ se chicanent ensemble, et le PQ et Québec solidaire se chicanent de leur bord. Est-ce qu’il y a deux courses parallèles entre deux partis qui pourraient former le gouvernement et deux partis qui voudraient former l’opposition?1

Comme les prévisionnistes Éric Grenier et Philippe J. Fournier, je m’intéresse davantage à la deuxième:

— Again, we’re talking about the bottom of the race, we gotta talk about the top!

— But it’s so interesting, right?2

Bien évidemment, j’ai le point de vue très particulier d’une personne qui a analysé le vote solidaire pour voir où il serait possible d’éventuellement faire des gains.

Aujourd’hui est un grand jour: c’est l’occasion pour moi de voir si les analyses que j’ai préparées en 2014 en vue des élections qui viendraient quatre ans et demi plus tard se sont avérées juste.

Commençons notre observation de la course pour la médaille de bronze avec une controverse qui a beaucoup alimenté mon fil Facebook dans les derniers jours. Vous pouvez aussi vous rendre directement à l’analyse de la répartition géographique des appuis péquistes et solidaires.

L’attrait du orange

Pancarte libérale tricolore (bleu, orange, rouge) dans Hochelaga
Source: Skelling, Yannick. Publication Facebook. 28 septembre 2018.

Des photos du PQ et du PLQ qui «récupéraient» le orange solidaire ont beaucoup circulé sur mon fil Facebook.

Cette pancarte du PLQ, posée au coin des rues Guimond et Pie-IX dans la circonscription Hochelaga-Maisonneuve, n’est pas très utile si l’objectif était de confondre l’électorat. Le candidat Julien Provencher-Proulx n’est même pas identifié…

Je ne crois donc pas que le PLQ essaie de «récupérer» la sympathie envers Québec solidaire.

Envoi postal de Carole Poirier sur fond orange
Source: Skelling, Yannick. Publication Facebook. 28 septembre 2018.

Ce dépliant du PQ illustre bien, à mon avis, la course en cours pour la médaille de bronze. Il donne l’impression, avec son fond orange, que Carole Poirier est en fait candidate de QS.

Il permet d’associer le visage de la candidate (qui se trouve sur le bulletin de vote) avec la couleur orange associée à QS pour espérer que les personnes qui ne prennent pas le temps de lire les noms de parti se trompent et votent pour elle en voulant voter pour QS.

Dans un quartier avec un taux d’analphabétisme plus élevé qu’ailleurs sur l’île3, c’est plutôt futé! (Je vous laisse juger du caractère éthique ou pas de la manœuvre.)

Macarons oranges «Solidaire avec Dave Turcotte»
Source: Bédard-Wien, Jérémie. Publication Facebook. 23 septembre 2018.

L’objectif de «récupération» du orange par Dave Turcotte laisse tant qu’à moi moins de place à l’interprétation puisque le macaron utilise également le terme «solidaire». Autant je trouve la tactique efficace dans Hochelaga, autant je la trouve désespérée dans Saint-Jean, sur la Rive-Sud de Montréal.

Dans les projections finales de Too Close To Call et de Qc125, Québec solidaire (QS) n’a aucune chance de l’emporter dans Saint-Jean. L’objectif des macarons serait donc de rallier le vote QS pour permettre au député sortant de conserver son siège.

Le problème, c’est que dans la dernière projection par circonscription de Too Close To Call avant que ne soit prise la photo (celle du 21 septembre), le PQ était à 27,2% et QS à 14,8%4. Si tout l’électorat solidaire transférait plutôt au PQ, celui-ci atteindrait 42,0%, ce qui aurait effectivement permis de potentiellement dépasser la CAQ à 38,8%5.

Il faudrait que le PQ réussisse à récupérer tout tout tout le vote solidaire dans Saint-Jean pour espérer battre la CAQ. Toutefois, la manœuvre risque d’aliéner autant de gens qu’elle réussirait à tromper (en faisant croire que Dave Turcotte est le candidat solidaire pour lequel une personne voulait voter).

Bref, il me semble vraiment désespéré de penser qu’on puisse l’emporter en trompant un maximum de 50% de l’électorat solidaire dans Saint-Jean (et ce, parmi les personnes qui voient le macaron!).

Si le 21 septembre Too Close To Call accordait 6% de chances au péquiste Dave Turcotte de conserver sa place à l’Assemblée nationale, dans ses projections finales, Saint-Jean est devenu un siège assuré pour la CAQ6. C’est également ce que projette Qc1257.

La multiplication des bleus

D’autres internautes ont fait remarqué qu’à ce titre, QS «récupérait» tout autant le bleu péquiste. Ou est-ce le bleu caquiste? (Vous remarquerez que je milite pour une CAQ mauve pour éviter la confusion dans les visualisations!)

Je n’ai pas fait d’étude systématique, mais j’ai l’impression que la quantité de bleu dans le matériel de QS a augmenté depuis sa fusion avec Option nationale. Le parti de gauche semble avoir intégré plus de bleu à son graphisme parce que c’était la couleur d’ON. (Encore un autre bleu! Une chance qu’il y a eu fusion!)

Bannière Facebook bleue de Québec solidaire
Source: Bannière Facebook. Québec solidaire, 16 septembre 2018.

On se retrouve donc effectivement avec du matériel qui ressemble à celui du PQ, quoiqu’avec une facture graphique un peu différente.

Il semble que Like-Moi en ait fait toute une parodie, de tous ces bleus.

Sketch primeur Like-Moi! | Positions politiques

[ PRIMEUR SAISON 4 ]

Soyez informés, allez voter! Une nouvelle nouveauté toute neuve de Like-Moi!

#FULLIMPACT #BLEUvsBLEU

Publiée par Like Moi sur Samedi 22 septembre 2018

 

Les prognostics

Alors c’est l’état de la course pour la médaille de bronze vue de mon fil Facebook. De quoi a-t-elle l’air dans les sondages?

Nous avons eu droit à quatre sondages de fin de campagne (dont un dernier de Forum qui a été publié à minuit moins 58: j’ai veillé tard…).

Dernière date du sondage Maison de sondage Taille de l’échantillon CAQ PLQ PQ QS
27 sept. Léger
(panel Web)
1502 28% 26% 17% 17%
27 sept. Mainstreet
(appels automatisés)
1760 28,7% 26,8% 18,4% 14,9%
28 sept. Ipsos
(2/3 en ligne et 1/3 par téléphonistes)
1250 26% 25% 14% 13%
30 sept. Forum
(appels automatisés)
1716 33% 28% 20% 17%

Les projections finales des trois sites qui donnent des projections consolidées (et non une par sondage comme le modèle Forest/Guntermann) font état d’une course pour la médaille de bronze très incertaine en nombre de sièges.

Poll Tracker9 Too Close To Call10 Qc12511
PQ QS PQ QS PQ QS
Vote populaire 19,0% 16,5% 18,4% 16,0% 19,4% 15,1%
Sièges
Minimum 1 5 4 5 1,0 3,8
Projection 10 10 8 7 11,7 6,7
Maximum 31 18 22 11 23,3 9,5

Toutes les projections placent le PQ devant QS sur le plan du vote populaire. Elles situent aussi toutes le minimum de sièges du PQ sous celui de QS. Comment est-ce possible? Le Poll Tracker placent même les deux partis souverainistes à égalité pour le nombre de sièges!

C’est parce que le vote de Québec solidaire est très concentré. Il est donc plus sûr que celui du PQ à certains endroits, mais il est aussi trop diffus ailleurs pour espérer gagner autant de sièges que le PQ avec la même proportion des voix à l’échelle provinciale.

Les défis contraires des concurrents

Bryan Breguet de Too Close To Call a accompagné sa dernière projection de ce diagramme à bandes fort utile pour comprendre les défis différents des deux partis qui s’opposent pour la troisième place.

Nombre de sièges par chances de gagner la circonscription
Source: Breguet, Bryan. «Projections finales pour Québec 2018: une majorité CAQ». Too Close To Call (blogue), 30 septembre 2018.

Complètement à gauche, on retrouve le nombre de circonscriptions dans lesquelles chaque parti n’a absolument aucune chance de l’emporter. À l’opposé, à droite, on trouve le nombre de circonscriptions que chaque parti a définitivement en banque.

Chaque parti? Remarquez qu’il n’y a pas de bande bleue complètement à droite, au-dessus de «100%». C’est parce que dans les simulations de Too Close To Call, il n’y a aucune circonscription que le PQ a gagné à chacune des 10000 simulations. Il y a toujours eu un autre parti qui a emporté une circonscription péquiste dans une ou plusieurs simulations.

À l’autre bout du spectre, Québec solidaire a beaucoup plus de circonscriptions que le PQ où il n’a aucune chance (environ 60% des circonscriptions contre 40% pour le PQ).

Le vote de Québec solidaire est tellement concentré qu’il lui assure trois sièges garantis le long de la ligne orange à Montréal, mais il fait en sorte qu’il n’est pas compétitif ailleurs.

On voit le même phénomène dans la course pour la première place où «[l]e vote PLQ est trop concentré pour être vraiment compétitif12.» Les libéraux ont plus de sièges assurés que les caquistes, mais ils ont aussi plus de circonscriptions où ils n’ont aucune chance.

L’inefficacité du vote solidaire

Cette élection devrait marquer la fin de l’ère de Québec solidaire—parti montréalais, mais ça demeure un parti exclusivement urbain.

Regardez la carte électorale de Too Close To Call: on ne voit pas de polygones oranges!

Source: Breguet, Bryan. «Projections finales pour Québec 2018: une majorité CAQ». Too Close To Call (blogue), 30 septembre 2018.

C’est parce que les 7 circonscriptions qu’il donne à QS dans sa projection sont toutes à Montréal et à Québec, des circonscriptions urbaines, donc trop petites pour être visibles quand on «zoom out» comme ça.

Projection du vote populaire (30 septembre 2018)
Source: Fournier, Philippe J. «La Coalition avenir Québec aux portes du pouvoir». L’Actualité, 30 septembre 2018.

Cette concentration des voix en ville rend le vote de Québec solidaire extrêmement inefficace cette élection-ci. Dans un mode de scrutin proportionnel, avec 13% à 17% des voix, comme le prévoit la projection finale de Philippe J. Fournier, Québec solidaire pourrait espérer obtenir entre 16 et 21 sièges. Dans le meilleur des meilleurs scénarios, Too Close To Call lui en accorde 17 et Qc125, 11.

