Réaction

PQ, parti de(s) régions

Je ne peux pas vous dire à quel point je suis heureuse du fait que Catherine Fournier, députée de Marie-Victorin (à Longueuil), ait quitté le Parti québécois! Non non, ce n’est pas ce que vous croyez!

Je ne dis pas ça pour des raisons partisanes: c’est parce qu’on peut maintenant affirmer sans réserve que le PQ est le parti des régions (ou un parti de régions).

Les détours à prendre pour qu’une analyse soit rigoureusement exacte —c’est-à-dire contienne toutes les nuances nécessaires pour représenter la situation sans généralisation hâtive— m’ont paralysée au point que j’ai trouvé dans mes dossiers deux brouillons de billets sur la répartition géographique des voix: un avant et un après avoir reçu les résultats du scrutin! Et bien sûr, aucun des deux n’a été publié.

Je remercie donc Catherine du fond du cœur d’avoir initié le déblocage qui fait que, ce soir, je sors de mon hibernation post-électorale et que je vous parle finalement des dix régions sociologiques de Pierre Drouilly. Je ferai toutefois avant un détour par un article de la Presse canadienne sur le programme du Parti québécois qui était malheureusement passé plutôt inaperçu cet été.

Disparu (pour l’instant) des grandes villes

Je dois l’avouer: je n’ai pas immédiatement fait le lien en entendant l’annonce. C’est plutôt en voyant ce meme mis en ligne par une page Facebook très partisane pro-Québec solidaire:

L'ensemble des député-e-s péquistes du Grand Montréal quitte le PQ
Source: Québec solidank, Facebook, 11 mars 2019

C’est là que j’ai réalisé que l’astérisque venait de disparaître, qu’on pouvait le dire de manière toute simple: le Parti québécois est présentement le parti des régions.

Heureusement, le parti l’avait vu venir et avait prévu le coup dans son programme. C’était ce que titrait la Presse canadienne au regard de son analyse des «données lexicales» de celui-ci: «Le PQ place l’État et les régions d’abord et l’indépendance se fait discrète»1.

Pour ce projet, la stagiaire en journalisme de données de la Presse canadienne, Shannon Pécourt, avait compté le nombre d’occurrences de chaque mot dans le programme. (Pas à la mitaine, là, sans doute avec un logiciel d’analyse qualitative assistée par ordinateur ou logométrique.)

L’article relevait la phrase prémonitoire suivante, que le parti a par ailleurs utilisé à plusieurs autres endroits dans ses communications: «Le Parti Québécois (sic) a toujours été et demeure le parti des régions»2.

Au palmarès des mots les plus souvent employés, la Presse canadienne a trouvé que «région» et «régions» arrivaient respectivement au 12e et au 13e rangs. (Oui oui, ils ont été comptés séparément…)

Le résultat avait surpris le politologue consulté, Thierry Giasson, de l’Université Laval. Il y a vu une démonstration du fait que les péquistes avaient conscience des difficultés qui les attendaient: «Ils savent qu’ils vont probablement avoir des luttes serrées en Abitibi, dans le bas du fleuve, dans Lanaudière, etc.» Finalement, le PQ les a toutes perdues sauf Rimouski et Joliette, où Harold Lebel et la vice-chef Véronique Hivon ont respectivement tenu le coup.

Le repli de la députation péquiste dans les régions concorde tout à fait avec l’analyse du sociologue Pierre Drouilly en 2012 dans son article «La structure des appuis aux partis politiques québécois, 1998-2008». C’est donc l’occasion pour moi de finalement vous parler de comment il propose de diviser le Québec pour les fins d’analyse électorale.

Du journalisme de données?

Je me permets avant une courte aparté. L’article de la Presse canadienne est passé beaucoup plus sous le silence que je ne l’aurais cru, surtout au sein de la communauté des tripeux de données électorales. Toutefois, j’ai souri tantôt en relisant le terme «données textuelles».

Je suis historienne du livre et je monte des bases de données à partir desquelles j’effectue des visualisations de données.

Ainsi, à titre de digital humanist, je trouve l’analyse proposée extrêmement superficielle: ce n’est normalement que le point de départ en stylométrie ou en topic modelling. Les occurrences de mots de la même famille n’ont même pas été combinés, malgré le fait que les notes méthodologiques précisent que «[l]’analyse lexicale implique ensuite de regrouper les mots significatifs selon différents thèmes auxquels ils sont reliés»!

Saluons tout de même la présence de notes méthodologiques, encore beaucoup trop rares en journalisme de données. J’ai également apprécié le fait que le programme ait été analysé sur le plan strictement textuel, sans interférence provenant de l’analyse des considérations tactiques. (Là, c’est probablement la littéraire qui parle.)

