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L’Écosse, de travailliste à nationaliste

Drapeau de l'ÉcosseÀ l’élection générale de 2015, le Parti nationaliste écossais (Scottish National Party ou SNP) balayait de jaune presque toute la carte de l’Écosse, ne laissant qu’une circonscription à chacun des trois vieux partis qui aspirent au pouvoir à Westminster. La domination du SNP est néanmoins toute récente.

En 2015, une année après le premier référendum d’indépendance, le SNP privait Labour de 40 sièges, et de tout espoir de former une majorité au parlement britannique. L’Écosse avait auparavant été un fiable bassin de voix pour les travaillistes.

L’emprise du SNP au nord de la frontière s’est relâchée un peu en 2017 avec la perte de 21 sièges, principalement aux mains des conservateurs (12). Le parti indépendantiste, qui gouverne Holyrood (le Parlement écossais), détient encore plus de la moitié des sièges écossais à Westminster, ce qui en fait la Deuxième Opposition officielle, devant les libéraux démocrates.

Les plus récentes cartes électorales donnent donc l’impression d’une nation constitutive plutôt homogène, d’autant plus que toute la carte du référendum de 2016 est jaune-orange Remain et que presque toute la carte du référendum de 2014 sur l’indépendance écossaise est rouge No. (En effet, seuls quatre secteurs sur 32 ont voté pour l’indépendance, mais ils regroupent tout de même 20% de la population.)

Cette apparente homogénéité masque beaucoup de volatilité. Si on définit une victoire serrée comme une majorité de moins de 10% des voix exprimées, 46 des 59 circonscriptions écossaises pourraient basculer et sont considérées «marginal». On y trouve des majorités d’aussi peu que 2 voix!

Pour comprendre le portrait électoral de l’Écosse, commençons par sa géographie. Nous pourrons ensuite situer dans l’espace les sentiments concernant l’identité nationale et les changements dans la force relative des partis.

Highlanders et autres Écossais·e·s

Démarcation entre Highlands et Lowlands en Écosse
Source: Wikipedia

La principale région écossaise qu’on connaît, à cause des nombreuses références culturelles à son endroit, c’est les Highlands. Que ce soit par le biais des franchises Highlander ou Outlander (Le Chardon et le Tartan en français), on imagine cet espace montagneux peuplé de braves guerriers en kilt (ou alors, dans le cas des fans de la deuxième franchise, on s’imagine ce qui se cache en-dessous de ce kilt).

Bien évidemment, qui dit Highlands dit aussi Lowlands. On est habitué à cette réalité au Québec et au Canada: les vastes étendues au Nord ne sont pas très densément peuplées. Même si les Highlands couvrent donc une plus grande superficie, surtout quand on tient compte des îles, la majorité de la population habite dans les Lowlands.

La vaste majorité (70%) habite en fait ce qu’on appelle communément la Central Belt ou «ceinture centrale». On dit que c’est une ceinture comme c’est là que l’Écosse est la plus étroite. On y trouve à l’est la capitale, Édimbourg, qui donne sur le Firth of Forth, estuaire qui débouche sur la mer du Nord. À l’ouest, c’est la plus grande ville, Glasgow. Le trajet en train entre ces deux villes ne prend qu’une heure.

Carte de la Central Belt en Écosse
Clydeside: la région autour de la plus grosse ville, Glasgow
Lothian: la région autour de la capitale, Édimbourg
Stirlingshire et Clackmannanshire: la région montagneuse et plus rurale au nord

Source: WikiVoyage

Carte topographique de l'Écosse
Source: Wikimedia

Au sud de cette Central Belt, on trouve les Southern Uplands, un massif de collines métallifères. C’est là qu’on trouve à l’est la région des Scottish Borders qui, on devinera, borde la frontière avec l’Angleterre.

Il reste toutefois une région qui ne porte pas de nom sur cette carte: les terres basses au nord-est de la Central Belt, dans lesquelles se trouvent les villes d’Aberdeen et de Dundee, respectivement 3e et 4e plus grosses de l’Écosse.

