Nouvelles étrangères

L’Irlande du Nord

Maintenant qu’on a terminé le tour de la Grande-Bretagne (Angleterre, pays de Galles et Écosse), on traverse la mer d’Irlande pour couvrir la dernière nation constitutive du Royaume-Uni.

L’Irlande du Nord est dernière au sens à la fois de plus récente et de plus petite. Avec ses 18 sièges, elle pèse moins que deux fois moins lourd que le pays de Galles dans la Chambre des communes. Toutefois, c’est probablement plutôt en raison de son système partisan complètement différent qu’on n’en parle que très peu.

On connaît surtout l’Irlande du Nord pour les violences sectaires de la deuxième moitié du XXe siècle. D’ailleurs, juste choisir le drapeau à inclure dans ce billet pose un enjeu. La Ulster Banner est utilisée par les loyalistes et les unionistes; les démonstrations républicaines déploient plutôt le tricolore irlandais ou la croix de saint Patrick.

Drapeau de l'assemblée de l'Irlande du NordJ’y vais donc du logo de l’assemblée de l’Irlande du Nord, qu’on appelle généralement Stormont par métonymie (et qui ne siège pas depuis trois ans parce que la méfiance règne entre les partis, mais ça c’est une autre histoire). Il met à l’honneur six fleurs de lin d’un très joli bleu pour symboliser les six comtés historiques de l’Irlande du Nord (nous y reviendrons) et l’importance de la culture du lin dans son histoire (ça, je laisse à d’autres).

Notons que j’évite d’utiliser les dénominations religieuses parce que quand j’ai demandé à 18 ans au tout premier Nord-Irlandais que je rencontrais s’il était catholique ou protestant, je me suis fait dire: «You’re rude!». L’Anglais qui est apparu derrière m’a montré sans le savoir la marche à suivre. Il a posé la question sous cette forme:

Are you Unionist or Republican?

J’ai donc su qu’il était unioniste (en faveur du maintien de l’Irlande du Nord dans l’Union britannique) plutôt que républicain (en faveur de son rattachement à la République d’Irlande au sud). En apprenant à connaître un peu mieux le jeune homme en question durant cette vibrante semaine du Parlement international de la jeunesse d’Oxfam, j’ai su qu’il était également protestant et qu’il s’impliquait dans un parti progressiste unioniste non sectaire, regroupant donc des gens des deux communautés.

En 2010, j’ai pensé l’avoir vu comme candidat à la télévision durant l’interminable soirée (nuit) électorale. Après avoir épluché les pages Wikipedia de chaque circonscription, je ne le retrouve pas comme candidat et ne peux que conclure que je l’ai halluciné…

Une île, deux pays (depuis un siècle)

Comme l’Écosse divisée en 32 council areas, l’île d’Irlande est divisée en 32 comtés traditionnels. On les appelle «traditionnels» parce qu’ils remontent à l’Invasion normande de l’Irlande à la fin du XIIe siècle (ça c’est 200 ans avant la naissance de William Wallace, aka Mel Gibson dans Braveheart). Cette invasion s’est limitée au sud-est de l’île, donc ce n’est pas avant le XVIe siècle qu’est apparue la carte ci-dessous.

En vert émeraude, on voit les 28 comtés traditionnels de la République d’Irlande. Ils y sont toujours utilisés, à quelques distinctions près. En vert qui tire plus sur le jaune, on voit les six comtés traditionnels de l’Irlande du Nord, qui ne sont plus utilisés, quoique vous reconnaîtrez certains noms dans les noms des circonscriptions.

Parlant de noms, sous le nom anglais, on trouve le nom en gaélique dans une police qui fait très Lord of the Rings.

Carte des 32 comtés traditionnels de l'île d'Irlande
Source: Wikimedia Commons

L’Irlande était aussi divisée en provinces, qui ont davantage fluctué dans le temps. Le mot gaélique veut dire «cinquième» mais, à partir de 1610, il n’y en avait que quatre, comme on le voit sur la carte ci-dessous. L’Irlande du Nord provient d’une partie de la province d’Ulster, que vous reconnaîtrez dans le nom d’une circonscription et d’un parti.

Source: Wikipedia

La partition de l’Irlande en 1921 peut être décrite comme le résultat d’un compromis pour accorder l’indépendance à la majorité de la population de l’île en 1922.

Je n’ai pas eu le temps de me replonger dans mon travail de cégep en géopolitique sur l’IRA, donc tout ce que je vous dirai sur les Troubles, qui ont forgé notre imaginaire sur l’Irlande du Nord, c’est que le superbe film de Gus Van Sant Elephant sur les tueries de masse dans les écoles secondaires tire son titre d’un court métrage britannique sur l’absurdité des meurtres durant les Troubles.

L’Irlande du Nord au XXIe siècle

Un peu comme pour l’Écosse, l’Irlande du Nord administre elle-même son recensement et pose une question concernant l’identité nationale. L’une des prémisses de l’accord du Vendredi Saint (Good Friday Agreement), qui a mis en bonne partie fin aux violences, c’est que la population nord-irlandaise ne soit pas forcée de se considérer britannique.

Ainsi, en plus des identités «britannique» et «nord-irlandaise» qui sont, comme en Écosse, proposées au recensement, on retrouve l’identité «irlandaise». Je n’essayerai pas de faire une analogie en Amérique du Nord parce qu’elle risquerait trop d’être insultante. Voici comment ces identités se répartissent sur le territoire de l’Irlande du Nord.

Carte représentant l'identité nationale la plus importante par aire de recensement dans le recensement de 2011
Source: Wikipedia

Premier constat: mais qu’est-ce que ce trou de beigne blanc en plein milieu? C’est le Lough Neagh, le plus grand lac des îles Britanniques. Le lac Saint-Jean est quand même deux fois et demi plus grand.

Deuxième constat: peu de gens se définissent seulement comme Nord-Irlandais ou Nord-Irlandaise (zones bleues). La plupart se définit selon les identités historiques pré-partition: britannique (orange qui tire sur le rouge) et irlandaise (vert). Aucune idée si ces deux identités sont considérées plus extrêmes et s’il s’agit d’un signe de polarisation. Comme j’ai appris au Parlement international de la jeunesse d’Oxfam, identity is a very tricky thing.

Troisième constat: la répartition de ces différentes identités est beaucoup moins coupée au couteau que ce que j’aurais pensé. C’est une bonne nouvelle, je suppose?

Comment qu’on sonde l’Irlande du Nord?

D’après Wikipedia, une seule firme a sondé l’Irlande du Nord cette campagne. Je suis allée fouiller dans les cross-tabs de son plus récent sondage pour y découvrir à ma grande surprise aucune segmentation géographique de l’échantillon!

Les données ci-dessus d’identification nationale ne sont pas utilisées non plus. Pourtant, elles proviennent du recensement, ce qui permettrait de pondérer l’échantillon pour s’assurer qu’il soit représentatif. En effet, comme tout le monde répond au recensement, il permet de dire quelle(s) catégorie(s) de personnes est (sont) sous-représentée(s) dans l’échantillon par rapport à la population en général et qui est surreprésenté.

L’échantillon est plutôt segmenté en fonction de la position constitutionnelle (5 options) et de la «communauté» (4 options). Les choix de réponse permettent de comprendre ce dont il s’agit.

Position constitutionnelle:

  • fortement (strongly) nationaliste;
  • légèrement (slightly) nationaliste;
  • neutre;
  • légèrement (slightly) unioniste;
  • fortement (strongly) unioniste.

«Communauté»:

  • catholique;
  • protestant;
  • sans religion;
  • autre.

L’option «sans religion» indique clairement que «communauté» est un proxy (euphémisme?) pour l’appartenance religieuse.

Avant de se lancer dans la description des partis, on va faire le tour de la carte des circonscriptions électorales et de leur historique de vote en fonction de la position constitutionnelle.

Toponymie électorale

Le découpage de l’Irlande du Nord en circonscriptions électorales reprend en partie, comme j’ai dit, les comtés traditionnels. Faisons le tour du «beigne» dans le sens des aiguilles d’une montre en commençant par le haut (je suppose que les gens qui lisent ceci savent lire une montre; je m’excuse si j’ai un lectorat insoupçonné de la génération Y).

Dans le nord-est, on trouve le comté d’Antrim divisé en trois circonscriptions. Ensuite, quand on sait que Down est un comté traditionnel, on comprend mieux pourquoi les circonscriptions North Down et South Down ne sont pas collées, mais plutôt séparées par Lagan Valley et Strangford.

Carte des 18 circonscriptions électorales de l'Irlande du Nord
Source: Wikipedia

Au sud, le comté d’Armagh est divisé en deux. Pour des raisons qui m’échappent, mais peut-être liées à l’historique électoral qu’on verra plus loin, plutôt que d’utiliser les points cardinaux pour distinguer les deux circonscriptions, la portion septentrionale s’appelle Upper Bann (d’après une moitié de la rivière Bann) et la portion méridionale s’appelle Newry & Armagh (d’après les deux villes de la circonscription).

À l’ouest, le comté de Fermanagh n’est visiblement pas assez populeux pour former une circonscription à lui seul: il est donc combiné avec une partie du comté de Tyrone. Une autre portion de ce dernier forme une circonscription au nom de West Tyrone. Les territoires qui bordent le Lough Neagh dans le comté de Tyrone et celui de Londonderry au nord ont été combinés pour créer une circonscription au nom qui décrit sa position centrale dans l’ancienne province: Mid Ulster.

On termine avec Londonderry, le nom d’un comté mais aussi de la deuxième plus grande ville de l’Irlande du Nord. Les républicains l’appellent tout simplement Derry. La ville se retrouve dans la circonscription Foyle, du nom de la rivière qui y coule. Les portions du comté qui ne sont ni dans Foyle ni dans Mid Ulster se retrouvent dans East Londonderry.

Finalement, la capitale, Belfast, est la seule ville divisée en de multiples circonscriptions (aux noms très imaginatifs comme vous pouvez le constater sur la carte).

Historique électoral

Pour décrire l’historique électoral des deux dernières décennies dans la capitale, je procède une fois de plus dans le sens horaire en commençant en haut. Depuis 2001, le nord a toujours été unioniste; l’est a voté unioniste ou non sectaire; le sud a changé de mains entre partis unionistes et républicains; et l’ouest renvoie toujours des députés (pas de «e») républicains avec des majorités soviétiques (21 652 voix en 2017).

Pour le compte, on arrive à 1 circonscription unioniste, 1 républicaine et 2 qui changent de mains sur le plan constitutionnel.

Même exercice à l’extérieur de la capitale, cette fois en commençant par East Londonderry, toujours dans le sens horaire. Ces huit circonscriptions dans le nord-est du «beigne» votent toujours pour le bloc unioniste depuis 2001:

  • East Londonderry;
  • North Antrim;
  • East Antrim;
  • South Antrim;
  • North Down;
  • Strangford;
  • Lagan Valley;
  • Upper Bann.

Dans les six autres composant l’autre moitié du beigne, une seule a voté pour les deux blocs sur la même période de temps:

  • South Down;
  • Newry & Armagh;
  • Fermanagh & South Tyrone (a voté unioniste en 2015);
  • Mid Ulster;
  • West Tyrone;
  • Foyle.

En dehors de la capitale, la répartition est donc 8 circonscriptions unionistes, 5 républicaines et 1 qui peut changer de mains. À travers la nation constitutive, on obtient un total de 9 circonscriptions unionistes, 6 républicaines et 3 qui changent de mains sur le plan constitutionnel.

Encore des nouvelles couleurs à apprendre!

Si j’utilise le terme bloc, c’est bien évidemment parce qu’il y a plus d’un parti unioniste et plus d’un parti républicain. Et qui dit parti dit couleur pour représenter sur les infographies!

L’Irlande du Nord doit être une des rares régions du monde où aucun des principaux partis n’est représenté par la couleur rouge. On n’y retrouve pas de bleu royal non plus. Voici les partis qui ont représenté l’Irlande du Nord à Westminster depuis 2001 (avec leur couleur). Ils sont divisés en trois blocs en fonction de leur position constitutionnelle.

Bloc unioniste

DUP (orange qui tire sur le rouge)
On a déjà parlé du Parti démocrate unioniste (Democratic Unionist Party ou DUP) et de son soutien sans participation (confidence-and-supply agreement) au gouvernement conservateur de Theresa May en lien avec l’arithmétique parlementaire.
Fondé durant les Troubles, il tient la ligne dure sur le plan constitutionnel. D’après le sondage, c’est le parti des deux tiers de l’électorat fortement unioniste.
UUP (bleu poudre, ou fleur de lin?)
Le Parti unioniste d’Ulster (Ulster Unionist Party ou UUP) est le vieux parti unioniste. Il obtient la faveur de plus de gens légèrement (slightly) unionistes que fortement (strongly) unionistes.
La députée Lady Sylvia Hermon a quitté le parti en 2010 et représenté sa circonscription de North Down comme indépendante depuis. Elle ne se représente toutefois pas cette fois-ci.

Bloc neutre

Alliance (jaune)
Le Parti de l’Alliance d’Irlande du Nord (Alliance Party of Northern Ireland) a fait dans l’unionisme non sectaire avant . C’est le parti des gens neutres sur le plan constitutionnel, mais il attire aussi des modérés de part et d’autre.

Bloc républicain

Sinn Féin (vert forêt)
On a également déjà parlé de Sinn Féin et de sa politique abstentionniste, notamment en présentant l’arithmétique parlementaire. Anciennement soupçonné d’être le bras politique de l’IRA, le parti a la particularité d’opérer des deux côtés de la frontière qu’il ne reconnaît pas. C’est le parti des trois quarts de l’électorat fortement nationaliste.
SDLP (vert émeraude)
Le Parti social-démocrate et travailliste (Social Democratic and Labour Party ou SDLP) s’oppose à la politique abstentionniste de son rival républicain Sinn Féin. Fondé comme le DUP durant les Troubles, il attire toutefois davantage le segment modéré de son option.