Les dix régions du Québec

J’ai déjà parlé de l’article de Drouilly en discutant d’abstention. J’ai aussi mentionné au passage sa proposition principale, la division du Québec en dix régions sociologiques, en présentant les trois «régions» de Montréal dans le billet qui abordait la vidéo de la campagne de Québec solidaire dans Jeanne-Mance—Viger.

Revoici les 27 circonscriptions montréalaises de la carte de 2017 réparties dans les trois régions sociologiques de Drouilly: l’Ouest de Montréal anglophone en rouge, l’Est francophone en bleu et le Nord-est allophone en jaune.

Sources: «Fichiers de la géométrie des circonscriptions électorales du Québec (2017)». Élections Québec. Consulté le 26 septembre 2018; Drouilly, Pierre. «La structure des appuis aux partis politiques québécois, 1998-2008». Dans Les partis politiques québécois dans la tourmente: Mieux comprendre et évaluer leur rôle, 131‑68. Québec: Presses de l’Université Laval, 2012.

Le Québec hors de l’île de Montréal est donc divisé en sept régions. Les banlieues métropolitaines sont séparées en deux régions parce que sinon, elles formeraient une région beaucoup trop grosse. Drouilly les appelle les Basses-Laurentides et la Montérégie, bien que ses régions sociologiques ne correspondent pas parfaitement aux regroupements administratifs du même nom.

Le Grand Montréal compte ainsi cinq régions, il en reste cinq pour le reste du Québec.

La Capitale-Nationale et Chaudière-Appalaches sont réorganisés en «Québec réfractaire» pour la ville de Québec et ses banlieues (c’est le terme à Drouilly, pas le mien!) et en «Québec tranquille» pour la Beauce. Ensuite, si on simplifie, l’Outaouais et l’Estrie sont réunis en un «Québec frontalier», puis le Centre-du-Québec et la Mauricie donnent le «Centre du Québec» (très original, je sais).

Tout le reste du Québec, donc toutes les régions éloignées, se retrouve dans le «Québec septentrional». Si vous ne vous souvenez plus de votre géographie secondaire II, «septentrional», c’est l’adjectif qui veut dire «du Nord».

Le Québec septentrional

Pour décrire le Québec septentrional, Drouilly souligne «le niveau plus élevé de politisation qu’on y rencontre, plus élevé que pour des populations ailleurs au Québec qui ont un niveau d’éducation semblable». En revenant sur l’histoire économique et sociale des régions éloignées, Drouilly explique pourquoi, en ajoutant qu’elles sont «une terre fertile pour le PQ: forte présence ouvrière et longue histoire de luttes sociales»3. Certaines régions, comme la Côte-Nord et le Saguenay—Lac-Saint-Jean, deviennent des châteaux forts du parti dès son entrée en scène.

En conclusion de son article, Drouilly fait remarquer qu’à l’élection de 2007, qui avait porté le Parti libéral du Québec au pouvoir et relégué le PQ en Deuxième Opposition officielle derrière la défunte Action démocratique du Québec (ADQ), le PQ en était à ses derniers retranchements: «il n’en reste [de l’alliance politique des années 1970] que les milieux populaires de l’Est de Montréal, les régions défavorisées du Québec septentrional et le groupe déclinant des boomers banlieusards»4.

À l’automne dernier, ce qui restait de péquiste dans les milieux populaires de l’Est de Montréal a déserté pour Québec solidaire (Rosemont et Hochelaga) et pour la Coalition avenir Québec (Pointe-aux-Trembles et Bourget). On ne sait pas si ce sont les «boomers banlieusards» de Longueuil qui ont élu Catherine Fournier ou un autre groupe démographique, mais il n’y avait qu’elle qui avait survécu au tsunami caquiste dans le 450.

Il ne manque donc plus qu’à Véronique Hivon de démissionner pour que le Parti québécois soit entièrement retranché dans le Québec septentrional. Toutefois, comme montréalo-centriste, je me permets de considérer Joliette comme étant en région, donc je n’ai pas de problème à affirmer sans ambage que le Parti québécois n’est qu’un parti de régions.

Réalignement?

Après avoir décrit la situation en 2007, Drouilly avait émis une hypothèse: cette élection aurait marqué un passage «d’un système d’opposition “fédéraliste/souverainiste”, à un système d’opposition “fédéraliste/autonomiste” qui nous aurait ramenés aux années 1950»5. Il rejette toutefois aussitôt cette hypothèse. En effet, dès l’élection suivante, celle de 2008, l’ADQ s’est effondrée, rétablissant le bipartisme qui positionne libéraux contre péquistes depuis la création du parti de René Lévesque.

