Hier, je me suis un peu perdue, alors je reprends mon billet de façon plus cadrée en me limitant au pays de Galles et en reportant à plus tard l’historique du Brexit.
Jeudi dernier, donc, a été annoncé un pacte électoral. Pour le mettre en contexte, commençons par situer la Remain Alliance et le paysage politique gallois.
Remain?
L’opposition Remain—Leave provient directement du langage employé lors du référendum de 2016. On le voit sur ce bulletin de vote bilingue anglais-gallois: les deux options, plutôt que «Oui» et «Non» comme dans les référendums québécois, sont indiquées plus explicitement:

- Rester (Remain) membre de l’Union européenne
ou
- Quitter (Leave) l’Union européenne
On le verra peut-être dans un éventuel billet, mais ces deux identités se sont superposées aux identités partisanes au point où on se demande si elles ne les ont pas déclassées.
Juin 2016
L’expression «Remain Alliance» est apparue quelques jours après l’annonce des résultats du référendum, le 24 juin à 7h20, heure locale. Oui, ça prend beaucoup (trop) de temps compter des voix au Royaume-Uni.
À titre d’exemple, sur son blogue iGlinavos: Thoughts of a recovering leftist, Ioannis Glinavos appelait dès le 29 juin à une alliance de toutes les forces qui s’opposent au Brexit:
I call for a ‘Remain Alliance’ of everyone wishing this country to remain the Great nation that it is.
This Alliance can fight the election with the single goal of preventing Brexit and saving the Union with Scotland and Northern Ireland. The Liberal Democrats are asking for an election, but not yet for a grand alliance. This is what we need. Labour can defect, or break up, or die, I do not much care so long as its people, MPs and the Unions support the Alliance. Once the Remain Alliance is victorious it can stabilise our relationship with Europe and the regions, restore the economy to normality and then it can resign so elections can take place on traditional party platforms, if this is required.
Surprenamment, même si trois ans se sont écoulés —avec au passage l’élection anticipée désirée, le rejet de deux accords conclus avec l’Union européenne, la prorogation illégale du Parlement, deux reports de la date fatidique— la rhétorique entourant la Remain Alliance n’a pas changé. Elle maintient que le Brexit met en danger tant l’économie britannique que l’intégrité même du Royaume-Uni parce que l’Écosse et l’Irlande du Nord ont voté contre, pour des raisons différentes.
Juin 2019
Le pacte qui nous intéresse s’est fait sous l’auspice de la campagne Unite to Remain, créée à la fin juin cette année. Notons que #UniteToRemain avait été utilisé sur Twitter dans cet esprit dès 2016.
Le pacte regroupe le troisième parti qui prétend au pouvoir (les libéraux démocrates), le parti indépendantiste gallois (Plaid Cymru, le Parti du pays de Galles en gallois) et le Parti vert. Si on les présente toujours dans cet ordre, c’est parce qu’avec ses quatre sièges Plaid Cymru en effectivement plus que les verts à la Chambre des communes: ils n’en ont qu’un seul!
(D’ailleurs, je savais que les verts n’avaient qu’un seul siège, et ce, depuis 2010 seulement: Caroline Lucas dans Brighton Pavilion, une circonscription de hippies, dans l’imaginaire populaire. Je ne savais toutefois pas qu’ils étaient aussi marginaux! En 2017, ils n’ont obtenu que 1,6% des voix à travers le Royaume-Uni.)
La campagne a assuré cet été la collaboration des trois partis lors d’une élection partielle dans Brecon and Radnorshire au pays de Galles (Brycheiniog a Sir Faesyfed en gallois pour les linguistiquement curieux et curieuses). Les libéraux démocrates ont ainsi pu ravir le siège au député conservateur avec près de 1500 voix d’avance. En 2017, ce dernier l’avait emporté par plus de 8000 voix sur les LibDems.

Si l’objectif du pacte à l’élection générale est de répliquer le succès dans 60 circonscriptions à travers l’Angleterre et le pays de Galles, certaines sont déjà détenues par des membres des partis depuis 2017, d’autres par des transfuges qui ont depuis rejoint les LibDems.
Le pacte couvre ainsi 10 circonscriptions détenues par des personnes élues sous la bannière d’un des trois partis de la Remain Alliance, 33 qui devront être ravies aux conservateurs et 12 à Labour (les 5 autres se retrouvent dans des situations particulières étant donné les changements d’allégeance partisane).
Pays de Galles | Angleterre | ||||||
---|---|---|---|---|---|---|---|
LibDems | Plaid Cymru | Verts | LibDems | Verts | |||
Déjà détenu depuis 2017 | 3 | 3 | 5 | 1 | 6 | ||
Gain aux dépens des Tories | 1 | 1 | 2 | 27 | 4 | 31 | |
Gain aux dépens de Labour | 1 | 4 | 5 | 3 | 4 | 7 | |
Situations particulières | 11 | 1 | 52 | 5 | |||
Total | 3 | 7 | 1 | 11 | 40 | 9 | 49 |
Notes:
2 Cinq situations différentes:
-
- une conservatrice passée aux LibDems qui se représente;
- une conservatrice passée aux LibDems qui ne se représente pas;
- une travailliste passée aux LibDems qui ne se représente pas;
- une ex-conservatrice qui siège et se représente comme indépendante;
- un conservateur qui s’est fait montrer la porte par son parti et ne se représente pas.
Concentrons-nous maintenant sur le pays de Galles.
Le pays des dragons?
(40 circonscriptions)
Comme la Remain Alliance est un rêve depuis la minute où Remain a constaté sa défaite, voyons le paysage politique au pays de Galles à trois moments clés: à ce fameux référendum, aux élections générales anticipées de 2017 et aux élections européennes de cette année.

