Je ne peux pas vous dire à quel point je suis heureuse du fait que Catherine Fournier, députée de Marie-Victorin (à Longueuil), ait quitté le Parti québécois! Non non, ce n’est pas ce que vous croyez!
Je ne dis pas ça pour des raisons partisanes: c’est parce qu’on peut maintenant affirmer sans réserve que le PQ est le parti des régions (ou un parti de régions).
Les détours à prendre pour qu’une analyse soit rigoureusement exacte —c’est-à-dire contienne toutes les nuances nécessaires pour représenter la situation sans généralisation hâtive— m’ont paralysée au point que j’ai trouvé dans mes dossiers deux brouillons de billets sur la répartition géographique des voix: un avant et un après avoir reçu les résultats du scrutin! Et bien sûr, aucun des deux n’a été publié.
Je remercie donc Catherine du fond du cœur d’avoir initié le déblocage qui fait que, ce soir, je sors de mon hibernation post-électorale et que je vous parle finalement des dix régions sociologiques de Pierre Drouilly. Je ferai toutefois avant un détour par un article de la Presse canadienne sur le programme du Parti québécois qui était malheureusement passé plutôt inaperçu cet été.
Disparu (pour l’instant) des grandes villes
Je dois l’avouer: je n’ai pas immédiatement fait le lien en entendant l’annonce. C’est plutôt en voyant ce meme mis en ligne par une page Facebook très partisane pro-Québec solidaire:
C’est là que j’ai réalisé que l’astérisque venait de disparaître, qu’on pouvait le dire de manière toute simple: le Parti québécois est présentement le parti des régions.
Heureusement, le parti l’avait vu venir et avait prévu le coup dans son programme. C’était ce que titrait la Presse canadienne au regard de son analyse des «données lexicales» de celui-ci: «Le PQ place l’État et les régions d’abord et l’indépendance se fait discrète»1.
Pour ce projet, la stagiaire en journalisme de données de la Presse canadienne, Shannon Pécourt, avait compté le nombre d’occurrences de chaque mot dans le programme. (Pas à la mitaine, là, sans doute avec un logiciel d’analyse qualitative assistée par ordinateur ou logométrique.)
L’article relevait la phrase prémonitoire suivante, que le parti a par ailleurs utilisé à plusieurs autres endroits dans ses communications: «Le Parti Québécois (sic) a toujours été et demeure le parti des régions»2.
Au palmarès des mots les plus souvent employés, la Presse canadienne a trouvé que «région» et «régions» arrivaient respectivement au 12e et au 13e rangs. (Oui oui, ils ont été comptés séparément…)
Le résultat avait surpris le politologue consulté, Thierry Giasson, de l’Université Laval. Il y a vu une démonstration du fait que les péquistes avaient conscience des difficultés qui les attendaient: «Ils savent qu’ils vont probablement avoir des luttes serrées en Abitibi, dans le bas du fleuve, dans Lanaudière, etc.» Finalement, le PQ les a toutes perdues sauf Rimouski et Joliette, où Harold Lebel et la vice-chef Véronique Hivon ont respectivement tenu le coup.
Le repli de la députation péquiste dans les régions concorde tout à fait avec l’analyse du sociologue Pierre Drouilly en 2012 dans son article «La structure des appuis aux partis politiques québécois, 1998-2008». C’est donc l’occasion pour moi de finalement vous parler de comment il propose de diviser le Québec pour les fins d’analyse électorale.
Du journalisme de données?
Je me permets avant une courte aparté. L’article de la Presse canadienne est passé beaucoup plus sous le silence que je ne l’aurais cru, surtout au sein de la communauté des tripeux de données électorales. Toutefois, j’ai souri tantôt en relisant le terme «données textuelles».
Je suis historienne du livre et je monte des bases de données à partir desquelles j’effectue des visualisations de données.
Ainsi, à titre de digital humanist, je trouve l’analyse proposée extrêmement superficielle: ce n’est normalement que le point de départ en stylométrie ou en topic modelling. Les occurrences de mots de la même famille n’ont même pas été combinés, malgré le fait que les notes méthodologiques précisent que «[l]’analyse lexicale implique ensuite de regrouper les mots significatifs selon différents thèmes auxquels ils sont reliés»!
Saluons tout de même la présence de notes méthodologiques, encore beaucoup trop rares en journalisme de données. J’ai également apprécié le fait que le programme ait été analysé sur le plan strictement textuel, sans interférence provenant de l’analyse des considérations tactiques. (Là, c’est probablement la littéraire qui parle.)
