Nouvelles étrangères

Brèves médiatiques

Je crois que j’ai trouvé par quel boutte prendre la présentation du système partisan en Angleterre, mais il est maintenant trop tard pour me lancer là-dedans ce soir. On va y aller donc pour deux brèves médiatiques aujourd’hui: le dossier des débats télévisés et ma diète médiatique, pour ceux et celles que ça intéresse.

Débats télévisés

Je l’ai évoqué dans le premier billet de cette série: l’enjeu de qui-est-invité-aux-débats (et je réalise aussi qui-accepte-les-invitations-aux-débats) apparaît dans la campagne britannique, comme on l’a vu aux dernières fédérales.

Dès lundi, avant même que la campagne soit officiellement déclenchée, la chef des libéraux démocrates, Jo Swinson, a fait beaucoup de bruit pour être invitée aux débats des chefs. La chaîne ITV avait annoncé qu’elle n’inviterait que Boris Johnson, premier ministre conservateur, et Jeremy Corbyn, chef travailliste de l’Opposition officielle. Swinson dénonçait la décision comme étant sexiste (#DebateHer) et menaçait d’avoir recours aux tribunaux.

Jeremy Corbyn, Boris Johnson et Jo Swinson
Source: Faye Brown, «Jo Swinson invited to Sky News election debate after being snubbed by ITV», Metro, 4 novembre 2019 (photos de la Press Association)

Depuis, le hashtag se propage, mais aucune nouvelle concernant les possibles poursuites. De plus, si Swinson a sauté sur l’invitation de Sky News, la réponse des deux hommes chefs se fait attendre.

Les trois grands réseaux, ITV, Sky News et la BBC, ont clarifié leurs propositions. En gras sont les débats «nationaux». Ça fait un agenda très chargé, principalement pour les chefs des deux principaux partis. Le format des débats hors Angleterre n’a pas encore été annoncé.

Rappelons que l’élection se tient le jeudi 12 décembre! Les propositions de la BBC me semblent complètement débiles, honnêtement:

  1. qui présente un débat un vendredi soir?
  2. qui présente un débat l’avant-veille d’un scrutin?!?

En plus, un peu comme les passages des chefs à Tout le monde en parle, la BBC présentera des émissions spéciales de Question Time. Elles se feront toutefois sous le modèle des town halls aux États-Unis, avec l’auditoire qui pose directement ses questions à un chef à la fois.

Finalement, rappelons que ça ne fait même pas 10 ans qu’il y a des débats télévisés au Royaume-Uni. J’ai pu assister aux premiers directement en Angleterre en 2010. Le premier était hilarant dans la mesure où seul Nick Clegg, le chef des LibDems, était au courant qu’il fallait fixer la caméra en prenant la parole dans un débat télévisé plutôt que regarder l’auditoire dans le studio.

Diète médiatique

Pour ceux et celles qui aimeraient suivre davantage, voici ce que moi j’écoute et je lis:

Notez que je ne suis pas la presse écrite, bien que je lise certains articles suggérés sur Twitter. Je consomme surtout les nouvelles en faisant autre chose, donc en écoutant plutôt qu’en lisant.

Nouvelles étrangères

La #RemainAlliance au pays de Galles

Hier, je me suis un peu perdue, alors je reprends mon billet de façon plus cadrée en me limitant au pays de Galles et en reportant à plus tard l’historique du Brexit.

Jeudi dernier, donc, a été annoncé un pacte électoral. Pour le mettre en contexte, commençons par situer la Remain Alliance et le paysage politique gallois.

Remain?

L’opposition RemainLeave provient directement du langage employé lors du référendum de 2016. On le voit sur ce bulletin de vote bilingue anglais-gallois: les deux options, plutôt que «Oui» et «Non» comme dans les référendums québécois, sont indiquées plus explicitement:

Bulletin de vote bilingue anglais—gallois pour le référendum de 2016
Source: «EU referendum in Wales: The essential guide», BBC, 24 mai 2016.
  • Rester (Remain) membre de l’Union européenne

ou

  • Quitter (Leave) l’Union européenne

On le verra peut-être dans un éventuel billet, mais ces deux identités se sont superposées aux identités partisanes au point où on se demande si elles ne les ont pas déclassées.

Juin 2016

L’expression «Remain Alliance» est apparue quelques jours après l’annonce des résultats du référendum, le 24 juin à 7h20, heure locale. Oui, ça prend beaucoup (trop) de temps compter des voix au Royaume-Uni.