Pourquoi Québec solidaire obtient moins de sièges avec un mode de scrutin uninominal à un tour?

Bryan Breguet dirait que c’est parce qu’il est «stupide», mais ce n’est pas très complet comme explication13. Examinons plus précisément comment ces intentions de vote se distribuent dans la province.

Les sondeurs divisent le Québec en trois à cinq régions. Les trois régions de base sont la région métropolitaine de recensement de Montréal, celle de Québec et le reste du Québec. Ipsos et Mainstreet divise la première entre l’île de Montréal et ses banlieues. Forum ajoute une couche de précision en subdivisant ces dernières en couronne Nord et couronne Sud.

Intentions de vote dans la région métropolitaine de recensement de MontréalMontréal (57 sièges)

Le tout dernier Forum est le seul à placer la CAQ devant les libéraux dans la course pour la médaille d’or. PQ et QS se mènent dans tous les sondages une chaude lutte pour la médaille de bronze.

Malheureusement, Léger ne distingue pas entre l’île et ses couronnes. Voyons ce qu’ont trouvé les autres sondages.

Intentions de vote sur l'île de MontréalÎle de Montréal (27 sièges)

D’après Mainstreet et Ipsos, les libéraux auraient une avance très solide sur l’île de Montréal. Ils trouvent également une course à trois plus ou moins serrée pour la deuxième place.

Forum, par contraste, trouve que la CAQ se détache du groupe de chasse pour obtenir définitivement la médaille d’argent sur l’île de Montréal. L’avance des libéraux n’y est pas du tout aussi éclatante. Rappelons que ces sondages ne distinguent pas entre l’est francophone et l’ouest anglophone de l’île.

Intentions de vote dans les couronnes de MontréalCouronnes nord et sud de Montréal (30 sièges)

Tous les sondeurs qui distinguent les couronnes de l’île placent les partis dans le même ordre, mais les égalités statistiques ne sont pas les mêmes.

Forum a encore une fois la CAQ plus haut, la positionnant plus solidement en avance. Elle est également en première position dans Mainstreet, mais tout juste. Les barres d’erreur des meneurs se chevauchent dans Ipsos, qui a une plus petite taille d’échantillon, donc des marges d’erreur plus grandes.

La course entre le PQ et QS est par ailleurs, sans surprise, moins serrée en banlieue de Montréal que sur l’île.

Intentions de vote dans la région métropolitaine de recensement de QuébecQuébec (13 sièges)

La région métropolitaine de recensement de Québec est la plus petite région de base qu’étudient les sondeurs. On n’y retrouve que 13 circonscriptions, soit moins de la moitié des 27 circonscriptions sur l’île de Montréal et des 30 dans les couronnes.

La petite taille d’échantillon de Mainstreet cause plus de chevauchement, mais les trois autres sondages trouvent une CAQ confortablement en avance dans la région où sa montée a commencé (avec l’élection partielle dans Louis-Hébert il y a presqu’exactement un an).

Léger, Ipsos et Forum ont tous trouvé une course serrée pour la médaille d’argent.

Intentions de vote dans le reste du QuébecReste du Québec (55 sièges)

Il n’y a que dans le dernier Mainstreet que le PQ devance QS au-delà de la marge d’erreur, et ce, uniquement dans le reste du Québec, où la CAQ par ailleurs domine.

Transposition en sièges

En somme, la CAQ est en avance partout sauf sur l’île de Montréal. Le PQ et QS sont à égalité statistique partout dans les intentions de vote sauf dans le reste du Québec. Si leur course pour la médaille de bronze est si serrée, pourquoi la variabilité des projections de la taille de la députation péquiste est si grande?

Examinons les projections par circonscription de Too Close To Call et de Qc125. Ci-dessous, la liste des circonscriptions où Québec solidaire aurait au moins 2% des chances de l’emporter (le seuil de Bryan a utilisé pour ses guides du vote stratégique14).

Région Nb de sièges Intentions de vote
Circonscriptions à 2% ou plus de chances de gagner Too Close To Call Qc125
Île de Montréal 27 sièges 11%-21%
Gouin 100% >99%
Mercier 100% >99%
Sainte-Marie—Saint-Jacques 100% >99%
Hochelaga-Maisonneuve 80% 92%
Laurier-Dorion 80% 62%
Rosemont 50% 65%
Maurice-Richard 21% 7%
Bourget 9%
Pointe-aux-Trembles 3%
Couronnes de Montréal 30 sièges 10%-21%
aucune circonscription
Région métropolitaine de recensement de Québec 13 sièges 10%-25%
Taschereau 96% 82%
Jean-Lesage 32% 15%
Jean-Talon 2%
Reste du Québec 55 sièges 13%-24%
Rouyn-Noranda—Témiscamingue 35% 23%
Sherbrooke 17% 21%
Chicoutimi 4%
Abitibi-Ouest 2%
Saint-François 2%

Les appuis de 10% à 21% de Québec ne mèneront à aucun siège dans les Couronnes de Montréal (qui en distribuent 30).

L’appui important dans le reste du Québec (13%-24%) pourrait au moins se traduire par 5 sièges sur 55 (9% de la représentation), mais ça implique que Québec solidaire gagne dans Chicoutimi, Abitibi-Ouest et Saint-François. Too Close To Call y accorde entre 2% et 4% de chances aux candidatures solidaires.

Le parti n’a, à ce que je sache, aucune ressource particulière dans ces trois derniers comtés. De plus, la gang d’Abitibi-Ouest risque d’être réquisitionnée pour appuyer Rouyn dans sa sortie de vote, et c’est assurément le cas de Saint-François, de l’autre côté de la rivière à Sherbooke.

L’appui impressionnant de Québec solidaire dans la RMR de Québec (10%-25%) pourrait permettre aux deux têtes de proue d’Option nationale, Catherine Dorion dans Taschereau et Sol Zanetti dans Jean-Lesage, d’être élus à l’Assemblée nationale. La dernière projection de Too Close To Call ajoute Jean-Talon avec 2% de chances.

Avec deux à trois sièges sur 13, QS récolterait 15% à 23% de la représentation de la région de Québec, un taux beaucoup plus efficace que dans le reste du Québec.

Il n’y a qu’à Montréal que le vote de Québec solidaire est efficacement concentré. En effet, le parti de gauche, crédité de 11% à 21% d’appuis, est en droit d’espérer récolter de sept à neuf sièges parmi les 27 de l’île. C’est entre un quart et un tiers de la représentation de la métropole!

Si le vote solidaire est si efficace à Montréal, c’est qu’il est concentré dans l’est de l’île, qui envoie 14 personnes à l’Assemblée nationale. Dans le seul Léger de cette année qui a offert des résultats ventilés entre l’est et l’ouest de l’île (mené en juin), Québec solidaire obtenait entre 16% et 28% dans l’est francophone (et anciennement péquiste) et entre 2 et 10% dans l’ouest anglophone (solidement libéral)15.

Les appuis du parti de gauche sont passés de 11% à 15% dans Léger dans la RMR de Montréal, donc on est en droit de croire que l’appui a augmenté dans l’est, mais on ne sait pas dans quelle proportion (c’est le travail des prévisionnistes)16.

Le terreau historiquement fertile de Québec solidaire pourrait lui permettre de gagner une plus grande proportion de sièges dans l’est de Montréal que son appui populaire. En effet, sept à neuf sièges dans le meilleur des meilleurs scénarios sur les 14 de l’est de l’île, c’est entre la moitié et 64% de la députation!

Même si on ne compte que les cinq sièges les plus certains, Québec solidaire gagnerait 36% des sièges de l’est de Montréal. Je resterais bien surprise que le parti obtienne un aussi haut score, même dans l’est de Montréal, sans obtenir plus de sièges.

Maman, c’est fini!

Me Marchi, Martin et moi seront réunis ce soir pour suivre la soirée électorale dans le comté de Jean-François Lisée. Suivez-nous sur Twitter pour une soirée qui s’annonce haute en couleurs!

Notes

Réaction

Tartes aux pommes et recettes secrètes

Ça faisait longtemps que j’avais envie de comparer les choix méthodologiques des modèles de projection. Jeudi, j’ai décidé que je me gâtais. Maintenant que j’ai reçu les réponses à mes questions, je peux publier la comparaison.

Lundi dernier, une page Facebook dédié au voisinage des quartiers montréalais contigus de Rosemont, Petite-Patrie et Villeray a diffusé les projections de Qc125 dans les circonscriptions de Rosemont, Gouin et Laurier-Dorion. Je me suis empressée d’ajouter en commentaire celles de Too Close To Call, constatant au passage une différence importante dans les deux modèles pour leurs projections concernant Laurier-Dorion.

Voici leurs projections en date d’aujourd’hui pour Laurier-Dorion, qui regroupe les quartiers Villeray et Parc-Extension.

Too Close To Call1 Qc1252
Québec solidaire 39,8% 36,4%
Parti libéral du Québec 34,2% 32,4%
Coalition avenir Québec 12,8% 12,2%
Parti québécois 10,0% 15,9%
Parti vert du Québec 2,3%
NPD du Québec 0,6%
Parti conservateur du Québec 0,2%

La collaboratrice à cette page Facebook qui fait office de média hyperlocal a sagement ajouté:

L’écart est très grand en effet!

On est pas des experts ici, mais les simulateurs de projections électorales sont un peu comme des tartes aux pommes de grand-mères. Chaque grand-mère a sa recette secrète […]

C’est aussi un rappel qu’il faut pas trop prendre au sérieux les sondages ou les projections3.

Que sait-on de leurs recettes secrètes?

Voici nos concurrents

J’ai connaissance de quatre modèles de projection: Too Close To Call de Bryan Breguet, Qc125 de Philippe J. Fournier, le Poll Tracker du doyen des prévisionnistes au Canada, Éric Grenier, et le modèle Guntermann/Forest.

J’avais présenté le dernier dans un billet en début de campagne.

Logo du site de projection électorale Qc125Too Close to Call / Si la tendance se maintient - logoLes principaux modèles de projection cités au Québec sont ceux de Bryan Breguet à Si la tendance se maintient (mieux connu sous le nom anglais du site, Too Close To Call), fondé en 2010, et de l’astrophysicien Philippe J. Fournier, qui a créé Qc125 en 2017.