On le sait maintenant, Drouilly avait tort de voir dans l’élection de 2008 un rétablissement à la situation initiale. On assiste bel et bien depuis une quinzaine d’années à un réalignement du système politique sur un axe qui reste toujours à définir (droite/gauche? identitaire/ouvert?).

Une chose demeure certaine: nous n’assistons pas à un retour à l’opposition des années 1950 entre fédéralistes et autonomistes! Les lignes de fracture ont bougé, et la CAQ a réussi son pari de reléguer le débat constitutionnel aux calendes grecques.

Notes

Réaction

La course pour la médaille de bronze

À Tout le monde en parle, hier, Guy A. Lepage a commencé son entrevue avec les analystes politiques en leur demandant:

Le PLQ et la CAQ se chicanent ensemble, et le PQ et Québec solidaire se chicanent de leur bord. Est-ce qu’il y a deux courses parallèles entre deux partis qui pourraient former le gouvernement et deux partis qui voudraient former l’opposition?1

Comme les prévisionnistes Éric Grenier et Philippe J. Fournier, je m’intéresse davantage à la deuxième:

— Again, we’re talking about the bottom of the race, we gotta talk about the top!

— But it’s so interesting, right?2

Bien évidemment, j’ai le point de vue très particulier d’une personne qui a analysé le vote solidaire pour voir où il serait possible d’éventuellement faire des gains.

Aujourd’hui est un grand jour: c’est l’occasion pour moi de voir si les analyses que j’ai préparées en 2014 en vue des élections qui viendraient quatre ans et demi plus tard se sont avérées juste.

Commençons notre observation de la course pour la médaille de bronze avec une controverse qui a beaucoup alimenté mon fil Facebook dans les derniers jours. Vous pouvez aussi vous rendre directement à l’analyse de la répartition géographique des appuis péquistes et solidaires.

L’attrait du orange

Pancarte libérale tricolore (bleu, orange, rouge) dans Hochelaga
Source: Skelling, Yannick. Publication Facebook. 28 septembre 2018.

Des photos du PQ et du PLQ qui «récupéraient» le orange solidaire ont beaucoup circulé sur mon fil Facebook.

Cette pancarte du PLQ, posée au coin des rues Guimond et Pie-IX dans la circonscription Hochelaga-Maisonneuve, n’est pas très utile si l’objectif était de confondre l’électorat. Le candidat Julien Provencher-Proulx n’est même pas identifié…

Je ne crois donc pas que le PLQ essaie de «récupérer» la sympathie envers Québec solidaire.

Envoi postal de Carole Poirier sur fond orange
Source: Skelling, Yannick. Publication Facebook. 28 septembre 2018.

Ce dépliant du PQ illustre bien, à mon avis, la course en cours pour la médaille de bronze. Il donne l’impression, avec son fond orange, que Carole Poirier est en fait candidate de QS.

Il permet d’associer le visage de la candidate (qui se trouve sur le bulletin de vote) avec la couleur orange associée à QS pour espérer que les personnes qui ne prennent pas le temps de lire les noms de parti se trompent et votent pour elle en voulant voter pour QS.

Dans un quartier avec un taux d’analphabétisme plus élevé qu’ailleurs sur l’île3, c’est plutôt futé! (Je vous laisse juger du caractère éthique ou pas de la manœuvre.)

Macarons oranges «Solidaire avec Dave Turcotte»
Source: Bédard-Wien, Jérémie. Publication Facebook. 23 septembre 2018.

L’objectif de «récupération» du orange par Dave Turcotte laisse tant qu’à moi moins de place à l’interprétation puisque le macaron utilise également le terme «solidaire». Autant je trouve la tactique efficace dans Hochelaga, autant je la trouve désespérée dans Saint-Jean, sur la Rive-Sud de Montréal.

Dans les projections finales de Too Close To Call et de Qc125, Québec solidaire (QS) n’a aucune chance de l’emporter dans Saint-Jean. L’objectif des macarons serait donc de rallier le vote QS pour permettre au député sortant de conserver son siège.

Le problème, c’est que dans la dernière projection par circonscription de Too Close To Call avant que ne soit prise la photo (celle du 21 septembre), le PQ était à 27,2% et QS à 14,8%4. Si tout l’électorat solidaire transférait plutôt au PQ, celui-ci atteindrait 42,0%, ce qui aurait effectivement permis de potentiellement dépasser la CAQ à 38,8%5.

Il faudrait que le PQ réussisse à récupérer tout tout tout le vote solidaire dans Saint-Jean pour espérer battre la CAQ. Toutefois, la manœuvre risque d’aliéner autant de gens qu’elle réussirait à tromper (en faisant croire que Dave Turcotte est le candidat solidaire pour lequel une personne voulait voter).