Découpages administratifs et électoraux de l’Écosse

Carte des subdivisions administratives (council areas) de l'Écosse
Source: Wikipedia

Comme on a déjà dit, l’Écosse possède 59 sièges au Parlement britannique de Westminster. Le Parlement écossais, lui, utilise un mode de scrutin proportionnel avec listes régionales. Dans ce contexte, donc, l’Écosse est divisée en huit régions regroupant 71 circonscriptions. Finalement, l’administration locale se fait à travers 32 conseils (council areas).

Certains sondages régionaux, comme celui de YouGov, publient les résultats en fonction des huit régions utilisées pour les élections écossaises. Par contre, les résultats des référendums de 2014 et de 2016 sont disponibles par council area, comme ce sont les conseils qui ont organisé ces scrutins.

Pour compliquer l’analyse encore plus, les frontières à chaque palier gouvernemental sont différentes, donc les différentes subdivisions ne s’emboîtent pas simplement les unes dans les autres (à l’exception des 71 circonscriptions conçues pour subdiviser les huit régions au Parlement écossais).

J’ai trouvé qu’on peut utiliser les régions géographiques décrites ci-dessus pour comprendre la carte électorale de l’Écosse: les Highlands (incluant les îles), la Central Belt, les Southern Uplands et, finalement, ce que j’appelerai le nord-est des Lowlands.

Subdivisions de l’Écosse Nb de council areas Nb de sièges à Westminster
Highlands et les îles 5 6
Nord-est des Lowlands 9 16
Central Belt 12 28
Southern Uplands 6 9

Les Highlands et les îles de même que les Southern Uplands ci-dessus correspondent de part et d’autre à une seule région pour les fins des élections pour Holyrood, les deux illustrées ci-dessous.

Carte de la région électorale Highlands and Islands pour le Parlement écossais Carte de la région électorale South Scotland pour le Parlement écossais
À gauche, la région électorale de Highlands and Islands pour les élections au Parlement écossais; à droite, South Scotland (Wikipedia).

Le nord-est des Lowlands comprend les deux grandes régions électorales restantes; les quatre petites forment la Central Belt.

Identité nationale et indépendantisme

Grande découverte d’intérêt pour la fille de statisticien (et la chercheuse généalogique) que je suis: l’Écosse est en charge de son recensement depuis 1991! Au dernier, celui de 2011, elle a ajouté une question fort intéressante que Statistique Canada devrait contempler à l’avenir (comme il est trop tard pour 2021) avec la montée des volontés de «Wexit» (qui devrait vraiment trouver un meilleur nom):

What do you feel is your national identity?

On pourrait traduire la question par: «À quelle identité nationale sentez-vous appartenir?». Les trois choix de réponse étaient «écossaise», «britannique» et «autre», mais on pouvait en sélectionner plus qu’une. Une majorité de la population écossaise (62%) ne s’identifiait en 2011 que comme écossaise.

Avant, on posait uniquement une question concernant les compétences en gaélique écossais, que seulement 1% de la population parle, principalement dans les Highlands et les îles. (Dans les Hébrides extérieures ou Na h-Eileanan Siar, la moitié des 26 500 habitants et habitantes parlent gaélique.) Depuis 2011, on a donc une carte plus précise du nationalisme écossais qu’on peut placer côte à côte avec celle des résultats du référendum de 2014 sur l’indépendance de l’Écosse.

Carte de la proportion de personnes s'identifiant exclusivement comme écossaises dans chaque council area dans le recensement de 2011 Carte des résultats du référendum de 2014 sur l'indépendance de l'Écosse
À gauche, proportion de personnes s’identifiant exclusivement comme écossaises par council area dans le recensement de 2011 (Wikimedia). À droite, résultats du référendum de 2014 sur l’indépendance de l’Écosse, toujours par council area (Wikipedia).