À titre d’exemple, sur son blogue iGlinavos: Thoughts of a recovering leftist, Ioannis Glinavos appelait dès le 29 juin à une alliance de toutes les forces qui s’opposent au Brexit:

I call for a ‘Remain Alliance’ of everyone wishing this country to remain the Great nation that it is.

This Alliance can fight the election with the single goal of preventing Brexit and saving the Union with Scotland and Northern Ireland. The Liberal Democrats are asking for an election, but not yet for a grand alliance. This is what we need. Labour can defect, or break up, or die, I do not much care so long as its people, MPs and the Unions support the Alliance. Once the Remain Alliance is victorious it can stabilise our relationship with Europe and the regions, restore the economy to normality and then it can resign so elections can take place on traditional party platforms, if this is required.

Surprenamment, même si trois ans se sont écoulés —avec au passage l’élection anticipée désirée, le rejet de deux accords conclus avec l’Union européenne, la prorogation illégale du Parlement, deux reports de la date fatidique— la rhétorique entourant la Remain Alliance n’a pas changé. Elle maintient que le Brexit met en danger tant l’économie britannique que l’intégrité même du Royaume-Uni parce que l’Écosse et l’Irlande du Nord ont voté contre, pour des raisons différentes.

Juin 2019

Le pacte qui nous intéresse s’est fait sous l’auspice de la campagne Unite to Remain, créée à la fin juin cette année. Notons que #UniteToRemain avait été utilisé sur Twitter dans cet esprit dès 2016.

Le pacte regroupe le troisième parti qui prétend au pouvoir (les libéraux démocrates), le parti indépendantiste gallois (Plaid Cymru, le Parti du pays de Galles en gallois) et le Parti vert. Si on les présente toujours dans cet ordre, c’est parce qu’avec ses quatre sièges Plaid Cymru en effectivement plus que les verts à la Chambre des communes: ils n’en ont qu’un seul!

(D’ailleurs, je savais que les verts n’avaient qu’un seul siège, et ce, depuis 2010 seulement: Caroline Lucas dans Brighton Pavilion, une circonscription de hippies, dans l’imaginaire populaire. Je ne savais toutefois pas qu’ils étaient aussi marginaux! En 2017, ils n’ont obtenu que 1,6% des voix à travers le Royaume-Uni.)

La campagne a assuré cet été la collaboration des trois partis lors d’une élection partielle dans Brecon and Radnorshire au pays de Galles (Brycheiniog a Sir Faesyfed en gallois pour les linguistiquement curieux et curieuses). Les libéraux démocrates ont ainsi pu ravir le siège au député conservateur avec près de 1500 voix d’avance. En 2017, ce dernier l’avait emporté par plus de 8000 voix sur les LibDems.

60 circonscriptions couvertes par le pacte électoral de la Remain Alliance pour l'élection générale de 2019
Source: Wikimedia Commons

Si l’objectif du pacte à l’élection générale est de répliquer le succès dans 60 circonscriptions à travers l’Angleterre et le pays de Galles, certaines sont déjà détenues par des membres des partis depuis 2017, d’autres par des transfuges qui ont depuis rejoint les LibDems.

Le pacte couvre ainsi 10 circonscriptions détenues par des personnes élues sous la bannière d’un des trois partis de la Remain Alliance, 33 qui devront être ravies aux conservateurs et 12 à Labour (les 5 autres se retrouvent dans des situations particulières étant donné les changements d’allégeance partisane).

Pays de Galles Angleterre
LibDems Plaid Cymru Verts LibDems Verts
Déjà détenu depuis 2017 3 3 5 1 6
Gain aux dépens des Tories 1 1 2 27 4 31
Gain aux dépens de Labour 1 4 5 3 4 7
Situations particulières 11 1 52 5
Total 3 7 1 11 40 9 49

Notes:

1 Gain aux dépens d’un conservateur à l’élection partielle cet été.
2 Cinq situations différentes:

Concentrons-nous maintenant sur le pays de Galles.

Drapeau du pays de GallesLe pays des dragons?
(40 circonscriptions)

Comme la Remain Alliance est un rêve depuis la minute où Remain a constaté sa défaite, voyons le paysage politique au pays de Galles à trois moments clés: à ce fameux référendum, aux élections générales anticipées de 2017 et aux élections européennes de cette année.