Bref, il me semble vraiment désespéré de penser qu’on puisse l’emporter en trompant un maximum de 50% de l’électorat solidaire dans Saint-Jean (et ce, parmi les personnes qui voient le macaron!).

Si le 21 septembre Too Close To Call accordait 6% de chances au péquiste Dave Turcotte de conserver sa place à l’Assemblée nationale, dans ses projections finales, Saint-Jean est devenu un siège assuré pour la CAQ6. C’est également ce que projette Qc1257.

La multiplication des bleus

D’autres internautes ont fait remarqué qu’à ce titre, QS «récupérait» tout autant le bleu péquiste. Ou est-ce le bleu caquiste? (Vous remarquerez que je milite pour une CAQ mauve pour éviter la confusion dans les visualisations!)

Je n’ai pas fait d’étude systématique, mais j’ai l’impression que la quantité de bleu dans le matériel de QS a augmenté depuis sa fusion avec Option nationale. Le parti de gauche semble avoir intégré plus de bleu à son graphisme parce que c’était la couleur d’ON. (Encore un autre bleu! Une chance qu’il y a eu fusion!)

Bannière Facebook bleue de Québec solidaire
Source: Bannière Facebook. Québec solidaire, 16 septembre 2018.

On se retrouve donc effectivement avec du matériel qui ressemble à celui du PQ, quoiqu’avec une facture graphique un peu différente.

Il semble que Like-Moi en ait fait toute une parodie, de tous ces bleus.

Sketch primeur Like-Moi! | Positions politiques

[ PRIMEUR SAISON 4 ]

Soyez informés, allez voter! Une nouvelle nouveauté toute neuve de Like-Moi!

#FULLIMPACT #BLEUvsBLEU

Publiée par Like Moi sur Samedi 22 septembre 2018

 

Les prognostics

Alors c’est l’état de la course pour la médaille de bronze vue de mon fil Facebook. De quoi a-t-elle l’air dans les sondages?

Nous avons eu droit à quatre sondages de fin de campagne (dont un dernier de Forum qui a été publié à minuit moins 58: j’ai veillé tard…).

Dernière date du sondage Maison de sondage Taille de l’échantillon CAQ PLQ PQ QS
27 sept. Léger
(panel Web)
1502 28% 26% 17% 17%
27 sept. Mainstreet
(appels automatisés)
1760 28,7% 26,8% 18,4% 14,9%
28 sept. Ipsos
(2/3 en ligne et 1/3 par téléphonistes)
1250 26% 25% 14% 13%
30 sept. Forum
(appels automatisés)
1716 33% 28% 20% 17%

Les projections finales des trois sites qui donnent des projections consolidées (et non une par sondage comme le modèle Forest/Guntermann) font état d’une course pour la médaille de bronze très incertaine en nombre de sièges.

Poll Tracker9 Too Close To Call10 Qc12511
PQ QS PQ QS PQ QS
Vote populaire 19,0% 16,5% 18,4% 16,0% 19,4% 15,1%
Sièges
Minimum 1 5 4 5 1,0 3,8
Projection 10 10 8 7 11,7 6,7
Maximum 31 18 22 11 23,3 9,5

Toutes les projections placent le PQ devant QS sur le plan du vote populaire. Elles situent aussi toutes le minimum de sièges du PQ sous celui de QS. Comment est-ce possible? Le Poll Tracker placent même les deux partis souverainistes à égalité pour le nombre de sièges!

C’est parce que le vote de Québec solidaire est très concentré. Il est donc plus sûr que celui du PQ à certains endroits, mais il est aussi trop diffus ailleurs pour espérer gagner autant de sièges que le PQ avec la même proportion des voix à l’échelle provinciale.

Les défis contraires des concurrents

Bryan Breguet de Too Close To Call a accompagné sa dernière projection de ce diagramme à bandes fort utile pour comprendre les défis différents des deux partis qui s’opposent pour la troisième place.

Nombre de sièges par chances de gagner la circonscription
Source: Breguet, Bryan. «Projections finales pour Québec 2018: une majorité CAQ». Too Close To Call (blogue), 30 septembre 2018.

Complètement à gauche, on retrouve le nombre de circonscriptions dans lesquelles chaque parti n’a absolument aucune chance de l’emporter. À l’opposé, à droite, on trouve le nombre de circonscriptions que chaque parti a définitivement en banque.

Chaque parti? Remarquez qu’il n’y a pas de bande bleue complètement à droite, au-dessus de «100%». C’est parce que dans les simulations de Too Close To Call, il n’y a aucune circonscription que le PQ a gagné à chacune des 10000 simulations. Il y a toujours eu un autre parti qui a emporté une circonscription péquiste dans une ou plusieurs simulations.