Toutes les projections de Bryan présentent quatre données pour chaque parti: une prévision du pourcentage du vote populaire, une prévision du nombre de sièges, un intervalle du nombre de sièges qu’obtient le parti dans ses simulations et le pourcentage de chances qu’un parti l’emporte.

Extrait du projection de Too Close to Call
Source: Breguet, Bryan. «Les meilleurs et pires scénarios pour chaque parti en ce début de campagne». Too Close To Call (blogue), 21 août 2018.
Schématisation de l'Assemblée nationale représentant le nombre de sièges projetés pour chaque parti
Source: Fournier, Philippe J. «La victoire pour la CAQ, le vote populaire pour le PLQ?» L’Actualité, 23 septembre 2018.

Philippe donne la même information mais à l’aide de visualisations (graphiques, schématisation des sièges de l’Assemblée nationale et cartes). Il donne des intervalles de confiance à la fois pour ses projections du vote populaire et des sièges.

Durant la campagne électorale, ces visualisations ne sont pas toutes disponibles sur son site Web, sans doute pour donner l’exclusivité à L’Actualité. Il y publie dans ses «Carnets de campagne» une ou deux fois par semaine.

Le Poll Tracker d’Éric est un peu différent. Il donne la liste des sondages utilisés ainsi que leur pondération, ce que les deux autres sites de projection ne font pas, mais il ne présente pas ses projections par circonscription.

Le Poll Tracker donne une place de choix aux moyennes pondérées des sondages accompagnées de la variation depuis la dernière projection.

CBC News Quebec Poll Tracker: Poll Averages
Source: Grenier, Éric. «CBC News Quebec Poll Tracker». CBC News, 29 septembre 2018.

En-dessous, un diagramme en bandes illustre la projection du nombre de sièges et une liste à puces décrit différentes probabilités (probabilité pour un parti d’obtenir un gouvernement majoritaire ou le plus de sièges). Par la suite, un paragraphe résume l’état de la course.

Ensuite, un graphique interactif représente l’évolution dans le temps d’une de ces trois données pour chaque parti (moyenne pondérée des sondages, nombre de sièges, chances de gagner), au choix. Finalement, un paragraphe résume l’évolution de la course.

Voici leurs recettes

Comme l’explique Bryan Breguet dans la FAQ de Too Close To Call:

There exists a lot of models and they usually share the core principle: the results in a specific riding this election are a function of the past election’s results as well as of the current level of supports for each party4.

Commençons donc par ces deux éléments:

  • les résultats des dernières élections;
  • les intentions de vote actuelles.

Les résultats de quelles élections sont pris en compte?

Tous les modèles utilisent les résultats de la dernière élection générale, celle de 2014. Depuis, il y a eu des élections partielles dans 15 circonscriptions5. Certains modèles en tiennent compte. Le tableau ci-dessous montre également jusqu’à quelle élection chaque modèle remonte pour constituer son historique de vote dans une circonscription.

Poll Tracker Too Close To Call Qc125 Modèle Guntermann / Forest
Élections partielles x x x
2014 x x x x
2012 x x
2008 x x
2003 x
1998 x

Philippe J. Fournier indique que «[l]es élections récentes possèdent, évidemment, une pondération plus importante» tout comme Éric Grenier, qui précise la pondération exacte6. Ce dernier spécifie également comment il tient compte des élections partielles et comment il calcule la situation initiale pour les candidatures indépendentes et dans les circonscriptions où un parti n’avait pas présenté de candidature à l’élection précédente.

Seul Benjamin Forest explique comment il tient compte du récent changement de carte électorale. Il y en a eu également en 2001 et en 2011. Rappelons que Forest est géographe, d’où son intérêt pour la question. Éric Grenier et Bryan Breguet sous-traitent la transposition des résultats.

Comment sont calculées les intentions de vote?

Comme l’explique Philippe:

Plus le sondage «vieillit», plus sa pondération diminue dans le temps. Cette méthode de calcul permet d’amortir les fluctuations normales des sondages.»7

Tous les modèles qui agrègent les sondages utilisent ce principe. Le modèle Guntermann/Forest n’utilise qu’un seul sondage par projection.

Poll Tracker Too Close To Call Qc125
Agrégation des sondages oui, mais uniquement les sondages publics oui, sondages publics et payants oui, sondages publics et payants
Facteurs compris dans la pondération des sondages Taille d’échantillon

Date de terrain

Justesse des prévisions antérieures

Taille d’échantillon

Date de terrain en fonction des événements importants

Choix éditorial

Taille d’échantillon

Date de terrain

Choix éditorial

Répartition des personnes discrètes Celle des sondeurs (généralement proportionnelle)8 40% au PLQ
30% à la CAQ
20% au PQ
10% à QS9
Recette secrète10

Éric donne le poids de chaque sondage dans la liste des sondages compris dans le Poll Tracker et explique dans l’article sur la méthodologie comment ce poids est calculé.

Quels autres facteurs sont intégrés à la projection?

Le modèle Guntermann/Forest s’arrête là. Toutefois, les trois autres intègrent beaucoup d’autres paramètres dans leur modèle.

Poll Tracker Too Close To Call Qc125
Effets régionaux 3 régions 12 régions 21 régions
Identité des personnes candidates Candidatures vedettes

Député sortant ou députée sortante

Chef

Candidatures vedettes

Député sortant ou députée sortante

Chef

Candidatures vedettes
Sondages locaux oui Choix éditorial oui
Taux de participation dans chaque circonscription non oui oui
Nombre de personnes inscrites sur la liste électorale dans chaque circonscription non non oui
Données démographiques non non oui

Éric précise la plupart de ses effets dans sa documentation.

J’attendrai probablement après le scrutin pour comparer comment tout ça est mis ensemble, question de donner le temps de respirer à un prévisionniste particulièrement occupé. Si vous comprenez l’anglais, vous pouvez en apprendre plus en écoutant la conversation d’Éric et de Philippe au dernier épisode du CBC Election Pollcast.

Notes

Réaction

Ma circonscription est plus créative que la tienne

Dans mon dernier billet, j’ai mentionné une vidéo de la campagne de Québec solidaire dans Brome-Missisquoi. Entretemps, y’a aussi la gang de Jeanne-Mance—Viger qui a publié un vidéoclip: c’est une circonscription encore plus surprenante!

J’aimerais tout d’abord présenter ces circonscriptions du point de vue d’une ancienne responsable des élections à Québec solidaire. Je ferai ensuite le lien avec le dernier billet en évaluant si ces vidéos constituent des dépenses électorales.

Pas toutes le même budget

Les différents partis mènent leurs campagnes différemment pour respecter leurs budgets de taille très variée.

Photo de la candidate avec une bénévole devant une pancarte du NPDQ
Source: Petropoulos, Apostolia. Publication Facebook, 4 septembre 2018.

Certains ont les moyens pour des pancartes avec la photo et le nom de la candidature locale. J’en ai vu à Montréal pour les quatre partis représentés à l’Assemblée nationale et les trois partis sondés par Léger (Parti conservateur, Parti vert et Nouveau Parti démocratique du Québec). Comme ce sont de très petits volumes, ces pancartes coûtent cher.

D’autres, comme le parti Citoyens au pouvoir, doivent se contenter, du moins à Montréal, de pancartes avec la photo de leur chef et leurs engagements. C’est en allant sur leur site Web, sur le site du Directeur général des élections (DGEQ) ou en attendant d’avoir en main son bulletin de vote qu’on apprend le nom de son candidat ou candidate.

Bénévoles au travail dans le local électoral
Publication Facebook. Québec solidaire Hochelaga-Maisonneuve, 24 septembre 2018.

Ces disparités de ressources financières comme militantes existent autant dans les campagnes locales au sein d’un même parti. Une campagne de Québec solidaire dans Hochelaga-Maisonneuve dans l’est de l’île de Montréal, avec un beau local pour accueillir les bénévoles du quartier, ne ressemble en rien à une campagne dans Maskinongé en Mauricie, où Simon Piotte, le candidat solidaire, se déplace en vélo pour aller faire du porte-à-porte dans sa circonscription rurale1.

Le budget n’est pas tout

C’est dans cette optique que j’ai été très surprise de constater que cette superbe vidéo provenait de la campagne dans Brome-Missisquoi d’Alexandre Legault (le fils de François Legault, mais pas du chef de la CAQ):

Je me souviens

Québec 2050 : Je me souviens

Le 1er octobre, nous ne pouvons pas attendre 4 ans de plus.

Pour laisser un environnement sain aux générations futures, ça commence par un gouvernement solidaire. Un gouvernement écologiste, un gouvernement responsable.

Tout est encore possible, mais il faut s’y mettre Maintenant. Sérieusement. Pour faciliter la vie des générations futures.

Joignez le mouvement pour une transition économique, écologique qui profite à tous et à toutes.
adhesion.quebecsolidaire.net

Publiée par Alexandre Legault dans Brome-Missisquoi sur Mardi 18 septembre 2018

La seule autre vidéo locale dont je me souvenais, c’était celle de Rouyn-Noranda—Témiscamingue en 2012: Mon père est grand. C’est le fils du candidat Guy Leclerc qui l’avait produite.

Sa mère était agente officielle et l’avait rémunéré pour être certaine de ne pas se faire taper les doigts par le DGEQ. (La connaissant, c’était pas du tout une tentative de népotisme: elle aurait sûrement préféré utiliser l’argent pour imprimer plus de dépliants ou de pancartes.)

Rouyn-Noranda et le Témiscamingue sont loin de la ligne orange à Montréal, mais forment néanmoins un terreau fertile pour Québec solidaire, qui y a obtenu son 13e meilleur score (sur 124) en 2012. C’est l’une des circonscriptions les plus fortes en région. Un sondage local Mainstreet fait même état d’une course à trois excluant le Parti libéral2.

Vous pouvez constater ci-dessous que Québec solidaire avait 124 candidatures en 2012 et en 2014, puis 125 en 2018.

Vous comprendrez donc ma surprise à voir la vidéo de Brome-Missisquoi, qui était 46e au palmarès des circonscriptions en 2014 au sein de Québec solidaire. Et que dire de Jeanne-Mance—Viger, 116e circonscription (sur 124) en 2014!