Il y a aussi les verts mais, heureusement, ils ne détiennent aucun siège au Parlement de Westminster, parce qu’il y a tout de même une limite au nombre de teintes de vert qu’on peut distinguer! Ils tiennent sur le plan constitutionnel la même position que je considérerais caquiste que Alliance.

Les luttes à surveiller

Aux dernières élections, le DUP et Sinn Féin se sont débarrassés de leurs rivaux respectifs pour ramener la députation nord-irlandaise au bipartisme. À Westminster, on n’entendait donc que les voix du DUP et de la députée unioniste indépendante comme Sinn Féin ne s’y rend pas.

Les projections laissent toutefois entendre un retour au multipartisme. (J’ai d’ailleurs parlé de manière erronée d’une «entrée à Westminster de nouveaux partis» alors qu’il s’agit pour eux d’un retour. C’est ce qui arrive quand on veut introduire un sujet délaissé avant d’avoir eu le temps de faire ses recherches.) Le quotidien britannique The Independent a préparé un très utile topo de l’Irlande du Nord circonscription par circonscription. Voici ce que j’en ai retenu.

Même si South Belfast est la circonscription qui change de mains entre unionistes et républicains, The Independent soutient que la circonscription à surveiller à Belfast est en fait celle du nord, où le fils d’un républicain assassiné durant les Troubles, John Finucane, se présente pour Sinn Féin contre le leader parlementaire du DUP, Nigel Dodds, qui avait obtenu une majorité de 2081 voix en 2017. The Guardian l’a d’ailleurs présenté comme un des principaux challengers dans cette élection dans un portrait plus tôt dans la campagne.

John Finucane
Source: «The challengers: six candidates out to topple the big names of UK politics», The Guardian, 17 novembre 2019.

Il semble que la course ne soit pas particulièrement serrée dans South Belfast: on s’attend à ce que le SDLP reprenne le siège des mains du DUP, qui l’avait gagné en 2017.

Dans East Belfast, la chef de l’Alliance, Naomi Long, tente de reprendre la circonscription qu’elle avait représentée de 2010 à 2015. Comme sa victoire priverait le DUP d’un siège, les deux partis républicains (de même que les verts!) lui laissent la voie libre. Ça ne risque pas d’être suffisant.

Finalement, on se souviendra que Sinn Féin domine la circonscription de l’ouest avec des majorités soviétiques.

À l’extérieur de la capitale, la circonscription qui peut pencher d’un côté comme de l’autre de la question constitutionnelle est détenue par la même députée du Sinn Féin depuis 2001, à l’exception de la période de deux ans entre les élections de 2015 et de 2017 où elle s’est retrouvée entre les mains du UUP. Comme par le passé, le DUP laisse la voie libre au UUP.

Du côté du bloc unioniste, on s’attend à ce que le DUP conserve tous ses sièges, à moins que le UUP cause la surprise dans South Antrim, surmontant le déficit de 3208 voix de la dernière élection. Le DUP est également favori pour prendre North Down que l’indépendante unioniste Lady Hermon a laissé vacante.

Du côté ouest, Sinn Féin devrait conserver tous ses sièges sauf Foyle, que le chef du SDLP tente de reprendre après que son parti l’ait perdu par seulement 169 voix en 2017.

C’est tout ce que j’ai le temps de préparer avant la publication du sondage de sortie des urnes à 17 heures chez nous. Pour la suite, ça se passera sur Twitter, à @primealurne.

Nouvelles étrangères

L’Écosse, de travailliste à nationaliste

Drapeau de l'ÉcosseÀ l’élection générale de 2015, le Parti nationaliste écossais (Scottish National Party ou SNP) balayait de jaune presque toute la carte de l’Écosse, ne laissant qu’une circonscription à chacun des trois vieux partis qui aspirent au pouvoir à Westminster. La domination du SNP est néanmoins toute récente.

En 2015, une année après le premier référendum d’indépendance, le SNP privait Labour de 40 sièges, et de tout espoir de former une majorité au parlement britannique. L’Écosse avait auparavant été un fiable bassin de voix pour les travaillistes.

L’emprise du SNP au nord de la frontière s’est relâchée un peu en 2017 avec la perte de 21 sièges, principalement aux mains des conservateurs (12). Le parti indépendantiste, qui gouverne Holyrood (le Parlement écossais), détient encore plus de la moitié des sièges écossais à Westminster, ce qui en fait la Deuxième Opposition officielle, devant les libéraux démocrates.

Les plus récentes cartes électorales donnent donc l’impression d’une nation constitutive plutôt homogène, d’autant plus que toute la carte du référendum de 2016 est jaune-orange Remain et que presque toute la carte du référendum de 2014 sur l’indépendance écossaise est rouge No. (En effet, seuls quatre secteurs sur 32 ont voté pour l’indépendance, mais ils regroupent tout de même 20% de la population.)

Cette apparente homogénéité masque beaucoup de volatilité. Si on définit une victoire serrée comme une majorité de moins de 10% des voix exprimées, 46 des 59 circonscriptions écossaises pourraient basculer et sont considérées «marginal». On y trouve des majorités d’aussi peu que 2 voix!

Pour comprendre le portrait électoral de l’Écosse, commençons par sa géographie. Nous pourrons ensuite situer dans l’espace les sentiments concernant l’identité nationale et les changements dans la force relative des partis.

Highlanders et autres Écossais·e·s

Démarcation entre Highlands et Lowlands en Écosse
Source: Wikipedia

La principale région écossaise qu’on connaît, à cause des nombreuses références culturelles à son endroit, c’est les Highlands. Que ce soit par le biais des franchises Highlander ou Outlander (Le Chardon et le Tartan en français), on imagine cet espace montagneux peuplé de braves guerriers en kilt (ou alors, dans le cas des fans de la deuxième franchise, on s’imagine ce qui se cache en-dessous de ce kilt).

Bien évidemment, qui dit Highlands dit aussi Lowlands. On est habitué à cette réalité au Québec et au Canada: les vastes étendues au Nord ne sont pas très densément peuplées. Même si les Highlands couvrent donc une plus grande superficie, surtout quand on tient compte des îles, la majorité de la population habite dans les Lowlands.

La vaste majorité (70%) habite en fait ce qu’on appelle communément la Central Belt ou «ceinture centrale». On dit que c’est une ceinture comme c’est là que l’Écosse est la plus étroite. On y trouve à l’est la capitale, Édimbourg, qui donne sur le Firth of Forth, estuaire qui débouche sur la mer du Nord. À l’ouest, c’est la plus grande ville, Glasgow. Le trajet en train entre ces deux villes ne prend qu’une heure.

Carte de la Central Belt en Écosse
Clydeside: la région autour de la plus grosse ville, Glasgow
Lothian: la région autour de la capitale, Édimbourg
Stirlingshire et Clackmannanshire: la région montagneuse et plus rurale au nord

Source: WikiVoyage

Carte topographique de l'Écosse
Source: Wikimedia

Au sud de cette Central Belt, on trouve les Southern Uplands, un massif de collines métallifères. C’est là qu’on trouve à l’est la région des Scottish Borders qui, on devinera, borde la frontière avec l’Angleterre.

Il reste toutefois une région qui ne porte pas de nom sur cette carte: les terres basses au nord-est de la Central Belt, dans lesquelles se trouvent les villes d’Aberdeen et de Dundee, respectivement 3e et 4e plus grosses de l’Écosse.

Découpages administratifs et électoraux de l’Écosse

Carte des subdivisions administratives (council areas) de l'Écosse
Source: Wikipedia

Comme on a déjà dit, l’Écosse possède 59 sièges au Parlement britannique de Westminster. Le Parlement écossais, lui, utilise un mode de scrutin proportionnel avec listes régionales. Dans ce contexte, donc, l’Écosse est divisée en huit régions regroupant 71 circonscriptions. Finalement, l’administration locale se fait à travers 32 conseils (council areas).

Certains sondages régionaux, comme celui de YouGov, publient les résultats en fonction des huit régions utilisées pour les élections écossaises. Par contre, les résultats des référendums de 2014 et de 2016 sont disponibles par council area, comme ce sont les conseils qui ont organisé ces scrutins.

Pour compliquer l’analyse encore plus, les frontières à chaque palier gouvernemental sont différentes, donc les différentes subdivisions ne s’emboîtent pas simplement les unes dans les autres (à l’exception des 71 circonscriptions conçues pour subdiviser les huit régions au Parlement écossais).

J’ai trouvé qu’on peut utiliser les régions géographiques décrites ci-dessus pour comprendre la carte électorale de l’Écosse: les Highlands (incluant les îles), la Central Belt, les Southern Uplands et, finalement, ce que j’appelerai le nord-est des Lowlands.

Subdivisions de l’Écosse Nb de council areas Nb de sièges à Westminster
Highlands et les îles 5 6
Nord-est des Lowlands 9 16
Central Belt 12 28
Southern Uplands 6 9

Les Highlands et les îles de même que les Southern Uplands ci-dessus correspondent de part et d’autre à une seule région pour les fins des élections pour Holyrood, les deux illustrées ci-dessous.

Carte de la région électorale Highlands and Islands pour le Parlement écossais Carte de la région électorale South Scotland pour le Parlement écossais
À gauche, la région électorale de Highlands and Islands pour les élections au Parlement écossais; à droite, South Scotland (Wikipedia).

Le nord-est des Lowlands comprend les deux grandes régions électorales restantes; les quatre petites forment la Central Belt.

Identité nationale et indépendantisme

Grande découverte d’intérêt pour la fille de statisticien (et la chercheuse généalogique) que je suis: l’Écosse est en charge de son recensement depuis 1991! Au dernier, celui de 2011, elle a ajouté une question fort intéressante que Statistique Canada devrait contempler à l’avenir (comme il est trop tard pour 2021) avec la montée des volontés de «Wexit» (qui devrait vraiment trouver un meilleur nom):

What do you feel is your national identity?

On pourrait traduire la question par: «À quelle identité nationale sentez-vous appartenir?». Les trois choix de réponse étaient «écossaise», «britannique» et «autre», mais on pouvait en sélectionner plus qu’une. Une majorité de la population écossaise (62%) ne s’identifiait en 2011 que comme écossaise.

Avant, on posait uniquement une question concernant les compétences en gaélique écossais, que seulement 1% de la population parle, principalement dans les Highlands et les îles. (Dans les Hébrides extérieures ou Na h-Eileanan Siar, la moitié des 26 500 habitants et habitantes parlent gaélique.) Depuis 2011, on a donc une carte plus précise du nationalisme écossais qu’on peut placer côte à côte avec celle des résultats du référendum de 2014 sur l’indépendance de l’Écosse.

Carte de la proportion de personnes s'identifiant exclusivement comme écossaises dans chaque council area dans le recensement de 2011 Carte des résultats du référendum de 2014 sur l'indépendance de l'Écosse
À gauche, proportion de personnes s’identifiant exclusivement comme écossaises par council area dans le recensement de 2011 (Wikimedia). À droite, résultats du référendum de 2014 sur l’indépendance de l’Écosse, toujours par council area (Wikipedia).

Tout d’abord, rappelons que les indépendantistes ont perdu le référendum 55% No et 45% Yes, ce qui fait que la carte de droite est presque toute rouge. Il s’agit d’un bon rappel que les concepts de nationalisme et d’indépendantisme ne sont pas interchangeables.

Néanmoins, on voit que les cartes, découpées en council areas (regroupant des populations de taille variable), sont un peu le négatif l’une de l’autre. À gauche, dans cette carte toute de bleu, les zones les plus foncées représentent les endroits où l’identité exclusivement écossaise est la plus forte: elles sont dans la Central Belt.

À droite, les territoires colorés du rouge le plus foncé sont les plus opposés à l’indépendance écossaise. Sans surprise, ils se situent le plus près de la frontière avec l’Angleterre, dans les Southern Uplands. L’autre bande foncée part du nord-est des Lowlands. Les Highlands et les Na h-Eileanan Siar sont moins opposés à l’indépendance.

Transformations du système partisan

Tel que présenté dans l’introduction, l’élection générale de 2015 a vu un tsunami SNP défilé sur l’Écosse, tournant au jaune une carte anciennement à prédominance rouge. Il ne restait qu’une circonscription pour chacun des trois vieux partis.

Carte des résultats électoraux de l'élection générale britannique de 2015 en Écosse
Source: Wikipedia

Lorsqu’on compare les cartes des résultats des élections de 2010 et de 2017, on obtient comme des images avant/après. Tout d’abord, la mainmise travailliste se limitait aux Lowlands. Depuis 2005, les Highlands et les îles n’élisent que des personnes députées affiliées aux libéraux démocrates ou au SNP. On sait toutefois que c’est dans les Lowlands que se trouve la vaste majorité de l’électorat.

Carte des résultats électoraux de l'élection générale britannique de 2010 en Écosse Carte des résultats électoraux de l'élection générale britannique de 2017 en Écosse
À gauche, les résultats à l’élection générale de 2010. À droite, les résultats à l’élection générale de 2017 (Wikipedia).
Carte des résultats du référendum de 2016 sur l'appartenance du Royaume-Uni à l'Union européenne

Source: Wikipedia

On constate aussi que les conservateurs, qui n’étaient parvenus qu’à conserver qu’une seule circonscription écossaise en 2010, on reprit leur pied. Le SNP était d’abord établi dans le nord-est des Lowlands, mais en 2017 ces terres ont été conquises par les conservateurs, probablement comme c’est un des endroits où l’opposition au Brexit était la moins féroce (coloration plus pâle ci-contre) dans la marée orange de l’Écosse.

La Central Belt, anciennement presque totalement acquise aux travaillistes, est maintenant plus morcelée. C’est la seule subdivision où les quatre partis détiennent présentement des sièges. (C’est aussi la plus populeuse, et donc celle qui comprend le plus de circonscriptions.)