À l’autre bout du spectre, Québec solidaire a beaucoup plus de circonscriptions que le PQ où il n’a aucune chance (environ 60% des circonscriptions contre 40% pour le PQ).

Le vote de Québec solidaire est tellement concentré qu’il lui assure trois sièges garantis le long de la ligne orange à Montréal, mais il fait en sorte qu’il n’est pas compétitif ailleurs.

On voit le même phénomène dans la course pour la première place où «[l]e vote PLQ est trop concentré pour être vraiment compétitif12.» Les libéraux ont plus de sièges assurés que les caquistes, mais ils ont aussi plus de circonscriptions où ils n’ont aucune chance.

L’inefficacité du vote solidaire

Cette élection devrait marquer la fin de l’ère de Québec solidaire—parti montréalais, mais ça demeure un parti exclusivement urbain.

Regardez la carte électorale de Too Close To Call: on ne voit pas de polygones oranges!

Source: Breguet, Bryan. «Projections finales pour Québec 2018: une majorité CAQ». Too Close To Call (blogue), 30 septembre 2018.

C’est parce que les 7 circonscriptions qu’il donne à QS dans sa projection sont toutes à Montréal et à Québec, des circonscriptions urbaines, donc trop petites pour être visibles quand on «zoom out» comme ça.

Projection du vote populaire (30 septembre 2018)
Source: Fournier, Philippe J. «La Coalition avenir Québec aux portes du pouvoir». L’Actualité, 30 septembre 2018.

Cette concentration des voix en ville rend le vote de Québec solidaire extrêmement inefficace cette élection-ci. Dans un mode de scrutin proportionnel, avec 13% à 17% des voix, comme le prévoit la projection finale de Philippe J. Fournier, Québec solidaire pourrait espérer obtenir entre 16 et 21 sièges. Dans le meilleur des meilleurs scénarios, Too Close To Call lui en accorde 17 et Qc125, 11.

Pourquoi Québec solidaire obtient moins de sièges avec un mode de scrutin uninominal à un tour?

Bryan Breguet dirait que c’est parce qu’il est «stupide», mais ce n’est pas très complet comme explication13. Examinons plus précisément comment ces intentions de vote se distribuent dans la province.

Les sondeurs divisent le Québec en trois à cinq régions. Les trois régions de base sont la région métropolitaine de recensement de Montréal, celle de Québec et le reste du Québec. Ipsos et Mainstreet divise la première entre l’île de Montréal et ses banlieues. Forum ajoute une couche de précision en subdivisant ces dernières en couronne Nord et couronne Sud.

Intentions de vote dans la région métropolitaine de recensement de MontréalMontréal (57 sièges)

Le tout dernier Forum est le seul à placer la CAQ devant les libéraux dans la course pour la médaille d’or. PQ et QS se mènent dans tous les sondages une chaude lutte pour la médaille de bronze.

Malheureusement, Léger ne distingue pas entre l’île et ses couronnes. Voyons ce qu’ont trouvé les autres sondages.

Intentions de vote sur l'île de MontréalÎle de Montréal (27 sièges)

D’après Mainstreet et Ipsos, les libéraux auraient une avance très solide sur l’île de Montréal. Ils trouvent également une course à trois plus ou moins serrée pour la deuxième place.

Forum, par contraste, trouve que la CAQ se détache du groupe de chasse pour obtenir définitivement la médaille d’argent sur l’île de Montréal. L’avance des libéraux n’y est pas du tout aussi éclatante. Rappelons que ces sondages ne distinguent pas entre l’est francophone et l’ouest anglophone de l’île.

Intentions de vote dans les couronnes de MontréalCouronnes nord et sud de Montréal (30 sièges)

Tous les sondeurs qui distinguent les couronnes de l’île placent les partis dans le même ordre, mais les égalités statistiques ne sont pas les mêmes.

Forum a encore une fois la CAQ plus haut, la positionnant plus solidement en avance. Elle est également en première position dans Mainstreet, mais tout juste. Les barres d’erreur des meneurs se chevauchent dans Ipsos, qui a une plus petite taille d’échantillon, donc des marges d’erreur plus grandes.

La course entre le PQ et QS est par ailleurs, sans surprise, moins serrée en banlieue de Montréal que sur l’île.

Intentions de vote dans la région métropolitaine de recensement de QuébecQuébec (13 sièges)

La région métropolitaine de recensement de Québec est la plus petite région de base qu’étudient les sondeurs. On n’y retrouve que 13 circonscriptions, soit moins de la moitié des 27 circonscriptions sur l’île de Montréal et des 30 dans les couronnes.

La petite taille d’échantillon de Mainstreet cause plus de chevauchement, mais les trois autres sondages trouvent une CAQ confortablement en avance dans la région où sa montée a commencé (avec l’élection partielle dans Louis-Hébert il y a presqu’exactement un an).