Voici le vidéoclip de la chanson «Solidaires» de Mackjoffatt, avec en vedette le candidat solidaire Ismaël Seck:

ES-TU SOLIDAIRE?

Une campagne électorale, c’est pas toujours obligé d’être des slogans poches et des promesses vides 😉

Si t’es solidaire, le 1er octobre, tu votes Ismaël Seck!

Un énorme merci à Mackjoffatt pour la conception de cette magnifique chanson de campagne!




P.S. L’utilisation d’une chaise roulante dans le vidéoclip se veut avant tout pour illustrer la réalité des personnes dans notre système de santé et n’est en aucun cas dans le but de prendre à la légère la situation des personnes en situation de handicap

Publiée par Ismaël Seck sur Vendredi 21 septembre 2018

 

Changements au palmarès?

Les appuis de Québec solidaire sont indéniablement plus hauts qu’en 2014, et ce, partout à travers le Québec. Dans un sondage local Mainstreet, le parti est crédité de 18% après répartition des personnes discrètes (derrière la CAQ à 32%, le PQ à 23%, le PLQ à 22%)3.

Toutefois, d’après les projections, la circonscription de Brome-Missisquoi ne devrait pas bouger beaucoup dans le palmarès de Québec solidaire.

Vote populaire4 Projections pour 2018
Circonscription 2012 2014 Too Close To Call5 Qc1256
Brome-Missisquoi 4,6% (61e) 6,8% (46e) 15,6% (41e) 12,6% (48e)
Jeanne-Mance—Viger 5,1% (45e) 3,4% (116e) 13,8% (62e) 11,7% (64e)

Par contraste avec la progression observée dans la circonscription montérégienne, Québec solidaire a perdu un peu plus de 450 voix dans Jeanne-Mance—Viger de 2012 en 2014 (ce qui représente près de 30% de ses voix de 2012). C’est un rappel important qu’une personne qui a voté Québec solidaire n’est pas à tout jamais acquise au parti.

D’après les projections pour cette élection-ci, la circonscription, qui couvre exactement le territoire de l’arrondissement de Saint-Léonard, devrait quitter le bas du palmarès et revenir à un classement qui s’approche davantage à celui de 2012.

Bryan Breguet de Too Close To Call reconnaît néanmoins qu’il surestime probablement cette circonscription de l’est de Montréal.

Montréal, cette région si diversifiée

C’est l’occasion de revenir à Pierre Drouilly, cité dans le billet sur l’abstentionnisme. La première fois qu’on m’en a parlé, c’était pour me parler de ses régions sociologiques du Québec. Il divise le Québec en dix régions, incluant trois à Montréal.

Aucun sondage n’atteint ce niveau de précision: au mieux, les sondeurs donnent les résultats ventilés de l’est et de l’ouest de Montréal séparément. Toutefois, je crois que la distinction que Drouilly fait dans l’est de l’île est très importante. Il isole le nord-est de Montréal, dans lequel on trouve beaucoup d’allophones.

Sources: «Fichiers de la géométrie des circonscriptions électorales du Québec (2017)». Élections Québec. Consulté le 26 septembre 2018; Drouilly, Pierre. «La structure des appuis aux partis politiques québécois, 1998-2008». Dans Les partis politiques québécois dans la tourmente: Mieux comprendre et évaluer leur rôle, 131‑68. Québec: Presses de l’Université Laval, 2012.

Ci-dessus, vous voyez les 27 circonscriptions montréalaises de la carte de 2017 réparties dans les trois régions sociologiques de Drouilly: l’Ouest de Montréal en rouge, l’Est en bleu et le Nord-est en jaune.

Ci-dessous, une carte conçue par l’agglomération de Montréal à partir des données du recensement 2016 pour montrer les différentes concentrations d’allophones sur l’île (les quadrilatères plus foncés représentes des coins avec plus de ménages allophones).

Carte de la concentration des allophones à Montréal (2016)
Source: «L’Atlas sociodémographique 2016: Agglomération de Montréal». Recensement de 2016. Montréal en statistiques. Ville de Montréal: Service du développement économique, septembre 2018, p. 21.

Les appuis à Québec solidaire augmentent beaucoup dans la moitié est de l’île. Peut-être même que le parti plafonne à cet endroit et que son vote devient inefficace comme celui du Parti libéral dans le West Island. Cela signifierait que chaque point de pourcentage supplémentaire n’apporte pas nécessairement plus de sièges parce qu’on atteint des scores vraiment élevés dans certaines circonscriptions sans que ce soutien «déborde» au-delà de celles-ci.

Toutefois, on ne sait pas si Québec solidaire monte tant dans le nord-est (plus allophone) que dans l’est (francophone) de l’île. Les sondages ne distinguent pas entre anglophones et allophones, donc on n’a pas plus de données sur lesquelles se fier.

Bref, la montée de Québec solidaire sur l’île de Montréal, particulièrement dans sa moitié est, se traduit dans les projections par une hausse dans des circonscriptions comme Jeanne-Mance—Viger. Nous verrons le 1er octobre si c’est vrai ou si c’est dû à l’amalgation de tout l’est de l’île dans les sondages.

Maintenant qu’on a situé un peu la géographie du vote solidaire, revenons à nos vidéos.

Dépenses électorales ou pas?

Deux aspects de la publicité peuvent coûter de l’argent:

  • sa production;
  • sa diffusion.

Les graphistes et vidéastes qu’on emploie pour faire de la publicité —qu’elle soit en ligne, dans les journaux, à la radio ou à la télévision— peuvent être bénévoles ou payés. Dans le dernier cas, leur rémunération compte comme une dépense électorale.

Comme Sylvain A. Trottier l’expliquait la semaine dernière à Pop en stock:

Si, par exemple, je fais une vidéo, mais que ma vidéo, je la fais avec mon téléphone, j’le fais avec un ami, pis que personne ne me charge dans l’histoire, c’est pas une dépense électorale, donc j’peux l’faire sans limitation quelconque7.

En matière de diffusion, les médias exigent habituellement des frais contre de l’espace publicitaire. La révolution des «médias sociaux», c’est justement de démocratiser la diffusion en la rendant dans beaucoup de cas gratuite.

Comme nous avons vu dans le dernier billet, les médias sociaux sont considérés comme un espace public, du moins pour les personnes candidates. Ainsi, cette forme de diffusion publicitaire n’est aucunement limitée. Si on paie Facebook pour «sponsoriser» une publication de notre page, c’est-à-dire augmenter sa visibilité, ce coût de diffusion devient une dépense électorale.

Autrement dit, un parti peut publier gratuitement sur les réseaux sociaux autant de publicités conçues bénévolement qu’il ne le veut…

Et donc avoir beaucoup plus de publicités qu’un autre parti qui lui fait des dépenses pour chacune de ses publicités-là8.

comme l’a suggéré Sylvain à Pop en stock.

Vidéos devenus viraux

La vidéo de Brome-Missisquoi a été tournée par Olivier Jobin sous la direction de Thomas Fontaine, qui a également effectué le montage. Ils ont été payés, par peur comme à Rouyn en 2012 de faire accroc à la Loi électorale.

Le cas est similaire pour celle de la campagne d’Ismaël Seck dans Jeanne-Mance—Viger: le vidéaste et l’artiste qui a composé et interprète la chanson ont été payés. Les personnes qui apparaissent dans le vidéo clip sont bénévoles.

La diffusion dans les deux cas a d’abord été organique, c’est-à-dire qu’elle résultait du partage des personnes qui ont vu la publication sur la page Facebook de la campagne. Autrement dit, la production de cette publicité n’a pas été bénévole, mais sa diffusion était au départ gratuite. Les deux équipes ont depuis «sponsoriser» leur publication Facebook.

Voici ce qu’elles ont récolté comme circulation en date du mercredi 26 septembre à 18h:

Titre 2050: je me souviens Es-tu solidaire?
Circonscription Brome-Missisquoi Jeanne-Mance—Viger
Mise en ligne 18 septembre 2018 21 septembre 2018
Nb de vues +216000 +22000
Nb de partages +4300 452
Nb de réactions +3400 477
Nb de commentaires 597 134

La vidéo de Brome-Missisquoi est donc un peu moins de 10 fois plus populaire que celle de Jeanne-Mance—Viger, même si cette dernière a fait l’objet d’un article dans la section «Sac de chips» du Journal de Québec9.

Depuis lundi, deux autres vidéos produites par des créateurs de contenu circulent dans mes réseaux solidaires sur Facebook. Tout d’abord, on retrouve La Coalition de l’Anneau – une parodie de politique québécoise d’Alex Dornier, qui avait fait ses débuts en 2011 avec Harry Potter et la STM suivi en 2012 de Harry Potter et la GGI10. Ensuite, il y a Promesses électorales à l’hélium (avec Manon Massé) sur la chaîne YouTube de PL Cloutier.

On en reparle dans le prochain billet!

Données sources

Vous pouvez consulter le tableur qui a permis de faire le graphique sur Google Spreadsheets.

Notes

Réaction

Visibilité et dépenses électorales

Avant-hier, mon collègue Martin était de passage à l’émission Pop en stock à CHOQ, la radio étudiante de l’UQAM. Ç’a abondamment discuté de publicité sur les réseaux sociaux, mais aussi de la publicité gratuite que constituent les memes, citant au passage les enfants de François Legault qui se présentent pour Québec solidaire1.

Hier matin, je suis tombée sur la meilleure vidéo de campagne locale de Québec solidaire depuis celle de Rouyn-Noranda en 2012: elle vient justement de celle d’Alexandre Legault dans Brome-Missisquoi. J’ai trouvé que l’univers faisait bien les choses.

Ce matin, j’apprenais que le Directeur général des élections (DGEQ) avait mis en demeure la Centrale des syndicats du Québec (CSQ) pour des raisons similaires qu’Équiterre plus tôt cette semaine2. Les règles ne sont donc visiblement pas les mêmes pour les partis et les groupes de la société civile. Ou est-ce une différence entre site Web et réseaux sociaux?

Dépenses électorales: autorisation et plafond

D’après la porte-parole du DGEQ Julie St-Arnaud Drolet, «donner de la visibilité à un parti constitue une dépense électorale»3. Ok, qu’est-ce que ça change?

Deux choses:

  • les dépenses électorales doivent être approuvées par l’agent officiel ou l’agente officielle d’une personne candidate ou d’un parti;
  • elles sont soumises à un plafond de dépenses.