Carte des résultats électoraux de l'élection générale britannique de 2010 dans la Central Belt de l'Écosse
Résultats de 2010 dans la Central Belt (Wikipedia)
Carte des résultats électoraux de l'élection générale britannique de 2017 dans la Central Belt de l'Écosse
Résultats de 2017 dans la Central Belt (Wikipedia)

Labour, qui détenait toute la Central Belt en 2010 sauf deux circonscriptions LibDem, n’a conservé que Edinburgh South en 2015. Le Parti travailliste a repris cinq sièges en 2017, et les conservateurs ont pris East Renfrewshire, dans la banlieue sud de Glasgow, où habite la moitié de la population juive d’Écosse.

Les deux circonscriptions de la Central Belt détenues par les libéraux démocrates en 2010 et en 2017 étaient Edinburgh West et East Dunbartonshire, en banlieue nord de Glasgow, détenue par Jo Swinson, maintenant chef du parti. Elle est en danger de reperdre son siège comme en 2015.

#indyref2 et Stop Brexit

Nicola Sturgeon et son autobus de campagne
Source: Photographe: Jane Barlow/PA

La première ministre de l’Écosse, Nicola Sturgeon, est également la frontwoman de la campagne actuelle du SNP pour les élections de Westminster, une situation toujours très particulière. Sa principale préoccupation pour cette élection est d’empêcher l’Écosse de sortir contre son gré de l’Union européenne. Elle a toutefois annoncé qu’elle voulait tenir dès 2020 (ça c’est l’année prochaine) un deuxième référendum d’indépendance.

La politologue Ailsa Henderson, qui a mené la Scottish Referendum Study, soutient que la position de chaque électeur et électrice sur cet enjeu local est plus importante que celle sur Brexit ainsi que l’affiliation partisane. Elle décrit quatre tribus politiques au sein de la population écossaise en fonction de leurs positions lors des deux référendums.

Indépendance
No Yes
Brexit Remain 33% 29%
Leave 22% 16%

Source: Rob Johns live-tweetant une présentation de Ailsa Henderson, Political Studies Association, 14 novembre 2019.

Dans une entrevue à l’agence de presse Reuters à la mi-novembre, elle explique que les positions pro-indépendance du SNP et pro-Brexit des conservateurs en font le parti tout désigné pour des segments différents de l’électorat.

Le SNP est le choix de ceux et celles qui souhaitaient l’indépendance de l’Écosse, qu’ils soient des Remainers ou des Leavers (colonne de droite dans le tableau, un total de 45%). Les conservateurs sont le choix évident de ceux et celles qui s’opposent à l’indépendance et veulent quitter l’Union européenne (en bas à gauche, 22% de l’électorat).

Ruth Davidson
Source: PA

Ces deux partis sont effectivement clairement en tête des intentions de vote en Écosse. Leur vote se maintient d’ailleurs bien en Écosse, d’après l’immense sondage de YouGov de la fin novembre. Respectivement neuf et huit personnes sur dix qui auraient voté pour le SNP et les Tories en 2017 auraient l’intention de leur renouveler leur confiance. C’est surprenant puisqu’on craignait que le vote des conservateurs écossais s’effondre avec le départ de leur très talentueuse et aimée chef, Ruth Davidson, pour cause de désaccords fondamentaux avec Boris Johnson.

Ça laisse en reste Labour, avec sa position je-veux-le-beurre-et-l’argent-du-beurre sur Brexit et une similaire ambiguïté concernant la tenue d’un deuxième vote d’indépendance en Écosse. À peine plus de la majorité des personnes qui auraient voté pour Labour en Écosse en 2017 renouveleraient leur appui à Jeremy Corbyn.

La politologue ne mentionne pas les libéraux démocrates. Ce serait théoriquement le parti de ceux et celles qui s’opposent à l’indépendance écossaise et à la sortie de l’Union européenne. D’après YouGov, ce parti réussirait mieux que Labour à maintenir son électorat écossais, avec les deux tiers qui compteraient renouveler leur soutien. On remarque d’ailleurs dans toutes les projections que les libéraux démocrates passent devant les travaillistes au chapitre du nombre de sièges détenus en Écosse.

Dernières projections pour l’Écosse

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3 déc.
3 déc.
SNP 35 46 – 48 46 44 44 44
Conservateurs 13 6 – 8 7 9 9 10
LibDems 4 3 – 5 5 5 4 4
Labour 7 0 – 2 1 1 2 1

Labour est en passe de perdre tous ses sièges écossais. Quel revirement de situation en l’espace d’une seule décennie!

La prochaine fois, on regardera ce qui se trame en Irlande du Nord.


La firme de sondage Ipsos MORI a consacré jeudi dernier, le 5 décembre, un épisode entier de son Election 2019 Podcast à l’Écosse. Bonne écoute!

Nouvelles étrangères

Ça va moins mal pour Labour

À un peu plus d’une semaine du scrutin, jetons un petit coup d’œil aux sondages et aux projections.

Voici les intentions de vote recensées sur Wikipedia depuis le début de la campagne. Les conservateurs demeurent largement en avance, mais les appuis de Labour augmentent davantage que ceux des conservateurs, rétrécissant l’écart. (Rappelons que la plupart des sondages excluent la comparativement très petite Irlande du Nord et son système partisan complètement distinct.)

Évolution des intentions de vote au cours de la campagne électorale britannique jusqu'au 3 décembre 2019 inclusivement
Source: Wikipedia

Autrement, l’analyse demeure la même que la semaine dernière: les deux principaux partis (les Tories en bleu et Labour en rouge) montent dans les sondages alors que les libéraux démocrates (en orange) et le Brexit Party (en turquoise) baissent, au point où ce dernier a rejoint les partis nationalistes (combinés en jaune) et les verts sous la barre des 5%. C’est ce qu’on appelle en anglais le «squeeze» des partis plus petits partis alors que l’électorat se rallie vers un des partis de l’alternance du pouvoir.

Regardons donc comment se traduisent ces changements dans les projections.

Projections toujours unanimes

Les projections demeurent unanimes: les conservateurs seraient pratiquement certains d’obtenir une majorité, même si l’écart s’est rétréci avec Labour. On est passé de 355 à 384 sièges ou plus pour les conservateurs à une fourchette de 334 à 363 selon les projections. Du côté de Labour, alors que ça oscillait entre 184 sièges ou moins et 212 la semaine dernière, les projections prévoient plutôt entre 204 et 227 sièges. Les travaillistes sont donc toujours en danger d’obtenir leur pire résultat depuis la Deuxième Guerre mondiale (présentement 209 sièges en 1983).

J’ai laissé les projections dans le même ordre que la dernière fois, plutôt que de les ordonner à nouveau. On n’aurait qu’à inverser UK-Elect et Bailey and English pour replacer de la projection la plus optimiste à la plus pessimiste pour les conservateurs.

Dernières projections pour la Grande-Bretagne

Partis À la dissolution Forecast UK UK-Elect Bailey and English Electoral Calculus 326 Politics
3 déc.
1 déc.
3 déc.
30 nov.
3 déc.
Conservateurs 298 360 – 363 345 349 (316-381) 342 (262-437) 334
Labour 243 204 – 207 215 214 (188-242) 226 (137-300) 227
SNP 35 43 – 46 46 49 (34-57) 44 (23-48) 43
LibDems 21 13 – 19 20 17 (13-21) 15 (11-46) 23
Brexit Party 0 0 0 (0-5) 0
Plaid Cymru 4 2 – 4 4 4 (3-5) 4 (0-5) 3
Verts 1 0 – 1 1 1 (1-1) 1 (0-2) 1
Indépendants 21 0 – 1
Autres 8 2 0 (0-1) 0

Je rappelle que le siège du président de la Chambre est exclu de ces projections, pour un total de 631 sièges en Grande-Bretagne.

Plus qu’une seule projection (326 Politics) donne aux libéraux démocrates une plus grande députation qu’ils n’avaient à la dissolution. Outre la montée des conservateurs et la chute de Labour par rapport à leur nombre de sièges au moment de la dissolution, les projections sont unanimes sur le fait que le Parti nationaliste écossais (Scottish National Party ou SNP) augmenterait sa députation à Westminster et que le Brexit Party risque de n’y faire élire personne.

Parce qu’on ne peut pas constamment mettre l’Irlande du Nord de côté, voici les projections pour ses 18 sièges. Elles n’ont pas changé depuis la semaine dernière.

Dernières projections pour l’Irlande du Nord

Partis À la dissolution Forecast UK 326 Politics Electoral Calculus UK-Elect
3 déc. 3 déc. 30 nov. 1 déc.
DUP 10 6 – 9 8 8 10
Sinn Féin 7 3 – 6 6 7 7
Alliance 0 2 – 4 1 3
SDLP 0 1 – 3 2
UUP 0 0 – 2 1
Indépendants 1

Prochain billet: l’Écosse!

Nouvelles étrangères

La projection mythique et le vote stratégique

On est maintenant à 10 jours du scrutin. La dernière semaine a été chargée émotivement. Mardi, une lettre du grand-rabin britannique au Times exprimait la peur dans la communauté juive à l’égard d’un gouvernement travailliste à cause de l’antisémitisme dans le parti. Le soir même, Jeremy Corbyn a donné une très mauvaise entrevue à Andrew Neil, le bulldog politique de la BBC.

Débat sur l'urgence climatique à Channel 4
Source: Harrison Jones, «Channel 4 replace Boris Johnson with an ice sculpture in climate debate», Metro, 28 novembre 2019.

Des débats se tenaient les deux derniers soirs. Jeudi, au débat sur l’environnement de Channel 4, Boris Johnson et Nigel Farage, absents, ont été remplacés par des sculptures de glace, ce qui a été mal reçu par les conservateurs. Vendredi, un attentat terroriste au couteau à Londres a servi de prélude au débat avec sept partis mais pas tous les chefs à la BBC.

Toutefois, à Prime à l’urne, on se concentre davantage sur les sondages, donc on va s’y tenir malgré les événements qui déboulent. La projection tant attendue a été publiée mercredi soir: c’est celle qui avait le mieux réussi en 2017, la seule à avoir vu venir le gouvernement minoritaire de Theresa May. Elle aurait aussi désigné le bon parti gagnant dans 93% des sièges.

Les bonnes et mauvaises nouvelles de la projection

La projection est commandée par le sondeur YouGov à deux chercheurs de University College London (UCL): Benjamin Lauderdale et Jack Blumenau. Ils ont produit un beau document de 49 pages disponible en pdf rempli de tableaux et de graphiques. J’ai lu ça ainsi que l’analyse de Stephen Bush au New Statesman, une revue hebdomadaire associée à Labour (parce que ça crie beaucoup au meurtre par rapport aux sondages chez les travaillistes, ces temps-ci)1.

Comme avec les projections qu’on a vu dans le dernier billet, ça n’augure rien de bon pour Labour, toujours dangereusement proche de son pire résultat depuis la Deuxième Guerre mondiale. La pdg du site de projection Best for Britain, qui travaille avec le modèle de Electoral Calculus, offre toutefois une note d’espoir dans ce tweet:

Very similar to the MRP @BestForBritain has used for tactical voting advice at http://getvoting.org : the good news is that enough seats have become marginal for us to win IF remainers vote tactically.

Naomi Smith explique que la bonne nouvelle c’est que suffisamment de luttes sont devenues serrées (marginal) pour que le vote stratégique ait une chance de fonctionner.

Je vais commencer par présenter la méthodologie de la projection de YouGov (comme mes questions aux autres projectionnistes sont restées sans réponse sur Twitter à part pour Forecast UK) et les résultats régionaux, pour les mettre à jour par rapport à ce que j’avais pu exposer dans le billet sur la carte électorale de l’Angleterre.

Finalement, on pourra zoomer encore plus et comparer la projection aux intentions de vote exprimées dans trois sondages locaux dans des circonscriptions visées par le vote stratégique à Londres. J’aime beaucoup la formulation des questions qui ont été posées.

Les données de YouGov

Du 20 au 26 novembre, YouGov a sondé un échantillon représentatif de plus de 13 500 personnes en Grande-Bretagne (comme toujours, ce sondage exclut l’Irlande du Nord) pour obtenir leurs intentions de vote. Pour atteindre un échantillon de près de 100 000 personnes et avoir plus d’observations pour chaque circonscription, YouGov a sondé près de 87 000 personnes tirées de son panel (top-up sample).

Les résultats de ce deuxième échantillon, non probabiliste mais plus de 6 fois plus grand que l’échantillon représentatif, ont été pondérés en fonction de ceux dans l’échantillon représentatif. Au final, on obtient en moyenne 159 observations par circonscription: pas assez pour traiter ces données comme des sondages locaux.

Trois modèles en un

La projection de YouGov se fait à partir d’une régression multi-niveaux et d’une poststratification (multilevel regression and poststratification ou MRP). Cette méthodologie est si commune présentement au Royaume-Uni que l’acronyme «MRP» est utilisé comme synonyme de projection.

La régression multi-niveaux s’appuie sur trois modèles:

  1. une modélisation des différents segments de la population (population model);
  2. une modélisation des réponses aux questions de sondage en fonction de caractéristiques de la population (survey response model);
  3. un modèle de participation électorale pour prédire si un individu votera ou pas en fonction du comportement de l’électorat en 2015 et en 2017 (turnout model).

La poststratification consiste à transposer les résultats d’un sondage national aux circonscriptions locales en évaluant la proportion de chaque segment de population présent dans chaque circonscription.

Grosso modo, le premier modèle segmente l’électorat et le deuxième prédit la direction dans laquelle ira chacun de ces segments dans chaque circonscription. Le troisième détermine la proportion dans laquelle chacun des segments ira effectivement voter.

Pour obtenir la projection, les chercheurs ont lancé 1000 simulations (ça, je l’ai seulement su en posant une question sur Twitter).

Sous quelle loupe considère-t-on la population?

Dans la modélisation effectuée pour YouGov, la population est caractérisée selon ses choix politiques passés et des caractéristiques démographiques plus traditionnelles.

L’historique électoral utilisé comme caractéristique de la population inclut:

  • l’élection européenne de 2019;
  • l’élection générale de 2017;
  • le référendum de 2016.

Il y a également une variable pour le niveau d’attention portée à la politique sur une échelle de 0 à 10.