Léger, Ipsos et Forum ont tous trouvé une course serrée pour la médaille d’argent.

Intentions de vote dans le reste du QuébecReste du Québec (55 sièges)

Il n’y a que dans le dernier Mainstreet que le PQ devance QS au-delà de la marge d’erreur, et ce, uniquement dans le reste du Québec, où la CAQ par ailleurs domine.

Transposition en sièges

En somme, la CAQ est en avance partout sauf sur l’île de Montréal. Le PQ et QS sont à égalité statistique partout dans les intentions de vote sauf dans le reste du Québec. Si leur course pour la médaille de bronze est si serrée, pourquoi la variabilité des projections de la taille de la députation péquiste est si grande?

Examinons les projections par circonscription de Too Close To Call et de Qc125. Ci-dessous, la liste des circonscriptions où Québec solidaire aurait au moins 2% des chances de l’emporter (le seuil de Bryan a utilisé pour ses guides du vote stratégique14).

Région Nb de sièges Intentions de vote
Circonscriptions à 2% ou plus de chances de gagner Too Close To Call Qc125
Île de Montréal 27 sièges 11%-21%
Gouin 100% >99%
Mercier 100% >99%
Sainte-Marie—Saint-Jacques 100% >99%
Hochelaga-Maisonneuve 80% 92%
Laurier-Dorion 80% 62%
Rosemont 50% 65%
Maurice-Richard 21% 7%
Bourget 9%
Pointe-aux-Trembles 3%
Couronnes de Montréal 30 sièges 10%-21%
aucune circonscription
Région métropolitaine de recensement de Québec 13 sièges 10%-25%
Taschereau 96% 82%
Jean-Lesage 32% 15%
Jean-Talon 2%
Reste du Québec 55 sièges 13%-24%
Rouyn-Noranda—Témiscamingue 35% 23%
Sherbrooke 17% 21%
Chicoutimi 4%
Abitibi-Ouest 2%
Saint-François 2%

Les appuis de 10% à 21% de Québec ne mèneront à aucun siège dans les Couronnes de Montréal (qui en distribuent 30).

L’appui important dans le reste du Québec (13%-24%) pourrait au moins se traduire par 5 sièges sur 55 (9% de la représentation), mais ça implique que Québec solidaire gagne dans Chicoutimi, Abitibi-Ouest et Saint-François. Too Close To Call y accorde entre 2% et 4% de chances aux candidatures solidaires.

Le parti n’a, à ce que je sache, aucune ressource particulière dans ces trois derniers comtés. De plus, la gang d’Abitibi-Ouest risque d’être réquisitionnée pour appuyer Rouyn dans sa sortie de vote, et c’est assurément le cas de Saint-François, de l’autre côté de la rivière à Sherbooke.

L’appui impressionnant de Québec solidaire dans la RMR de Québec (10%-25%) pourrait permettre aux deux têtes de proue d’Option nationale, Catherine Dorion dans Taschereau et Sol Zanetti dans Jean-Lesage, d’être élus à l’Assemblée nationale. La dernière projection de Too Close To Call ajoute Jean-Talon avec 2% de chances.

Avec deux à trois sièges sur 13, QS récolterait 15% à 23% de la représentation de la région de Québec, un taux beaucoup plus efficace que dans le reste du Québec.

Il n’y a qu’à Montréal que le vote de Québec solidaire est efficacement concentré. En effet, le parti de gauche, crédité de 11% à 21% d’appuis, est en droit d’espérer récolter de sept à neuf sièges parmi les 27 de l’île. C’est entre un quart et un tiers de la représentation de la métropole!

Si le vote solidaire est si efficace à Montréal, c’est qu’il est concentré dans l’est de l’île, qui envoie 14 personnes à l’Assemblée nationale. Dans le seul Léger de cette année qui a offert des résultats ventilés entre l’est et l’ouest de l’île (mené en juin), Québec solidaire obtenait entre 16% et 28% dans l’est francophone (et anciennement péquiste) et entre 2 et 10% dans l’ouest anglophone (solidement libéral)15.

Les appuis du parti de gauche sont passés de 11% à 15% dans Léger dans la RMR de Montréal, donc on est en droit de croire que l’appui a augmenté dans l’est, mais on ne sait pas dans quelle proportion (c’est le travail des prévisionnistes)16.

Le terreau historiquement fertile de Québec solidaire pourrait lui permettre de gagner une plus grande proportion de sièges dans l’est de Montréal que son appui populaire. En effet, sept à neuf sièges dans le meilleur des meilleurs scénarios sur les 14 de l’est de l’île, c’est entre la moitié et 64% de la députation!