Résultats au pays de Galles du référendum de 2016
Bleu: Leave; jaune: Remain.
Source: Wikimedia Commons

Au référendum, le pays de Galles, comme l’Angleterre, a voté par une courte majorité pour sortir de l’Union européenne: 52,5% contre 47,5%, une différence de 5 points de pourcentage comme on le calcule aux États-Unis.

Résultats au pays de Galles à l'élection anticipée de 2017
Rouge: Labour; bleu: Tories; vert: Plaid Cymru.
Source: Wikimedia Commons

À l’élection anticipée de 2017, le pays de Galles a favorisé comme d’habitude Labour, à 49%. Grâce au scrutin uninominal à un tour, toutefois, le Parti travailliste a obtenu 70% des sièges (28). Ils sont tous situés dans des zones qui avaient voté pour sortir de l’Union européenne. Ce sont donc des «Lab-Leave seats», comme on dit dans le jargon.

Avec ses 10%, Plaid Cymru a fait élire 4 député·e·s, un de ses meilleurs scores depuis sa création en 1925. Le reste des sièges sont allés aux conservateurs. On note sur la carte, outre sa popularité dans les zones rurales pas très densément peuplées, que Plaid Cymru revendique la couleur verte comme le Parti vert, un élément de confusion de plus dont on n’avait pas besoin, if you ask me

Je vous rappelle qu’il n’y a pas d’orange LibDem sur cette carte de 2017 parce que ce n’est que cet été qu’ils ont remporté l’élection partielle grâce à la Remain Alliance.

Finalement, les élections européennes offrent comme un mash-up de ces deux réalités politiques. En effet, elles ont été disputées sur le terrain du Brexit, mais à partir du système partisan. Le système électoral est proportionnel par région électorale. Le pays de Galles forme une seule région à laquelle sont attribués quatre sièges.

Parti Pourcentage des voix Eurodéputation
Brexit Party 32,5% 2
Plaid Cymru 19,6% 1
Labour 15,3% 1
Libéraux démocrates 13,6%
Conservateurs 6,5%
Verts 6,3%

Je n’ai pas encore parlé du Brexit Party, le nouveau joujou du toujours aussi obsédé par les caméras Nigel Farage. On y viendra. Je vous laisse deviner où il se situe dans le débat.

L’argumentaire de la Remain Alliance, c’est que, bien que le Brexit Party l’ait emporté par une confortable marge, les forces combinées des partis anti-Brexit sont plus nombreuses.

Coalitions Pourcentage des voix
Partis pro-Brexit 39,0%
Brexit Party 32,5%
Conservateurs 6,5%
Remain Alliance 39,5%
Plaid Cymru 19,6%
Libéraux démocrates 13,6%
Verts 6,3%
Remain Alliance avec Labour 54,8%
Labour 15,3%

Pas si simple…

Tout d’abord, on note que sans Labour l’avance de la Remain Alliance est vraiment très mince.

Et c’est tout un travail réunir des partis, surtout qu’ils se présentent les uns contre les autres dans la majorité des circonscriptions, au pays de Galles mais encore plus en Angleterre, où 484 circonscriptions ne sont pas couvertes par le pacte!

À cet effet, les plus observateurs et observatrices auront remarqué que seuls 3 des 4 circonscriptions présentement détenues par Plaid Cymru sont incluses dans le pacte de non-agression. C’est parce que les LibDems convoitent la quatrième, Ceredigion, que le parti indépendantiste leur a ravi par un cheveu (104 voix) en 2017.

Très curieuse de voir, donc, comment ça se traduira sur le terrain, ce pacte de non-agression. J’ai entendu plusieurs commentateurs et commentatrices dire que les LibDems s’en sortaient à très bon compte. C’est ce que nous examinerons dans le prochain billet.

Vous pouvez prendre de l’avance en lisant l’analyse du Financial Times, qui s’est fié aux sondages pour déterminer si le pacte de la Remain Alliance risquait d’être décisif ou juste mené aux résultats auxquels on s’attendait déjà.

Nouvelles étrangères

Les trois vieux partis

Grosse nouvelle aujourd’hui en matière de vote stratégique: la Remain Alliance a annoncé un pacte électoral pour 60 circonscriptions en Angleterre et au pays de Galles. On se rappelera qu’avec 533 sièges en Angleterre et 40 au pays de Galles, ça donne un pacte sur un peu moins de 10% des circonscriptions sur le territoire qu’il couvre.