Les caractéristiques proprement démographiques incluent:

  • l’âge;
  • le genre;
  • le niveau d’éducation;
  • l’état civil;
  • l’origine ethnique.

Sur ce dernier point, l’électorat britannique est divisé entre les origines ethniques blanche (91%); noire (2%); «Asian» (6%), ce qui au Royaume-Uni désigne les gens du sous-continent indien; et mixte et/ou multiple (1%).

Portrait régional

Les résultats régionaux sont plus encourageants pour Labour que le dernier gros sondage de YouGov, présenté à la fin du billet sur la carte de l’Angleterre, et le sondage local dans Great Grimsby, discuté dans le dernier billet. Ainsi, la région du North West et le pays de Galles seraient revenus dans la colonne de Labour.

On voit à travers la Grande-Bretagne l’effet du «squeeze» des plus petits partis, qui voient leurs intentions de vote diminuer sous la pression des grands partis rappelant que eux seuls peuvent gagner. Le soutien des libéraux démocrates, qui se situait entre 14% et 17% dans le Nord de l’Angleterre et les Midlands, y est descendu à 10% et moins. Il tient mieux dans le sud (où ils ont plus de chances d’être élus): en un mois, les intentions de vote n’ont baissé que de deux points de pourcentage.

Les intentions de vote pour le Brexit Party se sont effondrées partout comme il ne présente que 275 candidatures en raison de la Leave Alliance unilatérale qu’il a proclamée. Les verts dépassent ainsi le Brexit Party dans le sud, incluant Londres, et sont à égalité dans les Midlands.

Le portrait est différent dans le nord de l’Angleterre et au pays de Galles, bastions travaillistes qui ont voté Leave au référendum, parce que c’est là que se présente le Brexit Party dans l’objectif de bloquer Labour. Il y perd tout de même 8 à 9 points de pourcentage. La région du Nord East reste la plus favorable, mais passe de 19% à 10%. Toujours aucune projection n’entrevoit la possibilité qu’il gagne un siège.

Qui arrive deuxième?

Ça m’a surprise, mais les analyses électorales au Royaume-Uni incluent souvent une carte des deuxièmes partis arrivés deuxièmes (runner-up). Je n’en avais jamais vu avant de les produire moi-même pour Québec solidaire en 2013. Ainsi, les pages 6 et 7 sont dédiées à des cartes (malheureusement pas des cartogrammes) des partis gagnants dans chaque circonscription, puis des deuxièmes.

Parti qui gagnera dans chaque circonscription de la Grande-Bretagne selon la projection de YouGov Parti qui arrivera deuxième dans chaque circonscription de la Grande-Bretagne selon la projection de YouGov
Source: Benjamin Lauderdale et Jack Blumenau, «MRP Methodology, Tables and Figures», YouGov, 27 novembre 2019, p. 6-7.

Comme le rappelle Stephen Bush, on continue d’assister au réalignement partisan sur des bases moins régionales et plus sur le type d’environnement, urbain ou rural (quelque chose qu’on observe et étudie beaucoup aux États-Unis):

The parties of the left and centre are increasingly the party of the:

  • big city working class,
  • ethnic minority voters of all incomes,
  • graduates and
  • social liberals.

The parties of the right are increasingly the party of:

  • people in small towns of all incomes,
  • the old, and
  • the socially authoritarian.2

Ainsi, la marée bleue à gauche au sud de la frontière écossaise s’explique non seulement par la majorité conservatrice qu’on prédit, mais aussi par le fait que les circonscriptions urbaines, plus rouges, sont noyées dans les grandes étendues rurales votant Tory.

À droite, on voit comment le bloc des couleurs chaudes aurait pu se diviser l’Angleterre et le pays de Galles pour espérer donner une chance au Royaume-Uni de rester dans l’Union européenne. Toutefois, comme on l’a vu avec l’important désaccord initial entre les sites de promotion du vote stratégique, la carte n’aurait pas nécessairement eu l’air de ça avec l’état des faits et les informations disponibles au début de la course.

Ce que cette carte du meilleur deuxième ne dit pas, c’est la distance entre deuxième et troisième: elle ne distingue pas entre châteaux-forts, luttes serrées et courses à trois. On peut toutefois le déduire du tableau des résultats projetés par circonscription. Par contre, il ne dit pas la proportion de l’électorat de chaque parti disposée à changer d’allégeance pour des raisons stratégiques. Pour ça, ça prend des sondages locaux.

Les nouvelles courses à trois à Londres

Une série de trois sondages a été menée plus tôt ce mois-ci (du 7 au 12 novembre) par Deltapoll pour évaluer où se situait le vote stratégique pour défier les conservateurs dans trois luttes londoniennes.

On se souvient que Londres est un territoire de plus en plus travailliste (notamment des suites du réalignement urbain—rural des partis) et le seul bastion Remain au sud de la frontière écossaise. Voici à quoi ressemblait la carte au lendemain de l’élection anticipée de 2017.

Carte des résultats électoraux de 2017 à Londres
Source: Wikipedia

Les quartiers centraux sont extrêmement forts pour Labour, sauf les coins plus riches de l’ouest de la ville. Les banlieues (ce qu’on appelle la «London commuter belt» en anglais) sont conservatrices, sauf là où elles votent LibDem. C’est pourquoi on suppose que le vote stratégique devrait aller vers les libéraux démocrates plutôt que vers les travaillistes dans ces sièges Con-Leave.

Les trois circonscriptions visées par les sondages sont Finchley and Golders Green, Kensington et Wimbledon (oui, c’est pas juste le nom d’un tournoi de tennis, c’est aussi une banlieue au sud de Londres). Ce sont trois circonscriptions au profil électoral différent.

Carte de la circonscription de Finchley and Golders Green à Londres
Source: Wikipedia

Un cinquième de l’électorat de Finchley and Golders Green, au nord dans la couronne de l’Outer London, est juif. Cette circonscription est passée de travailliste à conservatrice en 2010. Les partis de l’alternance du pouvoir sont restés à 10 points de pourcentage de différence jusqu’en 2017, où Labour était à un peu plus de 1600 voix de reprendre le siège.

Comme partout, les résultats de l’élection européenne de ce printemps rapportés sur la circonscription indiquent que les libéraux démocrates y auraient obtenu le plus de voix par une bonne marge. Ils y ont d’ailleurs parachuté Luciana Berger, une députée juive qui a quitté le Parti travailliste à cause de l’antisémitisme institutionnalisé.

Berger a abouti (après d’autres pérégrinations) chez les libéraux démocrates, et ils ont jugé stratégique de l’envoyer se battre dans une circonscription où c’est normalement bleu ou rouge. Le Financial Times a dépêché un journaliste dans la circonscription, et il parle de l’état de la course au podcast électoral UK Election Countdown aujourd’hui (à partir de 18:35).

Carte de la circonscription de Kensington à Londres
Source: Wikipedia

La circonscription de Kensington, c’est pas mal à l’arrondissement (borough) Kensington and Chelsea dans l’Inner London. Elle avait toujours été solidement conservatrice avant de virer au rouge en 2017 par une majorité de 20 voix (vingt! il ne manque pas de 0!).

Carte de la circonscription de Wimbledon à Londres
Source: Wikipedia

La circonscription Wimbledon, dans la portion sud de la couronne de l’Outer London, a toujours été conservatrice depuis la Deuxième Guerre mondiale, à l’exception de deux élections générales pendant que le travailliste Tony Blair était au pouvoir au tournant du XXIe siècle.

Comme dans les deux autres circonscriptions, la marge entre les partis de l’alternance du pouvoir s’est rétrécie en 2017 et les libéraux démocrates seraient arrivés premiers à l’élection européenne du printemps.

Les sondages locaux de Deltapoll

Après avoir demandé aux personnes répondant au sondage pour qui elles avaient l’intention de voter, on leur a présenté deux scénarios hypothétiques de luttes à deux plutôt qu’à trois. Ainsi, on demandait: si je vous dis que seul Labour avait des chances de gagner contre les conservateurs, pour qui voteriez-vous? Et si c’était les libéraux démocrates?

Les résultats, bien présentés par l’équipe de graphisme de The Guardian, indiquent que dans les trois circonscriptions un vote stratégique pour Labour échouerait alors qu’il fonctionnerait pour les LibDems.

Intentions de vote dans des hypothèses de vote stratégique dans les circonscriptions Finchley and Golders Green, Kensington et Wimbledon
Source: Graphiques de The Guardian, 16 novembre 2019, données de Deltapoll.

Le fait que le vote stratégique fonctionne s’il est dirigé vers les libéraux démocrates mais pas si c’est vers Labour n’est pas très surprenant quand on considère qu’ils étaient deuxièmes dans les intentions de vote exprimées initialement.

Intentions de vote dans les circonscriptions Finchley and Golders Green, Kensington et Wimbledon
Source: Graphiques de The Guardian, 16 novembre 2019, données de Deltapoll.

C’est encore moins surprenant lorsqu’on considère les données de la British Election Study sur les sentiments des sympathisants et sympathisantes à l’égard de l’autre parti.

Perception à l’égard de l’autre parti

Je n’ai pas retrouvé les données à la source de ce graphique, mais je devine qu’on demandait de situer son opinion des partis sur une échelle de 0 à 10. On a regroupé les choix de 0 à 4 dans la catégorie «n’aime pas» (dislike), le choix 5 a donné la catégorie «ambivalente» et les choix de 6 à 10 se sont retrouvés dans une catégorie «positive» (warm).

Perception de l'autre parti de la part de l'électorat Remain des travaillistes et des libéraux démocrates
Source: Matt Bevington, «Tactical voting by Lib Dem voters can’t help Labour win, but it can stop them losing», The UK in a Changing Europe, 18 novembre 2019.

À gauche, on trouve ce que l’électorat travailliste Remain dans l’étude pense des libéraux démocrates. À droite, c’est l’inverse. On constate qu’une majorité de l’électorat LibDem a une opinion négative de Labour, alors que l’électorat de ce dernier est beaucoup plus chaud (34% contre 25%) ou ambivalent (26% contre 18%) à l’égard que leurs rivaux Remain.

On peut donc raisonnablement conclure que les personnes qui votent Labour sont plus confortables à l’idée de voter LibDem que l’inverse, quoique ces résultats masquent peut-être des différences régionales.

Est-ce que l’opinion de l’électorat travailliste a évolué, toutefois, à mesure qu’il a appris à connaître Jo Swinson? Si oui, ce n’est pas de bon augure pour les libéraux démocrates si on se fie à la popularité de la chef des LibDems mesurée à différents points par YouGov. Son dernier sondage (ou le fait saillant que la firme en a tiré) a fait grand bruit, lui aussi.

Évolution de la perception de Jo Swinson
Source: Matthew Smith, «Has familiarity of Jo Swinson bred contempt?», YouGov, 20 novembre 2019.

On constate que, pendant que le sondage a été mené les 11 et 12 novembre, près de la moitié de l’électorat (48%) avait une opinion défavorable d’elle, une proportion en hausse depuis son élection à la chefferie, en fait. En contrepartie, seul un quart (24%) de l’élection en a une opinion favorable.

La chef des libéraux démocrate, Jo Swinson, devant son autobus de campagne
Source: Daniel Leal-Olivas, photojournaliste pour l’Agence France-Presse (AFP), «A day with Jo Swinson, leader of the Liberal Democrats.», sur Instagram (@lealolivas)

Avant même ces résultats, beaucoup de gens avaient remis en question le choix des libéraux démocrates d’axer leur campagne sur la personne de leur chef, notamment en mettant «Jo Swinson’s Liberal Democrats» et sa face en gros sur l’autobus de campagne.

Différences entre sondages locaux et projection

Dans les trois circonscriptions, l’écart entre les partis membres du bloc des couleurs chaudes est plus parti dans la projection que dans le sondage local, au point où Labour dépasserait les libéraux démocrates par un point de pourcentage dans la projection dans Finchley and Golders Green.

Finchley and Golders Green Kensington Wimbledon
Sondage Projection Sondage Projection Sondage Projection
Tories 46% 45% 36% 37% 38% 43%
LibDems 32% 27% 33% 29% 36% 30%
Labour 19% 28% 27% 26% 23% 26%

Serait-ce le résultat d’une différence méthodologique? Ou le reflet du fait que les intentions de vote bougent? Les sondages locaux de Deltapoll ont été menés du 7 au 12 novembre alors que le sondage national qui a nourri la projection de YouGov s’est fait deux semaines plus tard du 20 au 26 novembre.

Dans tous les cas, les consignes de vote stratégique continuent d’être partagées dans les trois.

Circonscription
(consigne de Jon Worth)
Compare the Tacticals pour la circonscription Finchley and Golders Green
Finchley and Golders Green
(LibDem)
Kensington
(LibDem)
Compare the Tacticals pour la circonscription Kensington
Wimbledon
(LibDem)
Compare the Tacticals pour la circonscription Wimbledon

Dans le prochain billet, il serait temps de s’attaquer à l’Écosse, puis éventuellement à l’Irlande du Nord.

Notes

Nouvelles étrangères

Ça va mal pour Labour

À un peu plus de deux semaines du scrutin, les sondages n’augurent rien de bon pour Labour (ils doivent donc mentir) et ne sont pas que remplis de bonnes nouvelles pour les libéraux démocrates. Bref, ça augure mal pour le camp Remain et/ou deuxième référendum.

Évolution des intentions de vote au cours de la campagne électorale britannique jusqu'au 25 novembre 2019 inclusivement
Source: Wikipedia

Voici les intentions de vote recensées sur Wikipedia depuis le début de la campagne. Notons que la plupart des sondages excluent la comparativement très petite Irlande du Nord et son système partisan complètement distinct. Les conservateurs sont largement en avance, mais l’écart avec Labour est assez stable.

Les deux principaux partis (les Tories en bleu et Labour en rouge) montent dans les sondages alors que les libéraux démocrates (en orange) et le Brexit Party (en turquoise) baissent, au point où ce dernier rejoint les partis nationalistes (combinés en jaune) et les verts sous la barre des 5%. C’est ce qu’on appelle en anglais le «squeeze» des partis plus petits partis alors que l’électorat se rallie vers un des partis de l’alternance du pouvoir.