Même si on ne compte que les cinq sièges les plus certains, Québec solidaire gagnerait 36% des sièges de l’est de Montréal. Je resterais bien surprise que le parti obtienne un aussi haut score, même dans l’est de Montréal, sans obtenir plus de sièges.

Maman, c’est fini!

Me Marchi, Martin et moi seront réunis ce soir pour suivre la soirée électorale dans le comté de Jean-François Lisée. Suivez-nous sur Twitter pour une soirée qui s’annonce haute en couleurs!

Notes

Mise à jour

Un électorat péquiste en hausse, mais plus volatile

Mon Dieu qu’il était temps! Comme l’a dit sur Twitter Bryan Breguet, qui piaffait d’impatience:

Juste une observation générale mais quand il y a davantage de personnes/sites faisant des projections que de firmes offrant des sondages, c’est pas vraiment normal1.

C’est fait: ce matin, nous avons le rapport du dernier sondage mené par Léger du 7 au 10 septembre!

J’attends de mettre la main sur le rapport du sondage Mainstreet effectué du 5 au 7 septembre pour refaire le graphique des intentions de vote avant répartition des personnes indécises. (C’est fait!) Pour l’instant, je n’ai que l’article du Soleil, qui ne donne que les résultats après répartition.

Nous pouvons toutefois mettre à jour nos graphiques concernant la volatilité de l’électorat:

La volatilité de l’électorat est plutôt stable, avec la portion de l’électorat qui a fait un choix pour qui ce choix est définitif qui est passée en deux semaines de 56% à 58%.

Les résultats par parti choisi sont plus révélateurs:

Les intentions de vote pour le Parti québécois semblent en progression, avec une hausse de deux points de pourcentage en deux semaines (19% à 21% après répartition des personnes indécises). Toutefois, il est passé du parti à l’électorat le plus solide au deuxième plus incertain des quatre grands partis.

En effet, au sondage se terminant le 28 août, 64% des personnes qui disaient avoir l’intention de voter pour le PQ considéraient leur choix comme étant définitif. Au sondage qui s’est conclu hier, ce ne sont que 54% de l’électorat qui ont l’intention de voter PQ. Le parti de Jean-François Lisée est donc le seul qui a vu la volatilité de son électorat augmenter!

Est-ce donc le signe que des personnes qui hésitent entre le PQ et la CAQ disent maintenant qu’elles voteraient pour le PQ, mais qu’elles peuvent encore changer d’idée?

Pour ça, il va falloir aller fouiller dans les réponses à la question du deuxième choix… à suivre!

Données sources

Vous pouvez consulter le tableur qui a permis de faire les graphiques sur Google Spreadsheets.

Notes

Réaction

Visualisation et mode de collecte de données

Je vous ai laissés en suspens vendredi dernier en vous promettant une nouvelle visualisation des plus récents sondages. Pour se rafraîchir la mémoire, la marge d’erreur dépend du pourcentage obtenu dans le sondage (elle augmente à mesure qu’il s’approche de 50%) et de la taille de l’échantillon (l’un monte quand l’autre descend), pas de la taille de la population dont on veut connaître l’opinion.

Chose promise, chose due

J’ai refait un graphique similaire à celui de Qc125 (avec les marges d’erreur cette fois) pour les trois derniers sondages du diagramme présenté. J’ai joint le sondage de Forum (effectué le 23 août auprès de 965 personnes) et le dernier Léger (effectué du 24 au 28 août auprès de 1010 personnes)1.

J’ai d’abord tenté de le faire dans Google Spreadsheets, pour que vous puissiez accéder au fichier et vérifier le tout. Toutefois, je n’avais la possibilité que de mettre une barre d’erreur constante ou en pourcentage, or, nous avons vu vendredi que c’était justement un peu plus compliqué que ça.

J’ai aussi essayé avec Excel et son équivalent en logiciel libre LibreOffice pour arriver toujours au même problème: pas moyen de définir une barre d’erreur différente pour chaque point. Ce n’est donc pas surprenant qu’on voit aussi peu de représentations des données de sondage avec leurs marges d’erreur.

J’arrivais réussi à m’en sortir en faisant des graphiques en chandeliers comme on utilise pour représenter l’évolution des cours boursiers, mais Martin trouvait ça laid. Pour plaire donc à la moitié responsable du visuel de notre duo, j’ai donc sorti l’artillerie lourde: j’ai programmé le graphique dans le logiciel libre d’analyse statistique R.