Tout d’abord, rappelons que les indépendantistes ont perdu le référendum 55% No et 45% Yes, ce qui fait que la carte de droite est presque toute rouge. Il s’agit d’un bon rappel que les concepts de nationalisme et d’indépendantisme ne sont pas interchangeables.

Néanmoins, on voit que les cartes, découpées en council areas (regroupant des populations de taille variable), sont un peu le négatif l’une de l’autre. À gauche, dans cette carte toute de bleu, les zones les plus foncées représentent les endroits où l’identité exclusivement écossaise est la plus forte: elles sont dans la Central Belt.

À droite, les territoires colorés du rouge le plus foncé sont les plus opposés à l’indépendance écossaise. Sans surprise, ils se situent le plus près de la frontière avec l’Angleterre, dans les Southern Uplands. L’autre bande foncée part du nord-est des Lowlands. Les Highlands et les Na h-Eileanan Siar sont moins opposés à l’indépendance.

Transformations du système partisan

Tel que présenté dans l’introduction, l’élection générale de 2015 a vu un tsunami SNP défilé sur l’Écosse, tournant au jaune une carte anciennement à prédominance rouge. Il ne restait qu’une circonscription pour chacun des trois vieux partis.

Carte des résultats électoraux de l'élection générale britannique de 2015 en Écosse
Source: Wikipedia

Lorsqu’on compare les cartes des résultats des élections de 2010 et de 2017, on obtient comme des images avant/après. Tout d’abord, la mainmise travailliste se limitait aux Lowlands. Depuis 2005, les Highlands et les îles n’élisent que des personnes députées affiliées aux libéraux démocrates ou au SNP. On sait toutefois que c’est dans les Lowlands que se trouve la vaste majorité de l’électorat.

Carte des résultats électoraux de l'élection générale britannique de 2010 en Écosse Carte des résultats électoraux de l'élection générale britannique de 2017 en Écosse
À gauche, les résultats à l’élection générale de 2010. À droite, les résultats à l’élection générale de 2017 (Wikipedia).
Carte des résultats du référendum de 2016 sur l'appartenance du Royaume-Uni à l'Union européenne

Source: Wikipedia

On constate aussi que les conservateurs, qui n’étaient parvenus qu’à conserver qu’une seule circonscription écossaise en 2010, on reprit leur pied. Le SNP était d’abord établi dans le nord-est des Lowlands, mais en 2017 ces terres ont été conquises par les conservateurs, probablement comme c’est un des endroits où l’opposition au Brexit était la moins féroce (coloration plus pâle ci-contre) dans la marée orange de l’Écosse.

La Central Belt, anciennement presque totalement acquise aux travaillistes, est maintenant plus morcelée. C’est la seule subdivision où les quatre partis détiennent présentement des sièges. (C’est aussi la plus populeuse, et donc celle qui comprend le plus de circonscriptions.)

Carte des résultats électoraux de l'élection générale britannique de 2010 dans la Central Belt de l'Écosse
Résultats de 2010 dans la Central Belt (Wikipedia)
Carte des résultats électoraux de l'élection générale britannique de 2017 dans la Central Belt de l'Écosse
Résultats de 2017 dans la Central Belt (Wikipedia)

Labour, qui détenait toute la Central Belt en 2010 sauf deux circonscriptions LibDem, n’a conservé que Edinburgh South en 2015. Le Parti travailliste a repris cinq sièges en 2017, et les conservateurs ont pris East Renfrewshire, dans la banlieue sud de Glasgow, où habite la moitié de la population juive d’Écosse.

Les deux circonscriptions de la Central Belt détenues par les libéraux démocrates en 2010 et en 2017 étaient Edinburgh West et East Dunbartonshire, en banlieue nord de Glasgow, détenue par Jo Swinson, maintenant chef du parti. Elle est en danger de reperdre son siège comme en 2015.