C’est bien beau ces sondages nationaux, mais on sait très bien que ce ne sont pas de très bons indicateurs dans un scrutin uninominal à un tour. Aux dernières élections fédérales canadiennes, les conservateurs ont même gagné le vote populaire pendant que les libéraux ont récolté le plus de sièges!

Regardons donc les (mauvaises nouvelles qui attendent Labour dans les) projections et dans un sondage local qui a beaucoup fait jaser.

Projections unanimes

Les projections sont unanimes: les conservateurs seraient présentement certains d’obtenir une majorité. J’ai ordonné les projections de la plus optimiste (384 sièges ou plus) à la plus «pessimiste» (355) pour les conservateurs ou, si vous préférez, de la plus pessimiste (184 sièges ou moins) à la plus «optimiste» (212) pour Labour.

Dernières projections pour la Grande-Bretagne

Partis À la dissolution Forecast UK UK-Elect Jack Bailey et Patrick English Electoral Calculus 326 Politics
25 nov.
24 nov.
24 nov.
23 nov.
25 nov.
Conservateurs 298 384 – 387 363 361 (335-391) 359 (272-444) 355
Labour 243 175 – 184 194 200 (176-223) 208 (125-283) 212
SNP 35 42 – 45 44 49 (36-56) 41 (20-46) 41
LibDems 21 14 – 23 25 17 (13-21) 20 (13-61) 20
Brexit Party 0 0 0 (0-9) 0
Plaid Cymru 4 2 – 4 5 4 (3-5) 3 (0-6) 2
Verts 1 0 – 2 1 1 (1-1) 1 (0-2) 1
Indépendants 21 0 – 2
Autres 8 0 2 0 (0-1) 0

Notez que le siège du président de la Chambre est exclu de ces projections, pour un total de 631 sièges en Grande-Bretagne.

Outre la montée des conservateurs et la chute de Labour, les projections sont unanimes sur le fait que le Parti nationaliste écossais (Scottish National Party ou SNP) augmenterait sa députation à Westminster et que le Brexit Party risque de n’y faire élire personne. Elles sont partagées sur le sort des libéraux démocrates, de Plaid Cymru et des verts, mais les différences demeurent minimes.

Parce qu’on ne peut pas constamment mettre l’Irlande du Nord de côté, voici les projections pour ses 18 sièges.

Dernières projections pour l’Irlande du Nord

Partis À la dissolution Forecast UK 326 Politics Electoral Calculus UK-Elect
25 nov. 25 nov. 23 nov. 24 nov.
DUP 10 6 – 9 8 8 10
Sinn Féin 7 3 – 6 6 7 7
Alliance 0 2 – 4 1 3
SDLP 0 1 – 3 2
UUP 0 0 – 2 1
Indépendants 1

Trois des quatre projections prévoient l’entrée à Westminster de nouveaux partis nord-irlandais le retour à Westminster de certains partis nord-irlandais (c’est ce qui arrive quand on veut introduire un sujet délaissé avant d’avoir eu le temps de faire ses recherches!), des partis qui prendraient leurs sièges, contrairement au Sinn Féin, comme on l’a vu en parlant d’arithmétique parlementaire. Vivement le moment où j’aurai le temps de me plonger dans ce système partisan nouveau pour moi et visiblement en changement!

Ce que les sondages disent sur Labour

Comme le soulignent Stephen Fisher, John Kenny et Rosalind Shorrocks (des universités Oxford, Southampton et Manchester respectivement), les projections placent Labour sensiblement au même niveau que son pire résultat de l’après-guerre: seulement 209 sièges en 1983, à la première réélection de Margaret Thatcher.

On l’avait vu dans le billet sur la carte électorale de l’Angleterre: à en croire le méga-sondage de YouGov avec un échantillonnage assez grand pour distinguer les régions, Labour serait en train de perdre le nord, qui avait voté Leave. Toutefois, dans le dernier coup de sonde de la firme (21-22 novembre), Labour tient bon dans le nord, avec une avance de 7 points sur les conservateurs alors que ceux-ci mènent 42% contre 30% à l’échelle de la Grande-Bretagne.

Une lutte à finir dans les Midlands

Dans les sondages locaux, par exemple, c’est une autre histoire. Un sondage commandé par The Economist dans Great Grimsby et mené par Survation a fait grand bruit. Cette circonscription du Lincolnshire, bien que dans les Midlands, est détenue par Labour depuis 1945. On se souvient que les Midlands sont plutôt conservateurs et ont voté avec le plus de conviction pour sortir de l’Union européenne.

En 2010, les conservateurs étaient passés à quelque 700 voix de ravir Great Grimsby aux travaillistes. L’avance de Labour était redevenue plus confortable en 2015 grâce à l’importante division du vote causée par UKIP, à l’époque dirigé par Nigel Farage: sa candidate était arrivée troisième, presqu’à égalité avec le candidat conservateur (25% contre 26%). En 2017, comme le vote de UKIP s’est effondré, le Parti conservateur chauffait à nouveau les fesses de Labour, qui l’a quand même emporté avec un peu plus de 2500 voix d’avance.

D’après les calculs de Chris Hanretty, la circonscription aurait voté à 69% pour Leave au référendum de 2016. Le politologue a également transposé les résultats de l’élection européenne: le Brexit Party aurait reçu 49% des voix contre 14% pour Labour. Comme on a vu dans les billets sur le pays de Galles et sur l’Angleterre, c’était une élection battue sur des enjeux et avec un mode de scrutin très différents.

Quel ne fut pas le choc, néanmoins, la semaine dernière de voir les conservateurs avec une avance de plus de 10 points de pourcentage sur Labour dans le sondage de Survation.

Résultat du sondage mené les 14 et 15 novembre 2019 dans Great Grimsby par Survation
Source: Twitter

Si ce sondage reflète fidèlement la réalité (ce qu’on ne peut demander à un seul sondage de faire), un vote stratégique de la part de la totalité des personnes qui soutiennent les libéraux démocrates (à 4%) et les verts (à 3%) ne suffirait pas à combler le retard de Labour, qui visiblement perd des voix au profit du Brexit Party.

Dans le prochain billet, j’aborderai enfin un sondage sur des courses à trois à Londres dont j’ai envie de parler depuis plusieurs semaines maintenant!

Nouvelles étrangères

Rétrospective de la dernière semaine: débats (et) manifestes

Avant de retourner aux sondages et aux projections auxquels s’intéresse généralement Prime à l’urne, passons en revue les moments forts prévisibles d’une campagne qui se sont produits la semaine dernière.

  • Un premier débat télévisé s’est déroulé mardi dernier avec uniquement les chefs des partis de l’alternance du pouvoir.
  • L’émission Question Time de la BBC a consacré une demi-heure à chacun et chacune des quatre chefs qui avaient la plus grande députation au déclenchement de l’élection.
  • La Manifesto Week, comme l’ont appelée les médias, se termine aujourd’hui avec le dévoilement du «manifeste» conservateur.

Leaders on the telly

Il fallait que j’écrive ce sous-titre en anglais pour attirer l’attention sur le fait que les Britanniques disent «telly» plutôt que «tivi» comme nous en Amérique du Nord.

Je l’ai mentionné dans le billet constitué de brèves médiatiques: le programme de débats télévisés et autres apparitions télévisuelles est très chargé durant cette élection. Wikipedia en liste 15 au total sur 4 chaînes britanniques et 6 chaînes ou stations affiliées régionales.

Pour m’assurer que ça rentre dans la largeur de ce billet, j’ai séparé le tout par la portée du débat: Royaume-Uni, pays de Galles, Écosse ou Irlande du Nord.

Royaume-Uni

Date Chaîne Tories Labour SNP LibDems Plaid Verts Brexit
19 nov. ITV Johnson Corbyn
22 nov. BBC (Question Time) Johnson Corbyn Sturgeon Swinson
28 nov. Channel 4 Corbyn Sturgeon Swinson Price Berry
29 nov. BBC Sunak Long-Bailey Sturgeon Swinson Price Lucas Tice
1 déc. ITV Sunak Burgon Sturgeon Swinson Price Berry Farage
6 déc. BBC Johnson Corbyn
9 déc. BBC (Question Time Under 30) à confirmer

Remarquez comme c’est la première ministre de l’Écosse, Nicola Sturgeon, qui représente le Parti nationaliste écossais (Scottish National Party ou SNP) à la télévision. C’est comme si le Bloc et le Parti québécois étaient en fait un seul et même parti, et qu’en 2000 Lucien Bouchard avait représenté le Bloc québécois au débat des chefs (c’était plutôt Gilles Duceppe).

Le menu a changé pour le 28 novembre: un débat sur Sky News, qui aurait été le seul avec les trois partis prétendant au pouvoir, a été remplacé par un débat sur l’environnement à Channel 4. Les sept partis ont été invités, mais Boris Johnson et Nigel Farage du Brexit Party ont décidé de passer leur tour. Ce sera donc le premier débat à l’échelle du Royaume-Uni de Plaid Cymru et du Parti vert, représentés respectivement par le chef Adam Price et par la co-chef Siân Berry.

Face-à-face sur ITV

La semaine dernière se tenait les deux premiers événements nationaux. Voici les faits saillants du face-à-face de mardi dernier sur ITV d’après la BBC:

YouGov a effectué un sondage le soir même pour savoir comment les chefs avaient été perçus lors de ce débat. Les commentateurs et commentatrices s’en sont tenus semble-t-il au top-line finding: que Boris Johnson aurait gagné le débat 51% à 49%. C’est une façon ridicule de comprendre le résultat, et ça ne rend surtout pas justice au sondage qui a demandé bien plus que ça.

D’ailleurs, les résultats de la question concernant la performance, bonne ou mauvaise, de chaque chef semblent contredire ce résultat simpliste.

Performance de Boris Johnson et de Jeremy Corbyn au débat sur ITV
Source: YouGov

Ainsi, les personnes qui ont répondu au sondage ont trouvé que les deux chefs s’en sont bien tirés, mais légèrement plus (67% contre 59%) trouvaient que Jeremy Corbyn avait bien fait. Est-ce à dire qu’il aurait dépassé les attentes? Peut-être bien. Vous pouvez aussi consulter les résultats concernant les qualités démontrées par les chefs et leur maîtrise des enjeux sur le site Web de YouGov.

Question Time

Vendredi se tenait une édition spéciale de l’émission Question Time durant laquelle les chefs se présentait une à un (orthographe intentionnelle) devant l’auditoire pour répondre à ses questions. Aux messieurs ci-dessus s’ajoutaient deux femmes qui ont malencontreusement toutes deux choisi de porter une robe turquoise pastel.

La BBC a préparé une compilation de moments où chaque chef paraît mal:

Pays de Galles

Je ne sais pas pourquoi le pays de Galles a droit à un débat de plus que l’Écosse: il faudrait demander aux stations régionales de la BBC.

Date Chaîne Tories Labour LibDems Plaid Brexit
17 nov. ITV Cymru Wales Davies Thomas-Symonds Dodds Saville Roberts Gill
26 nov. BBC Wales Davies Griffith Dodds Saville Roberts Wells
3 déc. BBC Wales Fay Jones David Hanson Steffan John Rhun ap Iorwerth Nathan Gill

Le premier débat a eu lieu à la station galloise d’ITV le dimanche 17 novembre. Jane Dodds, qui a représenté les libéraux démocrates, a été élue à l’élection partielle de cet été qui a donné lieu à la première itération de la Remain Alliance.

Écosse

Je rappelle que le 10 décembre, c’est l’avant-veille du scrutin.

Date Chaîne Tories Labour SNP LibDems Verts Brexit
3 déc. STV Carlaw Leonard Sturgeon Rennie
10 déc. BBC Scotland à confirmer

Essoufflant tout ça! Il reste maintenant à voir ce qui se passera sur l’autre île britannique.

Irlande du Nord

Vous vous souvenez comme je vous ai dit que le système partisan était complètement différent en Irlande du Nord? Voici pour la première fois, donc, les concurrents du Parti unioniste démocrate (Democratic Unionist Party ou DUP) et du Sinn Féin introduits dans le dernier billet.

Date Chaîne DUP Sinn Féin SDLP UUP Alliance
8 déc. UTV présences à confirmer
10 déc. BBC Northern Ireland invitations à confirmer

La présentation de chacun des partis nord-irlandais devra une fois de plus attendre, mais j’ai bon espoir qu’on y arrive avant la fin de la campagne.

Manifestes électoraux

Les propositions électorales sont présentées d’une bien drôle de façon au Royaume-Uni. Tout d’abord, au tout début de la campagne, on a eu droit à ce qui ressemblait à des cadres financiers, et ce, avant que le détail des propositions soient annoncées.

Ensuite, les manifestos n’ont rien de la concision des plateformes électorales (ou même des programmes!) qui circulent durant les campagnes au Québec et au Canada.

Full disclosure: j’ai travaillé avec l’équipe de graphisme sur les publications de Québec solidaire durant la campagne de 2014, donc ça m’amuse particulièrement de voir comment ces documents sont conçus et mis en page.

Voici donc sept manifestes électoraux publiés cette semaine par les partis prétendant au pouvoir, par un des partis nationalistes et par les partis vraiment désavantagés par le mode de scrutin.

Partis prétendant au pouvoir

Parti: Conservatives
Titre: Get Brexit Done; Unleash Britain’s Potential
Nombre de pages: 59

Le résumé de TLDR News:

Parti: Labour
Titre: It’s Time for Real Change
Nombre de pages: 105

Le résumé de TLDR News:

Parti: Liberal Democrats
Titre: Stop Brexit: Build a Brighter Future
Nombre de pages: 96

Le résumé de TLDR News:

Partis nationalistes

Nicola Sturgeon qui brandit le manifeste électoral de son parti
Source: « Fact checking the SNP manifesto: Nicola Sturgeon’s claims examined », ITV News, 27 novembre 2019.