Source: Wikimedia Commons
Au référendum, le pays de Galles, comme l’Angleterre, a voté par une courte majorité pour sortir de l’Union européenne: 52,5% contre 47,5%, une différence de 5 points de pourcentage comme on le calcule aux États-Unis.

Source: Wikimedia Commons
À l’élection anticipée de 2017, le pays de Galles a favorisé comme d’habitude Labour, à 49%. Grâce au scrutin uninominal à un tour, toutefois, le Parti travailliste a obtenu 70% des sièges (28). Ils sont tous situés dans des zones qui avaient voté pour sortir de l’Union européenne. Ce sont donc des «Lab-Leave seats», comme on dit dans le jargon.
Avec ses 10%, Plaid Cymru a fait élire 4 député·e·s, un de ses meilleurs scores depuis sa création en 1925. Le reste des sièges sont allés aux conservateurs. On note sur la carte, outre sa popularité dans les zones rurales pas très densément peuplées, que Plaid Cymru revendique la couleur verte comme le Parti vert, un élément de confusion de plus dont on n’avait pas besoin, if you ask me…
Je vous rappelle qu’il n’y a pas d’orange LibDem sur cette carte de 2017 parce que ce n’est que cet été qu’ils ont remporté l’élection partielle grâce à la Remain Alliance.
Finalement, les élections européennes offrent comme un mash-up de ces deux réalités politiques. En effet, elles ont été disputées sur le terrain du Brexit, mais à partir du système partisan. Le système électoral est proportionnel par région électorale. Le pays de Galles forme une seule région à laquelle sont attribués quatre sièges.
Parti | Pourcentage des voix | Eurodéputation |
---|---|---|
Brexit Party | 32,5% | 2 |
Plaid Cymru | 19,6% | 1 |
Labour | 15,3% | 1 |
Libéraux démocrates | 13,6% | |
Conservateurs | 6,5% | |
Verts | 6,3% |
Je n’ai pas encore parlé du Brexit Party, le nouveau joujou du toujours aussi obsédé par les caméras Nigel Farage. On y viendra. Je vous laisse deviner où il se situe dans le débat.
L’argumentaire de la Remain Alliance, c’est que, bien que le Brexit Party l’ait emporté par une confortable marge, les forces combinées des partis anti-Brexit sont plus nombreuses.
Coalitions | Pourcentage des voix |
---|---|
Partis pro-Brexit | 39,0% |
Brexit Party | 32,5% |
Conservateurs | 6,5% |
Remain Alliance | 39,5% |
Plaid Cymru | 19,6% |
Libéraux démocrates | 13,6% |
Verts | 6,3% |
Remain Alliance avec Labour | 54,8% |
Labour | 15,3% |
Pas si simple…
Tout d’abord, on note que sans Labour l’avance de la Remain Alliance est vraiment très mince.
Et c’est tout un travail réunir des partis, surtout qu’ils se présentent les uns contre les autres dans la majorité des circonscriptions, au pays de Galles mais encore plus en Angleterre, où 484 circonscriptions ne sont pas couvertes par le pacte!
À cet effet, les plus observateurs et observatrices auront remarqué que seuls 3 des 4 circonscriptions présentement détenues par Plaid Cymru sont incluses dans le pacte de non-agression. C’est parce que les LibDems convoitent la quatrième, Ceredigion, que le parti indépendantiste leur a ravi par un cheveu (104 voix) en 2017.
Très curieuse de voir, donc, comment ça se traduira sur le terrain, ce pacte de non-agression. J’ai entendu plusieurs commentateurs et commentatrices dire que les LibDems s’en sortaient à très bon compte. C’est ce que nous examinerons dans le prochain billet.
Vous pouvez prendre de l’avance en lisant l’analyse du Financial Times, qui s’est fié aux sondages pour déterminer si le pacte de la Remain Alliance risquait d’être décisif ou juste mené aux résultats auxquels on s’attendait déjà.