Payé et approuvé par…

Martin a parlé de la fonction d’agente ou d’agent officiel en parlant des mises en candidature dans le premier épisode de L’Antichambre électorale de 9:38 à 10:15:

Ça vous prend aussi un agent officiel: ça c’est la personne qui va autoriser vos dépenses. Déjà, dès le départ, si vous êtes tout seul, ça marche pas!

Vous devriez voir le nom de l’agente ou de l’agent officiel sur tout ce qui donne de la visibilité aux personnes candidates, comme les pancartes, les dépliants, même les macarons.

Avant, on écrivait systématiquement «Payé et autorisé par…», mais maintenant plusieurs partis n’indiquent que le nom de la personne suivi de la mention «agent officiel» ou «agente officielle».

La porte-parole du DGEQ cite à cet effet l’article 413, inchangé depuis l’adoption de la Loi électorale:

Pendant la période électorale, seul l’agent officiel d’un candidat ou d’un parti autorisé ou son adjoint peuvent faire ou autoriser des dépenses électorales4.

Max 0,75$ par électeur et électrice

Le plafond des dépenses électorales est défini à l’article 426 et indexé à chaque année en fonction de de l’indice moyen des prix à la consommation (IPC).

C’est un montant par électeur ou électrice, donc le plafond varie de circonscription en circonscription: les personnes candidates dans les plus grandes peuvent dépenser plus d’argent. Un montant plus élevé est toutefois accordé aux circonscriptions de régions éloignées: Rouyn-Noranda–Témiscamingue, Ungava (Nord-du-Québec), René-Lévesque et Duplessis (Côte-Nord) et Îles-de-la-Madeleine.

Limite de base 0,75 $
Duplessis
Rouyn-Noranda–Témiscamingue
René-Lévesque
Ungava
0,95 $ (0,75 $ + 0,20 $)
Îles-de-la-Madeleine 1,67 $ (0,75 $ + 0,92 $)

Source: «Limites des dépenses électorales». Élections Québec, 2018.

À ce montant s’ajoute un montant pour la campagne nationale de chaque parti politique. Il s’agit de 0,69$ pour chaque électeur ou électrice dans les circonscriptions où le parti présente une candidature.

Les quatre partis représentés à l’Assemblée ont donc le même plafond des dépenses électorales parce qu’ils présentent tous des candidatures dans chacune des 125 circonscriptions.

À l’autre bout du spectre, les partis qui ne présentent qu’un seul candidat (des hommes dans les deux cas) ont tout de même un avantage sur les candidatures indépendentes parce qu’ils peuvent dépenser presque le double (0,75$ + 0,69$ par électeur et électrice).

Qu’est-ce qui compte comme une dépense électorale?

C’est bien beau tout ça, mais qu’est-ce qui doit être autorisé par l’agente ou l’agent officiel et conséquemment être assujetti aux limites de dépenses? Équiterre et la CSQ ne croyaient pas que leur campagne d’information devait l’être. (La CSQ a obtempéré, mais Équiterre est prête à contester une éventuelle amende du DGEQ devant les tribunaux.)

D’après la mise en demeure reçue par Équiterre, son «document» est une «publicité»:

Comme ce document d’analyse et l’utilisation du site web pour le diffuser impliquent nécessairement un coût, cette publicité constitue une dépense électorale5

La porte-parole du DGEQ ajoute dans un article sur la mise en demeure reçue par la CSQ:

le coût de tout bien ou service utilisé pendant la période électorale pour diffuser ou combattre le programme ou la politique d’un candidat ou d’un parti représente une dépense électorale6

À cet effet (et c’est peut-être un ajout tardif), il est indiqué en haut de la démarche sur la deuxième page du document de la coalition environnementale et citoyenne:

Ce document a une visée informative exclusivement. Il ne vise pas à favoriser ou défavoriser, à diffuser ou à combattre un programme, à approuver ou désapprouver, un parti ou des mesures préconisées par celui-ci7.

Revenons à la mise en demeure. Le DGEQ considère visiblement deux coûts:

  • l’analyse;
  • l’hébergement, la création et le maintien du site Web.

Le premier est définitivement contestable puisqu’il s’agit «des réponses des principales formations politiques» (lire les quatre partis représentés à l’Assemblée nationale) à des questions posées par une coalition d’organisme.

Lettres aux organismes

C’était ma tâche principale en 2008 et en 2012 de répondre aux lettres des organismes: un travail extrêmement long et ardu qui offre très peu de gratifications parce qu’il se fait généralement dans l’ombre.

En 2008, j’en ai envoyé une cinquantaine et, en 2012, plus de 80. Combien d’organismes vous ont fait part des engagements de Québec solidaire à l’époque? Voilà, c’est ce que je disais: un travail de l’ombre.

Le travail d’analyse des plateformes a effectivement un coût mais, lorsque les organismes envoient des questionnaires aux partis politiques, la facture est refilée aux partis, qui doivent payer quelqu’un pour le faire (ou rediriger de l’énergie bénévole vers cette tâche). La «dépense électorale» est donc engagée par le parti, pas l’organisme.

Qui plus est, à quoi ça sert aux partis de répondre aux organismes s’ils n’ont pas le droit de diffuser les réponses sur leur site Web?!? Si seuls les médias ont droit de diffuser les réponses que leur donnent les partis, on a un problème démocratique.

(Certes, le DGEQ pourrait répondre que la révision des réponses obtenues gratuitement constitue une analyse supplémentaire qui engendre son propre coût8.)

Réglementation de la publicité (or lack thereof)

L’autre coût que considère le DGEQ dans le cas d’Équiterre est «l’utilisation du site web pour […] diffuser» le document. Effectivement, avoir un site Web, ça coûte de l’argent.

Est-ce que cela signifie que si Équiterre s’était contenté de publier le contenu du document sur sa page Facebook, sur sa chaîne YouTube et sur ses comptes Instagram, Twitter et Linkedin, le DGEQ n’aurait pas pu lui imputer des coûts de diffusion parce que l’utilisation de ces plateformes est gratuite?

C’est ici qu’on revient à l’émission Pop en stock. L’un des invités de cette semaine, Sylvain A. Trottier, se posait justement la question à savoir si la publicité sur les réseaux sociaux comptait dans les dépenses électorales, et donc dans le plafond des dépenses. Il a donc passé un coup de fil au Directeur général des élections (DGEQ).

Il a constaté que la publicité gratuite qu’offre le partage sur les réseaux sociaux n’est pas règlementée:

Des candidats peuvent faire des publications, et ils n’ont pas besoin de payer pour une publication. C’est une publication comme si j’étais sur la place publique et que je disais quelque chose9.

Toutefois, si de l’argent entre en jeu, la dépense doit être approuvée par l’agent officiel et est sujette au plafond des dépenses électorales.

Puisque sa question portait spécifiquement sur la publicité qu’effectuent les partis, on ne sait pas si le DGEQ considère que seuls les «candidats peuvent faire des publications» gratuites sans qu’elles comptent comme dépenses électorales, ou si ce droit est également accordé à tout membre de la société civile.

Dans le prochain billet, je reviendrai sur les vidéos que diffusent les personnes candidates sur Facebook et ma surprise à la vue de celle de Québec solidaire dans Brome-Missisquoi.

Notes

Réaction

L’électorat est encore très volatile à la veille du dernier débat

Vous l’avez sans doute déjà lu dans les médias: à la lumière des sondages Mainstreet et Léger de cette semaine, nous avons maintenant une vraie course.

Plutôt que chaque parti s’en tienne soigneusement à son couloir (CAQ dans le 1er, PLQ dans le 2e, PQ dans le 3e et QS dans le 4e), les deux meneurs zigzaguent entre les deux premiers couloirs et font monter la pression sanguine de Bryan Breguet à Too Close To Call:

Mon cauchemar (en tant que “projectionniste”): l’incertitude vient de passer de très faible à quasiment maximale. Pour preuve, les distributions aujourd’hui vs le 7 septembre

Source: Breguet, Bryan. Tweet. @2closetocall, 19 septembre 2018.

Les deux graphiques dans cette vidéo présentent à la verticale le nombre de simulations, sur 10000, qui donnent un certain nombre de sièges (sur l’axe horizontal) à chacun des trois principaux partis (différenciés par couleur).

Les courbes de distribution des sièges de la Coalition avenir Québec (mauve) et du Parti libéral du Québec (rouge) se chevauchent maintenant complètement. Deux semaines auparavant (deuxième graphique), elles étaient presque aussi distinctes l’une par rapport à l’autre qu’elles ne le sont par rapport à celle du Parti québécois (bleu).

Course serrée et électorat volatile

La course se resserre alors que l’électorat demeure très volatile. Commençons par jeter un coup d’œil à notre graphique habituel, mis à jour grâce au rapport du dernier sondage Léger:

Visiblement la volatilité de l’électorat fait du surplace. Toutefois, ça commence à être difficile de comparer avec les élections précédentes.

Ayant déjà établi que le choix définitif (barres bleues) était la donnée la plus significative (plutôt que «Probable que je change d’avis» en rouge), je me suis dit qu’on pourrait visualiser uniquement celle-là en «empilant» les campagnes électorales plutôt que de les mettre côte à côte.

Évolution de la volatilité durant la campagne

En modifiant le script que j’utilise dans R pour faire les graphiques d’intentions de vote avec barres d’erreur, voici ce que j’ai pu produire. On constate que l’électorat est plus volatile qu’il ne l’a jamais été à ce moment-ci dans une campagne électorale.

Volatilité de l'électorat au fil des campagnes électorales des 10 dernières années selon les sondages Léger

Sur l’axe vertical, on trouve la proportion de personnes sondées dont le choix est définitif parmi celles qui ont nommé un parti dans leurs intentions de vote (et donc excluant les personnes indécises). Plus un point est bas, donc, plus l’électorat est volatile (moins de personnes ont fait un choix qu’elles jugent définitif).

Les sondages de cette élection sont en saumon. Le premier sondage est donc particulièrement bas, mais nous n’avons pas de comparatif dans la précampagne durant les autres élections. En 2012 (vert) et en 2014 (turquoise), les premiers sondages de la campagne se sont terminés autour du jour du déclenchement (jour J – 35).