Parti: Scottish National Party

Titre: Stronger for Scotland

Nombre de pages: 50


Manifeste électoral de Plaid Cymru
Source: Mikey Smith, «Plaid Cymru manifesto policies 2019: Summary of Welsh party in general election», The Mirror, 22 novembre 2019.

Parti: Plaid Cymru

Titre: Wales, it’s us

Nombre de pages: 88

Partis vraiment désavantagés par le mode de scrutin

Parti: Greens
Titre: If not now, when?
Nombre de pages: 88

Le résumé de TLDR News:

Parti: Brexit Party
Titre: Contract with the People
Nombre de pages: sans pagination, pdf de 24 pages

Le résumé de TLDR News:


Parti: UK Independence Party
Titre: Policies for the People
Nombre de pages: 17


Finalement, je n’ai pas trouvé de manifestes électoraux publiés jusqu’à maintenant pour cette campagne en Irlande du Nord. J’attends également le manicfesto (sic) de mon parti préféré: le Monster Raving Loony Party, l’équivalent britannique du Parti rhinocéros, qui présente quand même 24 candidatures pour le scrutin du 12 décembre!

Dans le prochain billet: ça va mal pour Labour… à moins que la situation ait changé au moment où j’aurai le temps de l’écrire!

Nouvelles étrangères

Arithmétique parlementaire et vote stratégique avec Jon Worth

J’ai terminé le dernier billet en rappelant que, grâce au fameux mode de scrutin uninominal à un tour (first-past-the-post), ce ne sont pas seulement quatre courses différentes dans les quatre nations constitutives qui se passent dans cette élection britannique, ou même sept si on divise l’Angleterre en quatre comme je l’ai fait dans le dernier billet, mais bien 650 courses.

Tous les commentateurs et commentatrices le disent: l’enjeu de l’élection, c’est de savoir si Boris Johnson pourra diriger un gouvernement majoritaire, et ainsi faire passer l’entente qu’il a négociée pour sortir de l’Union européenne. Autrement, ça va devenir assez compliqué pour lui.

Les libéraux démocrates ont dit être prêts à travailler avec quiconque remettra la décision entre les mains de l’électorat en organisant un référendum sur son entente. C’est déjà la position que défend le Parti travailliste. Il est difficile de croire que le Parti conservateur pourrait y consentir, même si c’est la seule voie pour lui permettre de garder le pouvoir.

Brexit Diagram Series 4, Version 33.2 – 28.10.2019
Source: #BrexitDiagram Series 3 – Brexit – What Next?

Vous avez peut-être déjà vu les Brexit diagrams de Jon Worth, ces flow charts qui où une probabilité est attribuée à chaque événement ou résultat, ce qui permet de calculer une probabilité globale pour un résultat final. À l’aide de ce procédé, il avait déterminé que les résultats les plus probables étaient une élection générale avant la fin de l’année. C’est effectivement ce qu’on est en train de vivre.

Jon continue avec une quatrième série de diagrammes, cette fois pour déterminer ce qui risque de se produire après l’élection. Entrons avec lui dans l’arithmétique parlementaire.

Arithmétique parlementaire

Rappelons-nous comment se répartissent géographiquement les 650 sièges.

Pays Nb de circonscriptions
Angleterre 533
Écosse 59
Pays de Galles 40
Irlande du Nord 18
TOTAL 650

La majorité est donc théoriquement de 326.

D’autres faits à noter quand on réfléchit à l’arithmétique parlementaire britannique sont illustrés (mais invisibilisés) dans la représentation suivante de la Chambre des communes, tant celle élue en 2017 que celle à la dissolution.

Source: ElectionMapsUK, “State of Parliament: GE2017 vs Today”

Si vous vous amusez à compter tous les ti-points ou à additionner les nombres de sièges, vous constaterez qu’il n’y en a pas 650 de représenter, mais bien 642: il manque donc 8 sièges.

Ceux et celles qui ne votent pas

Tout d’abord, les Britanniques ont cette habitude particulière de ne pas compter le président de la Chambre dans les résultats, parce qu’il est considéré comme non partisan.

Ainsi, les partis de l’alternance du pouvoir, les Tories et Labour, présentent des candidatures dans toutes les circonscriptions de la Grande-Bretagne —donc Angleterre, pays de Galles et Écosse— exception faite de Chorley dans le Lancashire (nord-ouest de l’Angleterre). C’est la circonscription de Lindsay Hoyle, le nouveau président de la Chambre (oui, Lindsay est aussi un nom de gars au Royaume-Uni… posez-moi pas de questions…).

Les trois partis qui prétendent au pouvoir (j’inclus les LibDems) lui laissent la voie libre, mais un vert et un indépendant se présentent contre lui. Son affiliation est inscrite comme étant «Speaker seeking re-election» («président qui tente de se faire réélire»).

Donc ça explique un siège manquant. Et les sept autres? On les voit sur cette carte des résultats de 2017, en vert forêt en Irlande du Nord (trop de partis pour trop peu de couleurs…).

Source: ElectionMapsUK, “State of Parliament: Current Map”

Ces circonscriptions ont été remportées par le Sinn Féin, un parti républicain (qui prône donc la réunification de l’Irlande). Il opère d’ailleurs également au sud de la frontière sans douane, en République d’Irlande. Il gagne toujours des sièges aux élections britanniques, mais n’envoie pas de députation à Westminster (la métonymie qui désigne le Parlement britannique).

La visualisation de la Chambre des communes ci-dessus présente donc uniquement les député·e·s qui votent? Pas tout à fait. Parmi celles et ceux représentés, il y en a trois qui ne voteront pas non plus. En effet, le président de la Chambre est assisté de trois adjoints, qui s’abstiennent comme lui.

Majorité parlementaire

Pour opérer un gouvernement majoritaire, le nombre de courses que doivent gagner les conservateurs dépend du nombre que le Sinn Féin gagnera. À la dernière législature, sept des 18 sièges d’Irlande du Nord étaient tenus par ces abstentionnistes. Les sites de projection Electoral Calculus et Forecast UK prévoient respectivement 7 sièges et entre 3 et 6 sièges.

Au plus bas, 7 personnes élues à la Chambre des communes ne voteraient pas dans la prochaine législature. Au plus, ce serait le statu quo, avec 11 qui ne votent pas. Si on soustrait ces abstentions des 650 sièges, on obtient une majorité fonctionnelle qui se situerait entre 320 et 322. Les conservateurs doivent faire élire deux personnes de plus, qui deviendront adjoints au président (le troisième viendra du rang des travaillistes, comme le président).

Pour être sûrs et certains de pouvoir faire passer leur entente, les conservateurs devraient donc gagner dans au moins 324 circonscriptions.

Le plus récent diagramme de Jon

Voyons comment Jon envisage les choses.

Brexit Diagram Version 2.3.0 – 22.11.2019
Source: #BrexitDiagram Series 4 – Brexit and the 2019 UK General Election

Il divise les possibilités selon trois cas de figure en fonction des résultats des conservateurs.

Cas de figure Sièges conservateurs
Gouvernement conservateur majoritaire 320 ou plus
Gouvernement minoritaire compliqué entre 300 et 319
«Victoire» pour Labour 299 ou moins

Vous aurez peut-être remarqué que je suis donc en désaccord avec le chiffre précis que met Jon sur le gouvernement conservateur majoritaire. Je lui en ai parlé sur Twitter, et il m’a répondu que c’est parce que le Parti unioniste démocrate (Democratic Unionist Party ou DUP) s’abstiendrait.

Lorsque Theresa May avait perdu sa majorité en lançant l’élection anticipée de 2017, le DUP a obtenu 10 des 18 sièges nord-irlandais et lui a offert son soutien sans participation (confidence-and-supply agreement). Ils se sont pas mal fait avoir —pour rester polie— par Johnson lorsqu’il a négocié l’entente pour sortir de l’Union européenne.

Et donc au final?

Les deux cas de figure aux extrémités (320 sièges conservateurs ou plus, ou encore 299 sièges conservateurs ou moins) mènent directement à deux résultats opposés sur l’enjeu du Brexit: l’adoption avant le 31 janvier 2020 de l’entente négociée avant le déclenchement de l’élection ou un deuxième référendum qui ne pourra pas se tenir avant l’été 2020.

Entre les deux, divers jeux de coulisses pourraient augmenter les chances qu’un ou l’autre de ces résultats se produisent. Néanmoins, si les conservateurs gagnent entre 300 et 319 sièges, on risque surtout de voir perdurer l’impasse.

On parle peu de ces possibilités parce qu’à l’heure actuelle les maisons de sondage et les preneurs de paris s’entendent pour dire que les conservateurs risquent d’obtenir une confortable majorité le 12 décembre.

C’est pourquoi l’attention est si dirigée vers le vote stratégique, pour faire mentir les projections, toujours difficiles à faire dans un paysage mouvant et un mode de scrutin uninominal à un tour.

Vote stratégique

Ipsos MORI a trouvé dans son sondage mené du 15 au 19 novembre qu’il y avait plus d’appétit pour le vote stratégique à cette élection que lors des deux dernières élections générales: 14% de l’électorat a l’intention de voter pour un parti qui permettra de battre le parti honni plutôt que pour celui qui représente le mieux son point de vue, contre 11% et 10% respectivement lors des élections de 2017 et 2015.

Choix de voter stratégiquement de 2015 à 2019
Source: @PoliDigitalUK sur Twitter

Notons que c’est une question de sondage qui gagnerait à être intégrée au Québec et au Canada dans certaines élections.

On a vu dans trois sondages commandés dans des circonscriptions de Londres que le vote stratégique pourrait fonctionner. Mais il faut beaucoup de gens qui s’entendent tous sur la direction vers laquelle aller.

C’est l’autre projet de Jon, un Anglais qui vit à Berlin, un ancien travailliste qui s’implique chez les verts en Allemagne: un ardent Remainer on devinera. Il a préparé le 2019 UK General Election Tactical Voting Guide, qu’il met à jour quelques fois par semaine.

Trop de chefs, pas assez d’indiens?
(Est-ce que je peux dire ça?)

Jon part des cinq (oui, cinq!) outils de vote stratégique:

  1. Get Voting de l’organisation anti-Brexit Best for Britain (explications méthodologiques);
  2. Remain United de la femme d’affaires anti-Brexit Gina Miller, qui a poursuivi le gouvernement conservateur pour ses manquements démocratiques (explications méthodologiques);
  3. Tactical Vote (anti-conservateur) par Becky Snowden, entre autres (FAQ);
  4. tactical.vote (anti-conservateur) par le Vote Tools Collective (justesse des consignes en 2017);
  5. People’s Vote Tactical Vote Tool par le groupe de pression People’s Vote, qui prône un deuxième référendum.

Un site, Compare the Tacticals, permet de les comparer de même que les deux du côté Brexit (un de plus que la dernière fois que j’avais vérifié!). On y voit aussi les résultats aux élections précédentes et les changements de consigne.

Les différences dans leur posture (anti-Brexit, anti-conservateur ou pour un deuxième référendum) influencent leurs consignes dans les circonscriptions où avaient été élus des personnes qui ne se représentent pas cette fois sous la bannière conservatrice. Si ce sont d’ardents Remainers, les sites anti-Brexit et pour un deuxième référendum peuvent les appuyer. Les deux autres ne voudront pas.

Par exemple, Anna Soubry se représente dans Broxtowe, dans le Nottinghamshire dans les Midlands. Elle a été élue comme conservatrice avec une majorité de moins de 900 voix, 2,6 fois moins que ce qu’ont obtenu les libéraux démocrates.

Recommandations pour Broxtowe agrégées dans Compare the Tacticals
Source: Compare the Tacticals

Get Voting (anti-Brexit) et People’s Vote n’hésitent pas à donner la consigne de voter pour elle comme elle a beaucoup mobilisé pour un deuxième référendum. Toutefois, tactical.vote (anti-Tory) suggère plutôt de voter pour Labour.

Le guide de vote stratégique de Jon

Heureusement, les cinq sites s’entendent dans la vaste majorité des circonscriptions. Dans celles où ce n’est pas le cas, Jon a passé en vue les données disponibles. Un de ses objectifs est clairement de contrer l’argument que le vote stratégique est inefficace parce que les consignes sont divergentes.

Dans sa mise à jour du 21 novembre, il a trouvé dans les 573 sièges en Angleterre et au pays de Galles que 76% des consignes concordaient entre les cinq sites.

Consignes concordantes Consignes discordantes
Châteaux-forts conservateurs Cas complexes
Consigne proposée Encore trop tôt
436 75 52 10

Jon a passé au peigne fin chacun des 62 cas complexes et détaille son analyse avant de donner sa recommandation. Broxtowe est un des dix cas encore trop complexes pour lequel il n’est pas encore prêt à donner une recommandation.

Pour l’Écosse et l’Irlande du Nord, il refait l’analyse. Ce sera une bonne occasion de couvrir le système dans chacune de ces nations.

Et, comme on l’a suggéré sur Twitter, pourquoi pas en faire un diagramme? C’est un bel exemple d’une initiative qui s’insère dans ce qui se fait d’autre plutôt que de tenter de recommencer à zéro.

Diagramme de vote stratégique de Jon Worth, version 1.0.3
Source: 2019 UK General Election Tactical Voting Guide

 

 

 

Nouvelles étrangères

La carte électorale de l’Angleterre

Drapeau de l'Angleterre (croix de saint Georges)Ça fait longtemps que je cherche comment présenter les enjeux partisans de l’Angleterre, cette nation constitutive qui domine le Royaume-Uni. Les cartes et les cartogrammes offrent des portraits tout en nuance dans lesquels j’ai tendance à me perdre. Finalement, j’ai trouvé qu’on pouvait très bien expliquer la carte électorale de l’Angleterre en regardant des tableaux découpés en quatre.

C’est moins joli, mais c’est plus simple, vous allez voir.