#indyref2 et Stop Brexit

Nicola Sturgeon et son autobus de campagne
Source: Photographe: Jane Barlow/PA

La première ministre de l’Écosse, Nicola Sturgeon, est également la frontwoman de la campagne actuelle du SNP pour les élections de Westminster, une situation toujours très particulière. Sa principale préoccupation pour cette élection est d’empêcher l’Écosse de sortir contre son gré de l’Union européenne. Elle a toutefois annoncé qu’elle voulait tenir dès 2020 (ça c’est l’année prochaine) un deuxième référendum d’indépendance.

La politologue Ailsa Henderson, qui a mené la Scottish Referendum Study, soutient que la position de chaque électeur et électrice sur cet enjeu local est plus importante que celle sur Brexit ainsi que l’affiliation partisane. Elle décrit quatre tribus politiques au sein de la population écossaise en fonction de leurs positions lors des deux référendums.

Indépendance
No Yes
Brexit Remain 33% 29%
Leave 22% 16%

Source: Rob Johns live-tweetant une présentation de Ailsa Henderson, Political Studies Association, 14 novembre 2019.

Dans une entrevue à l’agence de presse Reuters à la mi-novembre, elle explique que les positions pro-indépendance du SNP et pro-Brexit des conservateurs en font le parti tout désigné pour des segments différents de l’électorat.

Le SNP est le choix de ceux et celles qui souhaitaient l’indépendance de l’Écosse, qu’ils soient des Remainers ou des Leavers (colonne de droite dans le tableau, un total de 45%). Les conservateurs sont le choix évident de ceux et celles qui s’opposent à l’indépendance et veulent quitter l’Union européenne (en bas à gauche, 22% de l’électorat).

Ruth Davidson
Source: PA

Ces deux partis sont effectivement clairement en tête des intentions de vote en Écosse. Leur vote se maintient d’ailleurs bien en Écosse, d’après l’immense sondage de YouGov de la fin novembre. Respectivement neuf et huit personnes sur dix qui auraient voté pour le SNP et les Tories en 2017 auraient l’intention de leur renouveler leur confiance. C’est surprenant puisqu’on craignait que le vote des conservateurs écossais s’effondre avec le départ de leur très talentueuse et aimée chef, Ruth Davidson, pour cause de désaccords fondamentaux avec Boris Johnson.

Ça laisse en reste Labour, avec sa position je-veux-le-beurre-et-l’argent-du-beurre sur Brexit et une similaire ambiguïté concernant la tenue d’un deuxième vote d’indépendance en Écosse. À peine plus de la majorité des personnes qui auraient voté pour Labour en Écosse en 2017 renouveleraient leur appui à Jeremy Corbyn.

La politologue ne mentionne pas les libéraux démocrates. Ce serait théoriquement le parti de ceux et celles qui s’opposent à l’indépendance écossaise et à la sortie de l’Union européenne. D’après YouGov, ce parti réussirait mieux que Labour à maintenir son électorat écossais, avec les deux tiers qui compteraient renouveler leur soutien. On remarque d’ailleurs dans toutes les projections que les libéraux démocrates passent devant les travaillistes au chapitre du nombre de sièges détenus en Écosse.

Dernières projections pour l’Écosse

Partis À la dissolution Forecast UK UK-Elect UK Election Maps – Nowcast Electoral Calculus 326 Politics
7 déc.
4 déc.
6 déc.
3 déc.
3 déc.
SNP 35 46 – 48 46 44 44 44
Conservateurs 13 6 – 8 7 9 9 10
LibDems 4 3 – 5 5 5 4 4
Labour 7 0 – 2 1 1 2 1

Labour est en passe de perdre tous ses sièges écossais. Quel revirement de situation en l’espace d’une seule décennie!

La prochaine fois, on regardera ce qui se trame en Irlande du Nord.


La firme de sondage Ipsos MORI a consacré jeudi dernier, le 5 décembre, un épisode entier de son Election 2019 Podcast à l’Écosse. Bonne écoute!

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