En 2014, la proportion de personnes qui avaient fait un choix définitif était définitivement plus élevée tandis que les marges d’erreur pour les valeurs au déclenchement en 2012 et en 2008 se chevauchent.

Le premier sondage qui mesurait la volatilité en 2008 (mauve) est apparu à trois semaines du scrutin. Elle était alors comparable à celle que Léger a mesuré la semaine dernière (à jour J – 21).

Au sondage suivant de 2008, toutefois, la proportion de personnes dont le choix était définitif avait confortablement dépassé la barre des 60% (à jour J – 15). Dix ans plus tard, nous sommes toujours solidement sous la barre des 60%.

Comme tout le monde le dit, le débat de demain soir (jeudi) risque d’être crucial, de même que l’enregistrement le lendemain (vendredi) de l’émission de Tout le monde en parle, qui sera diffusée dimanche soir.

Solidité du vote de chaque parti

La semaine dernière, j’avais noté une mauvaise nouvelle pour le Parti québécois (PQ): son électorat avait crû mais était plus volatile. Cette semaine, c’est au tour du Parti libéral du Québec (PLQ) et de la Coalition avenir Québec (CAQ) de voir la solidité de leur électorat baisser. Le PQ reprend à cet égard un peu du poil de la bête.

L’électorat de Québec solidaire (QS) est toujours le plus volatile des quatre partis représentés à l’Assemblée nationale. Toutefois, avec la baisse de la proportion de personnes qui ont fait un choix définitif parmi les personnes qui ont l’intention de voter pour la CAQ, le PLQ et le PQ, l’écart est beaucoup moins grand entre les trois plus grands partis et QS.

J’ai déjà hâte au prochain sondage de Léger, qui sera peut-être le dernier!

En effet, depuis les dix dernières années, Léger sort toujours un sondage la fin de semaine précédant le scrutin complété le jeudi précédant (jour J – 4). Le sondage d’hier a été complété au jour J – 14, un sondage est donc à prévoir dans 10 jours… pas certaine qu’il reste de la place pour un autre entre les deux!

Données sources

Vous pouvez consulter le tableur qui a permis de faire le graphique sur Google Spreadsheets.

 

 

Réaction

Jeunes, vertu et abstention

Jeudi était jour de débat, mais c’était aussi le jour où s’est tenu un colloque sur les jeunes et le/la politique. Dans ce cadre, La Presse a diffusé un sondage Ipsos concernant uniquement les jeunes de 18 à 25 ans (la catégorie habituelle est 18 à 35 ans).

Participation électorale des jeunes

Nous avons parlé il y a deux semaines des divergences entre Léger et Mainstreet concernant les intentions de vote chez les jeunes. Le sondage de cette semaine ne comportait pas de question sur les intentions de vote, mais plutôt sur l’intérêt envers la campagne, l’intention d’aller voter (sans demander pour qui) et les enjeux les plus importants.

Ce qui m’a marqué, c’est que 81% des jeunes sondés disaient avoir l’intention d’aller voter1.

Il n’y aurait donc pas de différences à prévoir selon l’âge en termes de participation électorale? En août, Léger avait trouvé que 79% des personnes qui leur ont répondu étaient «certaines» d’aller voter2. (C’est pas exactement la même question, comme faisait remarquer Martin Leduc3, mais les résultats sont tout de même comparables.)

Ça surprend parce qu’on décrie depuis longtemps le problème de la participation électorale épouvantablement basse des jeunes. En 1985, un peu moins des deux tiers des moins de 25 ans ont voté tandis que c’était les trois quarts de la population totale. En 2008, c’était moins de 40% des moins de 25 ans (contre 57% pour l’ensemble de la population ayant droit de vote)4.

Merveilleux! Le problème du décrochage des jeunes serait réglé!

Or is it?

J’ai plutôt l’impression qu’une partie de ces jeunes sont soit remplis de bonnes intentions, soit qu’ils connaissent la bonne réponse et c’est ça qu’ils répondent. (Un peu comme quand le dentiste nous demande si on passe la soie dentaire à tous les jours.)

C’est ce qu’a répondu aussi Sébastien Dallaire, premier vice-président et directeur général pour le Québec chez Ipsos:

Les sondages surestiment l’intention d’aller voter depuis…toujours. Peu importe l’âge.  Il y a une question de désirabilité sociale, mais aussi les gens peuvent avoir “l’intention” d’y aller, mais sans forte conviction et ne se déplacent pas le jour j5.

Quand il parle de «désirabilité sociale», il parle de savoir c’est quoi la bonne réponse.

Sondages et participation électorale

Comme Sébastien Dallaire dit, ce ne sont pas que les jeunes: c’est connu, les gens votent davantage dans les sondages que dans la vraie vie. En fait, je devrais dire que c’est documenté.

Dans un sondage post-électoral, en 2012, 90% des personnes sondées ont répondu avoir voté6. Le taux de participation provincial, toutefois, était de 75%. Un sondage post-électoral de 2008 a été complété par 74% de personnes qui disaient avoir voté alors que le taux de participation avait été de 57%7.

Les chercheurs de 2012 écrivent que c’est «parce que les abstentionnistes sont moins enclins à répondre aux sondages.» Pierre Drouilly, un sociologue qui commentait les résultats du sondage post-électoral de 2008, semble plus d’avis que c’est une question de «bonne réponse»:

Cette sous-estimation du taux de participation est probablement le reflet d’un discours social normatif, moraliste et réprobateur sur le “mauvais citoyen” qui néglige son “devoir démocratique”, alors qu’ailleurs dans le monde, “des gens meurent pour acquérir le droit de voter”8

Il pense donc que les personnes qui répondent aux sondages «manque de sincérité», plutôt que de conclure que les abstentionnistes ne répondent pas au sondage.

Il serait en fait théoriquement possible de vérifier si les personnes sondées mentent ou pas: les abstentionnistes sont le seul groupe de l’électorat auxquelles on peut attacher des données nominatives.

Les «feuilles de bingo»

Le vote est secret (au grand dam d’organisateurs et d’organisatrices comme moi), donc on ne pas savoir avec certitude qui vote CAQ, QS ou Bloc Pot: il faut demander, et les gens ont droit de mentir ou de ne pas répondre.

Sauf que vous avez remarqué, quand vous allez voter, qu’on barre votre nom de sur la liste électorale? C’est pour s’assurer que vous ne reveniez pas voter une deuxième fois. Mais ça veut quand même dire qu’on sait qui a voté et qui n’a pas voté (avec nom, adresse et date de naissance).

Les partis bien organisés utilisent cette information les jours de scrutin (vote par anticipation et le «vrai» jour d’élection) pour savoir qui, parmi les personnes qui les appuient, appeler et rappeler —et rappeler encore!— parce qu’ils et elles ne seraient pas encore aller voter.

Pour y arriver, chaque parti a des runners dans chaque circonscription où il fait sortir son vote. Ces personnes font en voiture ou à vélo la tournée de tous les bureaux de scrutin à chaque heure pour aller chercher les «feuilles de bingo». Celles-ci donnent les numéros d’électeur des personnes qui ont voté depuis la dernière feuille.

On les appelle des «feuilles de bingo» parce que, dans le bon vieux temps que je suis assez vieille pour avoir connu, les directions de scrutin ne fournissaient pas cette information.

Les partis postaient donc des bénévoles à chaque table avec une liste de personnes qui les appuyaient: la fameuse «feuille de bingo». Le personnel électoral donnait le numéro de la personne qui se rendait dans l’isoloir et, quand comme bénévole tu avais ce numéro sur ta feuille, tu criais «bingo!» (intérieurement).

Dans ce bon vieux temps, donc, les runners faisaient la tournée pour ramasser les feuilles de bingo de chaque bénévole de son parti dans chaque bureau de scrutin. Ça faisait beaucoup de va-et-vient et prenait beaucoup d’énergie bénévole pour nourrir la machine à faire sortir le vote!

Différentes sortes d’abstentionnistes

Tout ça pour dire que si les partis savent qui a voté et qui n’a pas voté, les membres de la communauté de recherche universitaire devraient pouvoir le savoir aussi. Il y a sans doute des enjeux de confidentialité qui font en sorte qu’ils n’utilisent pas cette source d’information.

Dans l’article cité ci-dessus, Drouilly a néanmoins caché une typologie intéressante de l’abstentionnisme dans une note de bas de page:

  • l’abstentionnisme «forcé»;
  • l’abstentionnisme «structurel»;
  • l’abstentionnisme «conjoncturel»9.

Abstentionnisme «forcé»

C’est ainsi que Drouilly désigne les personnes qui voulaient aller voter, mais ont eu un empêchement de dernière minute. Il évalue que ça explique l’abstentionnisme de 5% de l’électorat, parce que «c’est le taux qu’on observe dans les pays où le vote est obligatoire».

Le plus intéressant, pour moi, est que c’est exactement le même taux qu’ont trouvé les chercheurs de 2012, sans utiliser le terme! En effet, en construisant le questionnaire du sondage post-électoral, ils sont procédé à une expérience (une information qu’eux aussi ont caché dans une note de bas de page10).

Pour la moitié des personnes sondées, le choix de réponse était binaire (avez-vous voté? oui/non).

L’autre moitié avait quatre choix:

  • «je n’ai pas voté»;
  • «je voulais voter mais je ne l’ai pas fait»;
  • «d’habitude je vote mais je n’ai pas voté cette fois»; et
  • «je suis certain d’avoir voté à cette élection».

Sans surprise, des choix de réponse différents donnent des résultats différents:

Le pourcentage d’abstentions est légèrement plus élevé (5 points) quand on offre aux gens la possibilité de dire qu’ils n’ont pas voté cette fois mais que la chose n’est pas coutume.

Ça ressemble pas mal à la définition de l’abstentionnisme forcé de Drouilly.

Abstentionnisme «structurel»

Drouilly s’étend peu sur ce type d’abstentionnisme:

c’est un abstentionnisme d’origine sociologique, qui est le fait de populations défavorisées au plan économique, culturel et politique. Il est aussi le fait de populations en situation d’anomie sociale et (ou) d’isolement géographique.

C’est ce qui expliquerait donc que les habitations à loyer modique (HLM) votent peu, même lorsque les partis tentent spécifiquement de rejoindre les populations défavorisées qui y vivent. (L’équipe de Françoise David avait été déçue de constater que ses efforts particuliers n’avaient pas été récompensés dans Gouin en 2008.)