Les trois gros morceaux

Subdivisions de l'Angleterre: Nord, Midlands et Sud
Source: Wikimedia Commons

Informellement, on peut diviser l’Angleterre entre le Nord, les Midlands et le Sud, où on trouve la capitale, Londres. Sur la carte de l’Angleterre ci-contre, le nord est en bleu, les Midlands en vert et le Sud en jaune. Comme il s’agit d’une carte de l’Angleterre et non de la Grande-Bretagne, il manque l’Écosse en haut de la section bleue et le pays de Galles à gauche de la section verte (il toucherait aussi au bas de la section bleue).

Pour y aller grossièrement, le Nord vote Labour depuis toujours (c’est-à-dire depuis Margaret Thatcher) et a voté Leave au référendum de 2016. Ce sont dans les Midlands conservateurs que les Anglais (et les Britanniques) ont voté avec le plus de conviction pour sortir de l’Union européenne, et ce, à 59%. Le Sud, plus conservateur, était aussi plus partagé lors du référendum.

L’autre distinction entre le Sud et les Midlands, c’est que, tout en étant bons troisièmes, les libéraux démocrates y sont plus forts qu’ailleurs en Angleterre. Le Sud est également plus favorable aux verts que le reste de l’Angleterre: c’est d’ailleurs là qu’on trouve leur seul siège, à Brighton Pavilion.

Londres et les autres régions

Seule Londres (et l’Écosse et l’Irlande du Nord) a voté majoritairement pour Remain, et ce, à 60%. À la fois métropole et capitale qui regroupe un sixième de la population anglaise, Londres est vraiment une île métaphorique au sein du pays, une île qui devient de plus en plus rouge dans la marée bleue que sont les Midlands et le Sud de l’Angleterre.

Pour des fins statistiques, l’Office for National Statistics, l’équivalent britannique de Statistique Canada ou de l’Institut de la statistique du Québec (dont le site Web est bilingue anglais et gallois), divise l’Angleterre en 9 régions: trois dans le nord, deux dans les Midlands (est et ouest, tout simplement) et quatre dans le Sud, dont une pour Londres.

about this map
East of
England
London
South East
South West
East
Midlands
West
Midlands
Yorkshire and
the Humber
North
East
North West

Comme nous le verrons, les divisions régionales, utilisées par les sondeurs, servent aussi d’aires de vote aux élections européennes. Plutôt que de recalculer les résultats en fonction la pondération de chaque région dans sa plus grande division, j’ai regroupé visuellement les régions dans les tableaux qui suivent en fonction de la subdivision (Nord, Midlands, Sud et Londres).

Le système partisan en Angleterre

Voyez comme les mêmes tendances persistent de l’élection de 2015 à celle de 2017, bien que les niveaux de soutien soient différents pour les partis à l’échelle nationale:

  • le Nord et Londres, tout deux Labour, contre les Midlands et le Sud pour les Tories;
  • les appuis pour Labour sont au plus bas dans le Sud, puis dans les Midlands;
  • les plus grands appuis pour tant pour les libéraux démocrates que pour les verts sont dans le Sud et à Londres;
  • les Midlands sont les moins accueillants envers les LibDems.

Résultats régionaux à l’élection générale de 2015

Région Tories Labour LibDems UKIP Verts
Nord North East 25,3 46,9 6,5 16,7 3,6
North West 31,2 44,6 6,5 13,6 3,2
Yorkshire and The Humber 32,6 39,1 7,1 16,0 3,5
Midlands East Midlands 43,5 31,6 5,6 15,8 3,0
West Midlands 41,8 32,9 5,5 15,7 3,3
Sud East 49,0 22,0 8,2 16,2 3,9
South East 51,6 18,3 9,4 14,7 5,2
South West 46,5 17,7 15,1 13,6 5,9
Londres London 34,9 43,7 7,7 8,1 4,9

Source: Britain Elects

Résultats régionaux à l’élection générale de 2017

Région Tories Labour LibDems UKIP Verts
Nord North East 34,5 55,6 4,6 3,9 1,3
North West 36,3 55,0 5,4 1,9 1,1
Yorkshire and The Humber 40,6 49,2 5,0 2,6 1,3
Midlands East Midlands 50,8 40,5 4,3 2,4 1,5
West Midlands 49,1 42,5 4,4 1,8 1,7
Sud East 54,7 32,8 7,9 2,5 1,9
South East 54,8 28,7 10,6 2,3 3,1
South West 51,4 29,2 15,0 1,1 2,3
Londres London 33,2 54,6 8,8 1,3 1,8

Source: Britain Elects

J’ignore le United Kingdom Independence Party (UKIP) parce que ses appuis se sont effondrés en 2017 comme le référendum sur l’adhésion à l’Union européenne a été tenu, et même gagné l’année, précédente.

Pour récapituler, donc, deux subdivisions de l’Angleterre sont conservatrices et deux sont travaillistes. On peut les distinguer entre elles par l’appui relatif aux libéraux démocrates.

Tories Labour LibDems Verts
Nord + +
Midlands + – –
Sud + + – – + +
Londres + + + +

C’est la fameuse spécialisation géographique du vote au sein du bloc des couleurs chaudes dont parlait le billet précédent. Si Londres est un endroit où à la fois Labour et les LibDems réussissent bien, chacun à leur échelle, le Sud allergique aux travaillistes est une terre d’accueil pour les LibDems. Labour règne aussi en roi dans le Nord, où les libéraux démocrates n’obtiennent pas de très bons résultats.

L’axe Remain/Leave en Angleterre

Le sentiment à l’égard de l’Union européenne menace de brouiller les cartes du système partisan depuis le référendum. On l’a déjà dit mais, en Angleterre, seule Londres a voté Remain, et ce, légèrement plus fortement que le vote Leave dans toutes les autres régions.

Résultats régionaux au référendum de 2016

Région Remain Leave
Nord North East 42% 58%
North West 46% 54%
Yorkshire and The Humber 42% 58%
Midlands East Midlands 41% 59%
West Midlands 41% 59%
Sud East 44% 56%
South East 48% 52%
South West 47% 53%
Londres London 60% 40%

Source: Wikipedia

Ajoutons donc une colonne Brexit à notre tableau synthèse.

Brexit Tories Labour LibDems Verts
Nord + Leave + +
Midlands + + Leave + – –
Sud Leave + + – – + +
Londres + + Remain + + + +

Les deux subdivisions conservatrices et les deux travaillistes qu’on pouvait avant départager par leur appui relatif aux libéraux démocrates peuvent maintenant être distinguées aussi par leur position envers l’Union européenne.

Des partis divisés

Je vais simplifier à outrance pour illustrer le grand écart qu’ont dû faire les partis de l’alternance du pouvoir. En gras sont les subdivisions qui posent problème.

54%-59% Leave 44%-60% Remain
Tories Midlands Sud
Labour Nord Londres

Si on place Labour dans la colonne Remain pour un instant, les positions des partis de l’alternance du pouvoir s’alignent à Londres (Labour et Remain) et dans les Midlands (conservateurs et Leave). Les Tories se sont toutefois retrouvé avec un potentiel problème dans le Sud, où l’appui modéré à la sortie de l’Union européenne signifie qu’il y a un électorat Remain non négligeable. Une partie de cet électorat votait Tory.

Boris Johnson prononce un discours électoral à Warwickshire devant un lutrin «Get Brexit Done: Unleash Britain's Potential»
Source: Eleni Courea, «Boris Johnson: Only Tories can ‘get Brexit done’», Politico, 13 novembre 2019.

Depuis, un des grands Brexiters en chef, Boris Johnson, est devenu chef du Parti conservateur et a effectué une purge après qu’une portion de sa députation se soit rebellée sur un vote au tout début de son mandat. Avec un slogan comme «Get Brexit Done!», le Parti conservateur n’essaie plus de conserver ses sièges où on a voté Remain en 2016: c’est pourquoi les commentateurs et commentatrices prévoient des pertes conservatrices dans le Sud et en Écosse.

Comme on a vu dans le billet précédent sur les deux blocs que je refuse d’appeler Leave et Remain, Labour s’est sorti de son grand écart entre le Nord Leave et Londres Remain en promettant un deuxième référendum pour donner au peuple l’occasion de clôre le débat.

Une des questions de cette élection, c’est de savoir s’il remportera son pari en étant en mesure de conserver ses sièges qu’on appelle Lab-Leave dans le Nord (et au pays de Galles). Il y est parvenu en 2017 contre Theresa May. Johnson revient à la charge avec la même stratégie: les châteaux-forts rouges tiendront-ils encore le coup?

La toute dernière élection

Comme on a vu avec le pays de Galles, les positions europhiles et eurosceptiques se sont superposées au système partisan aux élections européennes du printemps dernier. La grande surprise avait été de voir les partenaires junior des blocs qu’on a vus dans le dernier billet sortir en tête: le Brexit Party pour les couleurs froides et les libéraux démocrates pour les couleurs chaudes.

Résultats régionaux aux élections européennes de 2019

Région Brexit Party LibDems Labour Verts Tories
Nord North East 38,7 16,8 19,4 8,1 6,8
North West 31,2 17,2 21,9 12,5 7,6
Yorkshire and The Humber 36,5 15,5 16,3 13,0 7,2
Midlands East Midlands 38,2 17,2 13,9 10,5 10,7
West Midlands 37,7 16,3 17,0 10,7 10,0
Sud East 37,8 22,6 8,7 12,7 10,3
South East 36,1 25,8 7,3 13,5 10,3
South West 36,7 23,1 6,5 18,1 8,7
Londres London 17,9 27,2 23,9 12,5 7,8

Source: Wikipedia

Si on compare au tableau synthèse, on remarque que:

  • les Midlands et le Sud demeurent les endroits les plus forts pour le Parti conservateur, même lorsqu’il se retrouve reléguer en cinquième place à l’échelle de l’Angleterre;
  • le Sud est encore plus spectaculairement allergique au Parti travailliste que dans les élections générales de 2015 et de 2017;
  • le Sud et Londres plus particulièrement sont encore plus clairement favorables aux libéraux démocrates que le Nord et les Midlands.

Finalement, beaucoup plus de gens se sont permis de voter vert comme le mode de scrutin proportionnel à l’échelle régionale donnait espoir de finalement élire des verts britanniques au Parlement européen. Notons que la population de chaque région détermine la taille de son eurodéputation.

Eurodéputation anglaise depuis le printemps 2019

Brexit Party LibDems Labour Verts Tories Total
Nord 8 3 4 2 17
Midlands 6 2 2 1 1 12
Sud 10 7 1 3 2 23
Londres 2 3 2 1 8

Source: Wikipedia

On constate que, malgré le fait que les partenaires junior de chaque bloc ont mieux réussi à l’élection du printemps, Labour a conservé son avantage sur son partenaire dans le Nord. Les libéraux démocrates ont toutefois devancé Labour à Londres.

Quels résultats seront garants du futur?

Le grand enjeu pour ceux et celles qui tentent de coordonner le vote stratégique est de déterminer quel scénario de base employer pour calculer vers le parti vers lequel l’électorat anti-Brexit ou anti-Tory devrait se tourner.

Plusieurs commentateurs suggèrent que l’élection de 2017 était peut-être une anomalie, que les appuis pour Labour étaient anormalement élevés (plutôt que d’indiquer un nouvel état de fait). D’autres soutiennent que ce serait une erreur de se fier à la toute dernière élection, celle du printemps dernier, parce que le mode de scrutin et les enjeux ne sont vraiment pas les mêmes aux élections européennes.

Que disent les sondages?

YouGov a mené du 17 au 28 octobre un sondage en Angleterre avec un échantillonnage assez grand pour pouvoir présenter des résultats par région. Un deuxième sondage a été mené du 30 octobre au 4 novembre pour Londres seulement.

Les appuis au Brexit Party, jamais très grands à Londres, sont probablement à prendre avec des pincettes ailleurs comme c’était avant l’annonce qu’il abandonnait son statut de parti national à la faveur d’une Leave Alliance unilatérale.

Sondages YouGov de la mi-octobre au début novembre 2019

Région Tories Labour LibDems Brexit Party Verts
Nord North East 26 32 15 19 7
North West 33 30 17 14 5
Yorkshire and The Humber 34 29 16 14 7
Midlands East Midlands 45 22 15 12 6
West Midlands 43 23 14 12 7
Sud East 45 17 18 14 5
South East 41 16 23 12 6
South West 41 17 21 13 7
Londres London 29 39 19 6 5

Source: YouGov

Le changement le plus important se retrouve dans le Nord où, d’après ce sondage, le Parti travailliste serait en train de perdre son pari de maintenir une coalition Leave dans le Nord et Remain à Londres en promettant un deuxième référendum.

En effet, en cette terre censée être rouge foncé, dans deux des trois régions, les conservateurs seraient en avance. Celle où Labour tient encore bon, North East, est la plus petite (son plus grand centre urbain est Newcastle upon Tyne). C’est aussi celle où le Brexit Party réussirait le mieux: on peut supposer que si ses appuis diminuent, North East basculerait dans la colonne des conservateurs comme les deux autres régions du Nord.

L’autre partie de l’Angleterre où on voit du changement est celle où c’était le Parti conservateur qui devait faire le grand écart: le Sud plus partagé sur l’enjeu du Brexit. En 2015 et en 2017, le Sud de l’Angleterre était plus conservateur que les Midlands: ce ne serait plus le cas d’après ce sondage. De plus, les LibDems devanceraient maintenant Labour dans le Sud.

 

Nous avons examiné l’Angleterre découpée en quatre, mais aux fins de l’élection du 12 décembre, elle se divise en 533 circonscriptions où se déroulent 533 courses distinctes. C’est à celles-ci, auxquelles s’ajoutent les 40 du pays de Galles, les 59 de l’Écosse et les 18 de l’Irlande du Nord, que s’attardent les sites de projection, mais surtout les sites de vote stratégique.

On regarde ça dans un prochain billet?

Nouvelles étrangères

Quatre partis, deux blocs

À un mois du scrutin, de quoi ont l’air les sondages à l’échelle du Royaume-Uni?