Les dix régions du Québec
J’ai déjà parlé de l’article de Drouilly en discutant d’abstention. J’ai aussi mentionné au passage sa proposition principale, la division du Québec en dix régions sociologiques, en présentant les trois «régions» de Montréal dans le billet qui abordait la vidéo de la campagne de Québec solidaire dans Jeanne-Mance—Viger.
Revoici les 27 circonscriptions montréalaises de la carte de 2017 réparties dans les trois régions sociologiques de Drouilly: l’Ouest de Montréal anglophone en rouge, l’Est francophone en bleu et le Nord-est allophone en jaune.
Le Québec hors de l’île de Montréal est donc divisé en sept régions. Les banlieues métropolitaines sont séparées en deux régions parce que sinon, elles formeraient une région beaucoup trop grosse. Drouilly les appelle les Basses-Laurentides et la Montérégie, bien que ses régions sociologiques ne correspondent pas parfaitement aux regroupements administratifs du même nom.
Le Grand Montréal compte ainsi cinq régions, il en reste cinq pour le reste du Québec.
La Capitale-Nationale et Chaudière-Appalaches sont réorganisés en «Québec réfractaire» pour la ville de Québec et ses banlieues (c’est le terme à Drouilly, pas le mien!) et en «Québec tranquille» pour la Beauce. Ensuite, si on simplifie, l’Outaouais et l’Estrie sont réunis en un «Québec frontalier», puis le Centre-du-Québec et la Mauricie donnent le «Centre du Québec» (très original, je sais).
Tout le reste du Québec, donc toutes les régions éloignées, se retrouve dans le «Québec septentrional». Si vous ne vous souvenez plus de votre géographie secondaire II, «septentrional», c’est l’adjectif qui veut dire «du Nord».
Le Québec septentrional
Pour décrire le Québec septentrional, Drouilly souligne «le niveau plus élevé de politisation qu’on y rencontre, plus élevé que pour des populations ailleurs au Québec qui ont un niveau d’éducation semblable». En revenant sur l’histoire économique et sociale des régions éloignées, Drouilly explique pourquoi, en ajoutant qu’elles sont «une terre fertile pour le PQ: forte présence ouvrière et longue histoire de luttes sociales»3. Certaines régions, comme la Côte-Nord et le Saguenay—Lac-Saint-Jean, deviennent des châteaux forts du parti dès son entrée en scène.
En conclusion de son article, Drouilly fait remarquer qu’à l’élection de 2007, qui avait porté le Parti libéral du Québec au pouvoir et relégué le PQ en Deuxième Opposition officielle derrière la défunte Action démocratique du Québec (ADQ), le PQ en était à ses derniers retranchements: «il n’en reste [de l’alliance politique des années 1970] que les milieux populaires de l’Est de Montréal, les régions défavorisées du Québec septentrional et le groupe déclinant des boomers banlieusards»4.
À l’automne dernier, ce qui restait de péquiste dans les milieux populaires de l’Est de Montréal a déserté pour Québec solidaire (Rosemont et Hochelaga) et pour la Coalition avenir Québec (Pointe-aux-Trembles et Bourget). On ne sait pas si ce sont les «boomers banlieusards» de Longueuil qui ont élu Catherine Fournier ou un autre groupe démographique, mais il n’y avait qu’elle qui avait survécu au tsunami caquiste dans le 450.
Il ne manque donc plus qu’à Véronique Hivon de démissionner pour que le Parti québécois soit entièrement retranché dans le Québec septentrional. Toutefois, comme montréalo-centriste, je me permets de considérer Joliette comme étant en région, donc je n’ai pas de problème à affirmer sans ambage que le Parti québécois n’est qu’un parti de régions.
Réalignement?
Après avoir décrit la situation en 2007, Drouilly avait émis une hypothèse: cette élection aurait marqué un passage «d’un système d’opposition “fédéraliste/souverainiste”, à un système d’opposition “fédéraliste/autonomiste” qui nous aurait ramenés aux années 1950»5. Il rejette toutefois aussitôt cette hypothèse. En effet, dès l’élection suivante, celle de 2008, l’ADQ s’est effondrée, rétablissant le bipartisme qui positionne libéraux contre péquistes depuis la création du parti de René Lévesque.
On le sait maintenant, Drouilly avait tort de voir dans l’élection de 2008 un rétablissement à la situation initiale. On assiste bel et bien depuis une quinzaine d’années à un réalignement du système politique sur un axe qui reste toujours à définir (droite/gauche? identitaire/ouvert?).
Une chose demeure certaine: nous n’assistons pas à un retour à l’opposition des années 1950 entre fédéralistes et autonomistes! Les lignes de fracture ont bougé, et la CAQ a réussi son pari de reléguer le débat constitutionnel aux calendes grecques.