Si l’abstentionnisme «forcé» est donc temporaire pour une personne donnée, l’abstentionnisme «structurel» serait difficile à changer sans améliorer les conditions de vie des personnes qu’il affecte:

C’est l’abstentionnisme structurel qui explique que certaines circonscriptions votent toujours moins que la moyenne: ce sont généralement des circonscriptions défavorisées dans les centres urbains comme le Centre-Sud de Montréal (Hochelaga-Maisonneuve, Sainte-Marie-Saint-Jacques, Saint-Henri-Sainte-Anne), ainsi que certaines circonscriptions éloignées (en Gaspésie, en Abitibi-Témiscamingue, sur la Côte-Nord).

Drouilly évalue l’abstentionnisme «structurel» à environ 10%-15% parce que «dans le meilleur des cas les taux de participation ont de la difficulté à dépasser les 80%».

Abstentionnisme «conjoncturel»

C’est le type d’abstentionnisme qui intéresse le plus Drouilly parce qu’il croit que c’est lui qui fluctue d’élection en élection: il dit qu’il «origine du contexte de chaque consultation».

À une élection donnée, des électeurs peuvent s’abstenir davantage, soit qu’ils ne trouvent pas de parti à leur goût (c’était le cas des électeurs souverainistes aux élections fédérales avant l’apparition du Bloc québécois); soit qu’ils soient en rupture avec leur parti naturel, mais pas au point de voter pour l’adversaire; soit encore que l’enjeu de la consultation leur soit indifférent.

Drouilly, dans son article, analyse les quatre élections qui se sont déroulées entre 1998 et 2008. En 2007 et 2008, le taux de participation a connu une chute spectaculaire. C’est d’ailleurs pourquoi le Directeur général des élections du Québec avait mandaté la Chaire de recherche sur la démocratie et les institutions parlementaires pour étudier «Les motifs de la participation électorale au Québec: Élection de 2008», une enquête citée ci-dessus.

Nous reviendrons à l’hypothèse principale de Drouilly et aux changements au taux de participation dans la dernière décennie. Un indice: Bryan Breguet en parle dans ce billet sur des ajustements qu’il a apportés à son modèle.

Notes

Réaction

Les projections ne sont *pas* des sondages!

Petite montée de lait en cette journée où j’ai découvert que j’étais une experte1: les projections ne sont pas des sondages! (Si vous le savez déjà, mais voulez comprendre comment ça marche, une projection, vous pouvez vous rendre tout de suite à la section de ce billet où j’en parle.)

En effet, les plus récents sondages placent le candidat sortant, Jean-François Lisée, presque ex æquo avec son adversaire et nouveau venu chez Québec solidaire (QS), Vincent Marissal.
Source: Delacour, Emmanuel. «Rosemont: Une course qui promet d’être serrée». Journal de Rosemont, 4 septembre 2018.

C’est Martin qui a encerclé ce paragraphe dans son journal local. «[L]es plus récents sondages» au 4 septembre donnaient Jean-François Lisée loin derrière François Legault et Philippe Couillard alors qu’un seul le plaçait devant Vincent Marissal: celui commandé par le Parti québécois dont on n’a jamais vu le rapport.

Vous avez bien lu: la vaste majorité des sondages sont nationaux. Le Parti québécois a publié des sondages locaux dans les circonscriptions de Rosemont et de Joliette, où se présentent le tandem Jean-François Lisée/Véronique Hivon. Mainstreet commence à mener des sondages dans certaines circonscriptions ciblées (dont Rosemont) pour son Baromètre Élections 2018, mais ils ne sont pas encore publiés.

Le journaliste voulait donc sans doute dire «les projections basées sur les plus récents sondages», en parlant de Qc125 et de Too Close To Call. (Il y a un troisième modèle qui m’était jusqu’à aujourd’hui inconnu: j’en parle plus bas.)

Des exemples à suivre et à éviter

Un exemple à mes yeux encore bien pire est paru samedi dernier dans le HuffPost:

Il y a quelques semaines, les sondages disponibles laissaient entrevoir une course à quatre dans Rosemont. La candidate de la CAQ Sonya Cormier récoltait 24% d’appuis, autant que MM. Lisée et Marissal, alors que la libérale Agata La Rosa suivait de près à 21%.

Depuis, le chef péquiste et le candidat solidaire se sont détachés quelque peu du lot, mais Mme Cormier estime qu’elle incarne une option intéressante.2

La candidate de la CAQ Sonya Cormier ne «récoltait» pas des appuis, on lui projetait plutôt 24% d’appuis. De plus, les seuls mouvements d’opinion publique mesurés ont été nationaux puisqu’il n’y a pas encore eu deux sondages locaux publiés pour la même circonscription: on ne peut donc pas dire que «le chef péquiste et le candidat solidaire se sont détachés […] du lot». On pourrait au mieux dire que la légère baisse de la CAQ à l’échelle nationale risque de se répercuter sur sa candidate dans Rosemont.

L’article de CTV auquel réfère le lien dans le HuffPost s’exprime mieux, en ne distinguant pas entre les trois «meneurs», quoique j’aurais ajouté un petit «All three are projected to have» au dernier paragraphe:

The QC125.com projection shows Lisée has about the same amount of support as Quebec Solidaire candidate and former journalist Vincent Marissal, and the CAQ’s Sonya Cormier, the director of the Movement to end homelessness in Montreal (MMFIM).

All three have from 24.2 to 24.6 percent support, while Liberal candidate Agata La Rosa, a school commissioner with the Pointe de L’Ile school board, has 21.3 percent support.3

Comme je l’ai dit dans l’entrevue qui a consacré mon statut d’experte (j’espère que vous constatez à quel point je trouve ça drôle):

Il y a beaucoup de gens qui pensent que les projections sont basées sur des sondages locaux. Non! Ce sont des sondages nationaux qui sont traduits en résultats locaux sur la base des résultats à la dernière élection, sur les changements démographiques du recensement, et d’autres informations si possible, comme Nate Silver aux États-Unis qui évalue le financement des candidats, la présence de scandales, l’avantage d’être un élu sortant qui se représente.4

Comment ça marche, une projection?

La section «Données, sondages et projections» dans notre b.a.-ba des élections donne un aperçu de la différence entre sondages et projections.

Je propose dans ce billet d’entrer dans la boîte noire des modèles de projection avec un nouveau modèle produit par des chercheurs universitaires, une collaboration entre un prof de McGill, Benjamin Forest, et un diplômé de l’Université de Montréal maintenant post-doctorant à Berkeley en Californie, Eric Guntermann. C’est un ami qui travaille aux communications à McGill qui m’en a glissé un mot.

Ce modèle a le net avantage de décrire de manière complètement transparente sa méthodologie. Pour vous donner une idée de comment fonctionnent les modèles, je vais en extraire les étapes.

Des choix à faire

Tous les modèles utilisent les sondages pour évaluer comme les résultats changeront par rapport à l’élection précédente. Voici, donc, les quatre questions auxquelles doivent répondre les modèles:

  • Comment se traduisent les résultats de 2014 sur la carte de 2017?
  • Comment ont bougé les appuis de chaque parti depuis les dernières élections?
  • Comment ça se traduit dans chaque circonscription?
  • Qu’est-ce que ça donne en termes de nombre de sièges?

Les modélisateurs peuvent choisir différentes façons plus ou moins sophistiquées d’y répondre. Comme Benjamin Forest est géographe, il s’est donné particulièrement du trouble pour rendre compte des changements à la carte électorale: c’est son expertise!

À la troisième question, par contre, le modèle Guntermann/Forest ne fait intervenir que les sondages nationaux. Rien sur les changements démographiques enregistrés au dernier recensement, sur les candidatures, sur les sondages locaux.

Voyons de plus près.

Comment se traduisent les résultats de 2014 sur la carte de 2017?

La carte électorale a changé l’année dernière. Les élections de 2012 et de 2014 se sont déroulées avec la carte de 2011; cette année, nous utilisons pour la première fois la carte de 2017, qui a enlevé une circonscription en Mauricie et à Montréal pour en ajouter deux dans la couronne nord de Montréal.

Il faut donc redistribuer les résultats de 2014 sur la nouvelle carte. Voici comment le modèle Guntermann/Forest s’y prend. Je vous invite à lire leurs explications, bien illustrées par un tableau et une carte, que j’ai reproduite.

Établir la correspondance entre les sections de vote de 2014 et les limites des circonscriptions de 2017

Carte de sections de vote de 2014 chevauchant deux circonscriptions de la carte de 2017 avec leur barycentres
Source: Guntermann, Eric et Benjamin Forest. «Méthodologie». Élections québécoises de 2018, Centre pour l’étude de la citoyenneté démocratique. Consulté le 6 septembre 2018, Carte 1.

Les sections de vote sont les plus petites subdivisions des circonscriptions. À l’aide d’un système d’information géographique (qu’on appelle souvent par son acronyme en anglais, GIS, pour geographic information system), Guntermann et Forest ont trouvé la circonscription de la carte de 2017 dans laquelle se trouve chaque section de vote de 2014.

C’est simple quand une section de vote se trouve entièrement dans une circonscription, mais ça se complique quand elle en chevauche deux. À la vue de la carte ci-contre, on se dit qu’on pourrait utiliser la méthode «y’inqu’à voir, on voit ben» (™ Anne-Marie Éthier, ma prof de maths en secondaire IV), mais ce serait long longtemps et peut-être pas toujours aussi évident5.

Pour déterminer chaque section de vote mitoyenne se trouve «plus dans laquelle» circonscription, Guntermann et Forest ont donc calculé son barycentre (point central) et établi il se situait dans laquelle deux des circonscriptions.

Répartir les votes qui ne sont pas attribués à une section de vote

Les résultats par section de vote ne sont disponibles que pour les voix exprimées le jour du scrutin. Les résultats du vote par anticipation sont donnés par bureau de vote par anticipation (BVA), des regroupements d’une dizaine de sections de vote6. Les résultats du vote par la poste, dans un bureau de vote itinérant et en prison ne sont donnés que pour la grandeur de la circonscription.

Guntermann et Forest ont fait deux choix:

  1. ignorer les BVA à titre de subdivisions de circonscriptions;
  2. supposer que les votes d’un même parti seraient distribués de la même façon au sein de la circonscription le jour du scrutin et avec les autres moments/façons de voter.