Comme on peut le constater, l’année 2019 a amené beaucoup de chambardements dans l’opinion publique. Au début du graphique, soit les dernières élections générales, les deux partis de l’alternance du pouvoir (conservateurs bleus et travaillistes rouges) trônent presque sans partage, avec aucun autre parti dépassant la barre des 10%. Les libéraux démocrates (orange) se démarquent tout de même en étant les seuls au-dessus de 5%.

Sondages électoraux britanniques complétés jusqu'au 9 novembre 2019

Tories · Labour · LibDems · Brexit Party · SNP & Plaid Cymru · Verts · Independent Group for Change · UKIP

Source: Wikipedia

Nous passerons à travers les événements qui ont suscité ces changements une autre fois, mais on remarque à l’autre bout une nouvelle couleur qui se démarque: le turquoise du Brexit Party. C’est de lui dont il faut commencer à parler aujourd’hui si on veut parler du système partisan en Angleterre.

Deux blocs?

Comme on l’a vu hier, le Brexit Party se considère dans une Leave Alliance avec les conservateurs. C’est l’équipe des couleurs froides, où le plus gros parti est beaucoup plus gros que l’autre. On a aussi vu qu’énormément d’efforts sont mis en place pour empêcher la division du vote au sein de l’équipe des couleurs chaudes, où la différence entre les deux partis est moins grande.

Pourquoi je parle de couleurs chaudes et froides? Tout d’abord, la Remain Alliance exclut (ou plutôt n’inclut pas) Labour. Je ne connais pas les détails des négociations, alors je ne sais pas si le parti de Jeremy Corbyn a été exclu ou s’il s’est autoexclu.

Deux choses sont évidentes: Corbyn continue d’être loin de faire l’unanimité. Il est aussi certain que les états-majors du Labour et des LibDems ne s’entendent pas du tout. Est-ce que l’un explique l’autre? Aucune idée.

Pour illustrer à quel point les partis, dans hautes instances, s’haïssent la face, le candidat des libéraux démocrates dans Canterbury s’est retiré de peur d’empêcher la députée travailliste d’être réélue et de laisser passer la conservatrice au milieu. La marge de la victoire travailliste en 2017 était de moins de 200 voix, et les LibDems étaient allés en chercher plus de 4500 voix. Un bel exemple de «marginal» (c’est comme ça qu’on appelle les chaudes luttes électorales au UK) Lab-Con.

La décision du candidat a été applaudie par ceux et celles qui veulent promouvoir le vote stratégique. L’état-major des LibDems n’était pas du tout content, par contre. Plutôt que de demander à Labour d’en faire autant dans une des circonscriptions «marginales» Lib-Con, une porte-parole des LibDems a dit que le candidat serait remplacé pour permettre aux gens de Canterbury de «have a chance to vote for a Remain candidate». C’est déjà fait sur la page Wikipédia, d’ailleurs.

Labour, un parti Remain ou pas?

C’est l’autre raison pour laquelle je réfère aux équipes en fonction de la couleur des partis: on ne s’entend pas à savoir si Labour est un parti Remain ou pas.

Après des mois, des années de tergiversations, le Parti travailliste est aussi parvenu à un message clair sur Brexit. Par contre, il ne permet pas de le situer clairement dans la nouvelle division Leave/Remain de la politique britannique. Labour promet un second référendum après avoir négocié un nouvel accord qui donne une relation plus proche avec l’Union européenne.

L’ambiguïté demeure sur la position que prendrait le parti dans ce nouveau référendum. C’est pourquoi on se permet de ne pas les placer clairement dans le camp Remain. La faction Remain au sein du parti, toutefois, essayer de clarifier les choses en demandant aux personnes candidates de s’engager à appuyer Remain lors d’un second référendum. Au moment de mettre sous presse, 125 (sur 650 – 18 circonscriptions en Irlande du Nord) avaient signé.

Politique des blocs et scrutin uninominal à un tour

La politique des blocs (bloc politics) est une théorie d’analyse du comportement de l’électorat en science politique qui suppose que les mouvements entre les partis se font à l’intérieur d’un même bloc.

Même si l’étiquette Remain ne s’applique pas complètement à Labour, on remarque néanmoins un effet miroir entre la position des rouges et des oranges dans les sondages. On se sent donc justifier de dire que l’équipe des couleurs chaudes constitue un bloc. On voit d’ailleurs la même chose du côté des couleurs froides.

Sondages électoraux britanniques complétés jusqu'au 9 novembre 2019

Tories · Labour · LibDems · Brexit Party · SNP & Plaid Cymru · Verts · Independent Group for Change · UKIP

Source: Wikipedia

Le reste de ce billet résume l’argumentation de Leonardo Carella, candidat au doctorat en science po à l’université Oxford, publiée en anglais et en français avant l’annonce de la Leave Alliance unilatérale.

En gros, il examine deux règles d’application de la politique des blocs dans un mode de scrutin uninominal à un tour:

  • un bloc dont le vote est davantage concentré entre les mains d’un parti est avantagé;
  • un bloc dont le vote est spécialisé sur le plan géographique (les partis du bloc sont forts à différents endroits) est avantagé.

Le vote est divisé dans les deux équipes. Le bloc des couleurs froides est avantagé par la première règle, mais le bloc des couleurs chaud est avantagé par la deuxième.

Division du vote traditionnelle

On l’a dit: la différence dans les intensions de vote entre Labour et LibDems (bloc des couleurs chaudes) est plus petite que celle entre Tories et Brexit Party. Si le vote était distribué également entre les partis d’un même bloc dans chaque circonscription, que seule la taille de l’électorat total de chaque bloc changeait, les Tories gagneraient même dans des circonscriptions où le bloc des couleurs chaudes était plus fort en récupérant une proportion plus grande du vote pour les couleurs froides.

C’est la traditionnelle crainte envers la division du vote. Leonardo Carella l’illustre avec une simulation de 100 circonscriptions parfaitement réparties entre 25% Remain-75% Leave et l’inverse. Dans la simulation, les conservateurs récupèrent les deux tiers des voix Leave et que le vote Remain est divisé 52% à Labour et 48% aux LibDems (pour éviter les égalités).

Dans la simulation, même si dans 50 circonscriptions il y a plus de personnes qui ont voté Remain, les conservateurs gagnent dans un total de 63 circonscriptions: les 50 circonscriptions où le vote Leave est gagnant plus 13 circonscriptions Remain où la division du vote entre Labour et LibDems fait en sorte que les conservateurs terminent avec plus de voix en concentrant davantage des votes Leave.

Spécialisation géographique du vote

On pense moins souvent à la deuxième règle. La division du vote est problématique lorsque les partis d’un même bloc sont forts aux mêmes endroits, lorsque le vote de l’un est corrélé positivement avec l’autre. C’est le cas du Brexit Party et des conservateurs.

Résultats des conservateurs en fonction de ceux du Brexit Party aux élections européennes de 2019
Source: Leonardo Carella, «Bloc politics: a split Remain vote may not equal a large Conservative majority», The UK in a Changing Europe, 7 October 2019.

Dans le graphique ci-contre, chaque point représente une des 373 entités locales du Royaume-Uni utilisées comme aires de vote lors des élections européennes. Il est placé sur l’axe vertical en fonction du résultat des conservateurs lors des élections de ce printemps, qui variait 2% et 18%. Sur l’axe horizontal, il est placé en fonction du résultat du Brexit Party à la même élection, qui oscillait entre 5% et 60%.

La couleur de chaque point est déterminé par le pourcentage des voix obtenus par l’option Leave au référendum de 2016. Comme on le voit sur l’échelle à droite, on passe du jaune Remain au mauve Leave.

La droite de régression nous permet de constater que les entités locales où le Brexit Party avait les meilleurs résultats ont aussi tendance à être celles où les conservateurs ont les leurs.

Dans le bloc des couleurs chaudes, toutefois, il y a une plus grande spécialisation du vote: là où il y a plus de votes pour Labour, il y en a moins pour les LibDems alors qu’à d’autres endroits c’est l’inverse.

Résultats des travaillistes en fonction de ceux des libéraux démocrates aux élections européennes de 2019
Source: Leonardo Carella, «Bloc politics: a split Remain vote may not equal a large Conservative majority», The UK in a Changing Europe, 7 October 2019.

Encore une fois, chaque point représente une des mêmes 317 entités locales, mais cette fois en fonction des résultats des travaillistes sur l’axe vertical (entre 2% et 48%) et les libéraux démocrates sur l’axe horizontal (entre 5% et 53%).

Dans ce graphique, toutefois, là où Labour est fort (haut du graphique), les LibDems sont plutôt faibles (gauche du graphique). À l’inverse, là où les LibDems sont forts (droite du graphique), Labour est beaucoup plus faible (bas du graphique).

Cette spécialisation géographique du vote présente dans le bloc des couleurs chaudes se vérifie aussi dans les deux dernières élections générales, celles de 2015 et de 2017.

Résultats des travaillistes en fonction de ceux des libéraux démocrates aux élections générales de 2015
Source: Leonardo Carella, «Bloc politics: a split Remain vote may not equal a large Conservative majority», The UK in a Changing Europe, 7 October 2019.
Résultats des travaillistes en fonction de ceux des libéraux démocrates aux élections générales de 2017
Source: Leonardo Carella, «Bloc politics: a split Remain vote may not equal a large Conservative majority», The UK in a Changing Europe, 7 October 2019.

La pente de la droite de régression est encore une fois négative (descendante).

Quelles sont ces différences régionales qui déterminent si ce sont les travaillistes ou les libéraux démocrates qui dominent dans le bloc des couleurs chaudes?

Ça, ça devra attendre à un prochain billet.

Nouvelles étrangères

Les trois fronts du vote stratégique

Un billet rapide ce soir afin de mettre la table pour ceux à venir. On a déjà abordé un premier front du vote stratégique: le pacte électoral de la Remain Alliance. Grosse nouvelle hier, toutefois, du côté de leurs adversaires: une Leave Alliance unilatérale (oui oui, c’est pas moi qui le dit, c’est Nigel!). Et finalement, j’introduis le vrai de vrai vote stratégique, celui qu’on fait en l’absence d’entente électorale.

Remain Alliance

Nous avons déjà abordé la Remain Alliance, un pacte électoral qui réunit les LibDems, Plaid Cymru et les verts et ne couvre que 60 circonscriptions.

Une analyse du Financial Times suggère qu’à la lumière des sondages il aura peu d’effet, que les circonscriptions que les partis conserveront ou gagneront à l’intérieur du pacte, ils les auraient conservé ou gagné de toute façon (toutes sauf deux, en fait). Plusieurs commentateurs et commentatrices par contre suggérent que ça permet aux LibDems de démontrer qu’ils savent travailler de manière transpartisane, ce qui pourrait les aider au-delà des circonscriptions concernées par le pacte.

Leave Alliance

Ensuite, grande nouvelle d’hier qui s’est rendue jusqu’à Radio-Canada (via l’Agence France-Presse): le Brexit Party a unilatéralement formé sa propre Leave Alliance avec les conservateurs en renonçant à présenter des candidatures dans les 317 circonscriptions qui avaient voté Tory en 2017.

Le vendredi 1er novembre, le chef du Brexit Party, Nigel Farage, appuyé par le président des États-Unis, Donald Trump, avait enjoint le premier ministre conservateur Boris Johnson de s’asseoir avec lui pour faire un pacte de non-agression, sans quoi il présenterait des candidatures presque partout à travers le pays. Comme il a reçu une fin de non-recevoir, il a annoncé dès le lundi qu’il présenterait plus de 600 candidatures (sur 650 circonscriptions).

La stratégie ne faisait pas l’unanimité au parti, comme on craignait les effets de la division du vote Leave. Une vingtaine de personnes pressenties pour être candidates se seraient retirées pour cette raison. C’est donc dans ce contexte de grogne au sein du parti que Farage a lancé ce pacte unilatéral et retiré plus de la moitié de ses candidatures.

Résultats au Royaume-Uni des élections européennes de 2019
Résultats des élections européennes de 2019, Brexit Party en turquoise
Source: Wikimedia Commons

Ça lui permet aussi d’éviter de perdre la face. À ses premières élections, les européennes du printemps, le Brexit Party a quand même remporté 30%, terminant premier par près de 2 millions de voix. Difficile d’en faire autant au scrutin du 12 décembre comme les enjeux, l’électorat et surtout le mode de scrutin sont complètement différents. Le Brexit Party est crédité d’entre seulement 4% et 11% des voix dans les sondages depuis la dissolution du Parlement.

Si certaines personnes candidates chez les conservateurs peuvent pousser un soupir de soulagement, toutes celles qui se présentent dans les importantes circonscriptions du nord qui ont Labour tatoué sur le cœur mais ont voté Leave. Les conservateurs doivent absolument les gagner s’ils veulent espérer gagner une majorité, surtout qu’ils risquent de perdre des sièges aux mains des LibDems dans les banlieues aisées de Londres.

Ce qui nous amène au troisième front du vote stratégique.

L’autre division du vote

Si l’unilatérale Leave Alliance a été nommée à l’opposé de la Remain Alliance, elle s’oppose en vérité à une division du vote qui n’est pas couverte par l’entente négociée: celle entre les LibDems et Labour.

Pour pallier le manque d’amour entre les deux partis, surtout au niveau des états-majors, pas moins de quatre, oui QUATRE (!) sites Web existent présentement pour organiser le vote stratégique. On peut penser ce qu’on veut du vote stratégique, mais on peut s’entendre sur le fait que c’est complètement inutile si on ne s’entend pas sur les consignes de vote!

Heureusement, pour permettre un regard éclairé sur ce chaos, un méta-site, Don’t Split The Remain Vote, est apparu pour indiquer dans chaque circonscription ce que chacun des quatre sites proposait comme vote stratégique. La mise en page minimaliste (pour ne pas dire un peu laide) suggère l’urgence d’agir.

 

Je sais, je vous ai lancé les deux dernières sections sans grand contexte. Je devrais toutefois avoir enfin du temps dans les prochains jours pour introduire convenablement le Brexit Party, bien mettre en contexte les luttes en Angleterre et vous présenter les analyses que j’ai lues sur la division du vote.

Keep calm and blog on