Après plusieurs heures de gossage, ç’a donné ceci2:

Intentions de vote avant répartition avec marge d'erreur dans les sondages complétés entre le 20 et le 28 août 2018

Le point situe le résultat du parti dans le sondage. Le trait vertical, délimité par deux barres horizontales, indique l’intervalle de confiance si on tient compte de la marge d’erreur à 95% (ou 19 fois sur 20). On constate que les traits en haut sont plus longs que les traits en bas. Comme on l’a rappelé au début, la marge d’erreur augmente avec la proportion (ou plutôt sa proximité à 50%).

On voit ainsi en comparant les scores des différents partis verticalement au sein d’un même sondage que:

  • dans CROP, la CAQ et le PLQ sont à égalité statistique;
  • dans Forum, le PLQ est plutôt à égalité statistique avec le PQ (et la CAQ loin devant);
  • dans Léger, les intentions de vote pour la CAQ et le PLQ se chevauchent, donc sont à égalité statistique comme dans CROP.

Différences de mode de collecte de données

Bryan Breguet de Too Close To Call s’est penché jeudi sur les scores qui divergent d’un sondage à l’autre dans un billet intitulé «Québec Solidaire à 8 ou 14%?». Il est troublé par le fait que la divergence suit la différence dans le mode de collecte de données:

Intentions de vote pour QS avec marge d'erreur avant répartition dans les sondages complétés entre le 20 et le 28 août 2018

On constate que trois sondages situent le parti sous la barre des 10% et deux, ceux qui sont effectués par appels automatisés, sont au-dessus. Plus important encore: les résultats de ces deux groupes ne se chevauchent pas, même si on tient compte de la marge d’erreur. (Aucune des barres horizontales ne touche à la ligne des 10%.)

Mainstreet et Forum, qui utilisent des appels automatisés, obtiennent donc des résultats significativement plus élevés que CROP et Léger, qui utilisent des panels Web, et Ipsos. Cette dernière firme combine une collecte de données en ligne avec la bonne vieille méthode des êtres humains qui appellent d’autres êtres humains pour leur poser des questions.

Pareil, pas pareil?

Bryan a fait 10000 simulations pour conclure que soit Mainstreet, soit Léger se trompe. Il a supposé que les intentions de vote «réelles» à l’égard de Québec solidaire se situaient à 10%. Il a simulé pour une taille d’échantillon de 1010 personnes sondées, comme dans Léger.

Sur l’axe horizontal, on trouve les intentions de vote de Québec solidaire (centrées à 10% parce que c’est l’hypothèse de départ). Sur l’axe vertical, c’est le nombre de simulations pour lesquelles Québec solidaire obtenait un pourcentage donné.

Distribution de 10000 simulations
avec QS à 10% et une taille d’échantillon de 1010

Distribution de 10000 simulations avec QS à 10% et une taille d’échantillon de 1010
Source: Breguet, Bryan. «@Alex_Blanchet Voici la distribution de 10000 simulations avec QS à 10% et taille d’échantillon de 1010. Est-ce possible d’etre sous les 8? oui mais peu probable. Et être au-dessus de 13 (avec taille ech de 2650) est quasi impossible». Tweet. @2closetocall, 30 août 2018.

Léger a Québec solidaire à 6%: on voit que très peu de simulations placent le parti de gauche sous les 7%. Pour Mainstreet, Bryan utilise les données des sondages quotidiens (pour lesquels l’accès est payant). Québec solidaire était alors à 13,1% (il a depuis passé la barre des 15%). Encore une fois, à peu près aucune simulation n’obtenait des résultats aussi hauts.

Un effet que sur les intentions de vote pour Québec solidaire

Si on regarde les résultats pour les autres partis, on constate qu’il n’y a pas de biais systématique en fonction du mode de collecte des données.

Forum (qui utilise des appels automatisés) place la Coalition avenir Québec et le Parti québécois loin devant les autres, au-delà des marges d’erreur.

Intentions de vote pour la CAQ avec marge d'erreur avant répartition dans les sondages complétés entre le 20 et le 28 août 2018 Intentions de vote pour le PQ avec marge d'erreur avant répartition dans les sondages complétés entre le 20 et le 28 août 2018

Quant au Parti libéral, c’est CROP qui le place anormalement haut.

Intentions de vote pour le PLQ avec marge d'erreur avant répartition dans les sondages complétés entre le 20 et le 28 août 2018

On va donc surveiller de près l’évolution des différences entre les intentions de vote mesurées par les différentes maisons de sondage. Elles ne semblent toutefois importantes que pour déterminer la composition de l’Assemblée nationale puisque l’identité du gouvernement semble déjà déterminée: le billet d’hier sur Too Close To Call s’intitule «La CAQ a plus de 99% de chances de gagner!» (toujours si l’élection se tenait aujourd’hui).

Données sources

Vous pouvez consulter le tableur qui a permis de faire les graphiques sur Google Spreadsheets.

Notes