Ils ont donc redistribué, pour chaque parti et dans chaque circonscription, les résultats du vote par anticipation, par la poste, dans un bureau de vote itinérant et en prison en fonction de la répartition géographique des votes du parti au jour J dans chaque section de vote de la circonscription.

Ils ont ensuite additionné dans chaque section de vote et pour chaque parti cette estimation et les votes obtenus le jour J.

Comment ont bougé les appuis de chaque parti depuis les dernières élections?

Guntermann et Forest font le choix d’utiliser un seul sondage pour effectuer leur projection: le plus récent. Pour leur dernière projection, donc, ils utilisent le sondage Léger qui s’est terminé le 28 août.

Ils comparent donc à l’échelle nationale ce sondage aux résultats de 2014 en faisant pour chaque parti une simple division (pourcentage du parti au plus récent sondage national sur pourcentage obtenu par le parti en 2014).

Ils obtiennent donc cinq variations depuis la dernière élection, une pour chaque parti représenté à l’Assemblée nationale ainsi qu’une dernière pour les autres partis.

Comment ça se traduit dans chaque circonscription?

C’est sur cette question qu’on peut s’attendre à ce que les modèles divergent le plus.

Guntermann et Forest font 1000 simulations.

Dans les paramètres de leurs simulations, ils donnent l’hypothèse de départ suivante: le résultat de chaque parti en 2018 dépendra dans chaque circonscription d’une variation (swing) uniforme pour ce parti à travers la province, calculée à l’étape précédente. Ils génèrent des variations aléatoires pour chaque parti dans chaque circonscription à partir de cette hypothèse. Ensuite, ils multiplient le résultat du parti en 2014 dans la circonscription par la variation aléatoire de cette simulation-là.

Finalement, ils présentent les résultats par circonscription comme étant les chances de chaque parti de remporter le siège, c’est-à-dire le nombre de simulations dans lesquelles ce parti a rapporté le plus grand pourcentage de votes, divisé par 1000 (le nombre total de simulations).

Ils fournissent également un deuxième tableau avec le pourcentage obtenu par chaque parti dans la simulation médiane de chaque circonscription.

Qu’est-ce que ça donne en termes de nombre de sièges?

Pour déterminer le parti qui formera le gouvernement et si celui-ci sera minoritaire ou majoritaire, il faut additionner tous ces résultats par circonscription.

Chaque simulation est comme le résultat d’une élection hypothétique: on a des pourcentages pour chaque parti représenté à l’Assemblée nationale dans chaque circonscription, donc un gagnant dans chaque circonscription et, ultimement, un nombre de sièges remportés par chaque parti dans cette élection hypothétique.

On a donc une série de 1000 nombres de sièges pour chacun des quatre partis. Le modèle présente pour chaque parti la médiane de ces 1000 résultats, c’est-à-dire la moyenne entre le 500e et le 501e résultat lorsqu’ils sont placés en ordre croissant ou décroissant (ça revient au même).

Finalement, le modèle rend compte de l’incertitude en calculant l’intervalle de confiance à 95%. Autrement dit, on élimine les 25 simulations qui donnent le nombre de sièges le plus bas et les 25 simulations qui donnent le nombre de sièges le plus haut.

Pour leur dernière projection, qui date du 2 septembre, ça donne:

Projections du 2 septembre 2018 du modèle Guntermann/Forest
Source: Guntermann, Eric, et Benjamin Forest. «Projections actuelles (2 septembre 2018)». Élections québécoises de 2018, Centre pour l’étude de la citoyenneté démocratique.

On regardera comment Qc125 et Too Close To Call s’y prennent la prochaine fois.

Notes

Réaction

Visualisation et mode de collecte de données

Je vous ai laissés en suspens vendredi dernier en vous promettant une nouvelle visualisation des plus récents sondages. Pour se rafraîchir la mémoire, la marge d’erreur dépend du pourcentage obtenu dans le sondage (elle augmente à mesure qu’il s’approche de 50%) et de la taille de l’échantillon (l’un monte quand l’autre descend), pas de la taille de la population dont on veut connaître l’opinion.

Chose promise, chose due

J’ai refait un graphique similaire à celui de Qc125 (avec les marges d’erreur cette fois) pour les trois derniers sondages du diagramme présenté. J’ai joint le sondage de Forum (effectué le 23 août auprès de 965 personnes) et le dernier Léger (effectué du 24 au 28 août auprès de 1010 personnes)1.

J’ai d’abord tenté de le faire dans Google Spreadsheets, pour que vous puissiez accéder au fichier et vérifier le tout. Toutefois, je n’avais la possibilité que de mettre une barre d’erreur constante ou en pourcentage, or, nous avons vu vendredi que c’était justement un peu plus compliqué que ça.

J’ai aussi essayé avec Excel et son équivalent en logiciel libre LibreOffice pour arriver toujours au même problème: pas moyen de définir une barre d’erreur différente pour chaque point. Ce n’est donc pas surprenant qu’on voit aussi peu de représentations des données de sondage avec leurs marges d’erreur.

J’arrivais réussi à m’en sortir en faisant des graphiques en chandeliers comme on utilise pour représenter l’évolution des cours boursiers, mais Martin trouvait ça laid. Pour plaire donc à la moitié responsable du visuel de notre duo, j’ai donc sorti l’artillerie lourde: j’ai programmé le graphique dans le logiciel libre d’analyse statistique R.

Après plusieurs heures de gossage, ç’a donné ceci2:

Intentions de vote avant répartition avec marge d'erreur dans les sondages complétés entre le 20 et le 28 août 2018

Le point situe le résultat du parti dans le sondage. Le trait vertical, délimité par deux barres horizontales, indique l’intervalle de confiance si on tient compte de la marge d’erreur à 95% (ou 19 fois sur 20). On constate que les traits en haut sont plus longs que les traits en bas. Comme on l’a rappelé au début, la marge d’erreur augmente avec la proportion (ou plutôt sa proximité à 50%).

On voit ainsi en comparant les scores des différents partis verticalement au sein d’un même sondage que:

  • dans CROP, la CAQ et le PLQ sont à égalité statistique;
  • dans Forum, le PLQ est plutôt à égalité statistique avec le PQ (et la CAQ loin devant);
  • dans Léger, les intentions de vote pour la CAQ et le PLQ se chevauchent, donc sont à égalité statistique comme dans CROP.

Différences de mode de collecte de données

Bryan Breguet de Too Close To Call s’est penché jeudi sur les scores qui divergent d’un sondage à l’autre dans un billet intitulé «Québec Solidaire à 8 ou 14%?». Il est troublé par le fait que la divergence suit la différence dans le mode de collecte de données:

Intentions de vote pour QS avec marge d'erreur avant répartition dans les sondages complétés entre le 20 et le 28 août 2018

On constate que trois sondages situent le parti sous la barre des 10% et deux, ceux qui sont effectués par appels automatisés, sont au-dessus. Plus important encore: les résultats de ces deux groupes ne se chevauchent pas, même si on tient compte de la marge d’erreur. (Aucune des barres horizontales ne touche à la ligne des 10%.)

Mainstreet et Forum, qui utilisent des appels automatisés, obtiennent donc des résultats significativement plus élevés que CROP et Léger, qui utilisent des panels Web, et Ipsos. Cette dernière firme combine une collecte de données en ligne avec la bonne vieille méthode des êtres humains qui appellent d’autres êtres humains pour leur poser des questions.

Pareil, pas pareil?

Bryan a fait 10000 simulations pour conclure que soit Mainstreet, soit Léger se trompe. Il a supposé que les intentions de vote «réelles» à l’égard de Québec solidaire se situaient à 10%. Il a simulé pour une taille d’échantillon de 1010 personnes sondées, comme dans Léger.

Sur l’axe horizontal, on trouve les intentions de vote de Québec solidaire (centrées à 10% parce que c’est l’hypothèse de départ). Sur l’axe vertical, c’est le nombre de simulations pour lesquelles Québec solidaire obtenait un pourcentage donné.

Distribution de 10000 simulations
avec QS à 10% et une taille d’échantillon de 1010

Distribution de 10000 simulations avec QS à 10% et une taille d’échantillon de 1010
Source: Breguet, Bryan. «@Alex_Blanchet Voici la distribution de 10000 simulations avec QS à 10% et taille d’échantillon de 1010. Est-ce possible d’etre sous les 8? oui mais peu probable. Et être au-dessus de 13 (avec taille ech de 2650) est quasi impossible». Tweet. @2closetocall, 30 août 2018.

Léger a Québec solidaire à 6%: on voit que très peu de simulations placent le parti de gauche sous les 7%. Pour Mainstreet, Bryan utilise les données des sondages quotidiens (pour lesquels l’accès est payant). Québec solidaire était alors à 13,1% (il a depuis passé la barre des 15%). Encore une fois, à peu près aucune simulation n’obtenait des résultats aussi hauts.

Un effet que sur les intentions de vote pour Québec solidaire

Si on regarde les résultats pour les autres partis, on constate qu’il n’y a pas de biais systématique en fonction du mode de collecte des données.

Forum (qui utilise des appels automatisés) place la Coalition avenir Québec et le Parti québécois loin devant les autres, au-delà des marges d’erreur.

Intentions de vote pour la CAQ avec marge d'erreur avant répartition dans les sondages complétés entre le 20 et le 28 août 2018 Intentions de vote pour le PQ avec marge d'erreur avant répartition dans les sondages complétés entre le 20 et le 28 août 2018

Quant au Parti libéral, c’est CROP qui le place anormalement haut.

Intentions de vote pour le PLQ avec marge d'erreur avant répartition dans les sondages complétés entre le 20 et le 28 août 2018

On va donc surveiller de près l’évolution des différences entre les intentions de vote mesurées par les différentes maisons de sondage. Elles ne semblent toutefois importantes que pour déterminer la composition de l’Assemblée nationale puisque l’identité du gouvernement semble déjà déterminée: le billet d’hier sur Too Close To Call s’intitule «La CAQ a plus de 99% de chances de gagner!» (toujours si l’élection se tenait aujourd’hui).

Données sources

Vous pouvez consulter le tableur qui a permis de faire les graphiques sur Google Spreadsheets.

Notes