Pour bien comprendre les tenants et aboutissants de ce pacte, il faut connaître les quatre systèmes partisans britanniques. La Remain Alliance, dans le contexte du pacte électoral, ce sont les libéraux démocrates, Plaid Cymru et les verts. Difficiles de parler d’eux sans d’abord parler des deux grands partis de l’alternance du pouvoir. On ne s’en sort pas, enh, avec le scrutin uninominal majoritaire à un tour (first-past-the-post)!

Commençons donc par les trois grands partis qui se présentent dans toute la Grande-Bretagne. Demain, nous pourrons parler du pacte et du système partisan gallois.

Les partis de l’alternance du pouvoir

Sans grande surprise, on trouve au Royaume-Uni un système bipartisan comme celui auquel on a été habitué au Québec et au Canada jusqu’à ce que la CAQ le fasse éclater l’an dernier. Depuis les années 1920, le pouvoir a toujours été détenu par soit le Parti conservateur (Tories) ou le Parti travailliste (Labour), sauf entre 2010 et 2015, où les Tories étaient en coalition avec les libéraux démocrates.

On ne peut toutefois pas parler des «vieux partis» parce que Labour n’a été créé qu’en 1900. Durant la deuxième moitié du XIXe siècle, c’était plutôt avec les libéraux que les conservateurs s’échangeaient le pouvoir.

Répartition des voix dans les élections générales au Royaume-Uni depuis 1832
Répartition des voix dans les élections générales au Royaume-Uni depuis 1832
(Source: Wikimedia Commons)
Légende
Conservateurs (en bleu), incluant les partis tory (1832), conservateur (à partir de 1835), libéral conservateur (1847–59), libéral unioniste (1886–1910) et nationalistes (1931–45)
Libéraux/libéraux démocrates (en orange), incluant les partis whig (jusqu’au milieu du XIXe siècle), libéral (du milieu du XIXe siècle à 1979), libéral national (1922), libéral indépendant (1931), l’alliance entre le Parti social-démocrate et les libéraux (1983–87) et les libéraux démocrates (depuis 1992)
Travaillistes (en rouge)
Autres partis (en gris)

Comme au fédéral, les conservateurs sont bleus et à droite (surtout économiquement). Le Parti travailliste, comme son nom l’indique, a été fondé pour représenter les travailleurs et travailleuses, ce qui rappelle plutôt la rhétorique du Nouveau Parti démocratique au Canada. Comme lui, il a de forts liens organisationnels avec les syndicats. Toutefois, sa couleur est le rouge (et son logo, une rose).

Rouge foncé foncé

Labour ne s’est pas toujours collé à ses racines. Par exemple, avec le New Labour, Tony Blair a repris le pouvoir en 1997 après plus d’une décennie de gouvernements conservateurs, mais a aussi entraîné son pays dans l’impopulaire guerre en Irak.

Finies les ambiguïtés avec Jeremy Corbyn à la tête du parti: Labour est présentement résolument de gauche (certains disent d’extrême gauche), et fait campagne sur la re-nationalisation de certains secteurs de l’économie comme les trains.

Jeremy Corbyn et Bernie Sanders
Source: Conor Lynch, «Sorry, centrist liberals, the politics of Bernie Sanders and Jeremy Corbyn are the progressive path forward», Salon.com, 17 juin 2017
(AP/Frank Augstein/Jae C. Hong)

La trajectoire de Corbyn, si vous n’en avez pas entendu parler, rappelle beaucoup celle de Bernie Sanders aux États-Unis. Ce sont deux vieux hommes blancs ouvertement socialistes, en politique depuis plus longtemps que je ne suis sur terre (Corbyn au sein du parti, Sanders comme indépendant), qui ont été portés par un mouvement important de jeunes militant·e·s.

Chez Labour, ce mouvement a un nom précis, Momentum, que les adversaires du Parti travailliste utilisent pour distancer le parti actuel de celui pour lequel les gens sont habitués de voter (ils parlent de leurs adversaires comme étant des «Momentum candidates» plutôt que des «Labour candidates»).

Au chapitre des différences avec Sanders, Corbyn a gagné, et même re-gagné ses courses à la chefferie. Il a aussi été accusé de traiter à la légère des plaintes d’antisémitisme au sein de son parti (alors que Sanders est un juif non croyant).

Boris Johnson s'adressant à la foule au lancement de la campagne électorale 2019 des conservateurs
Source: James Forsyth, « Boris Johnson’s campaign launch will help calm Tory fears», The Spectator, 6 novembre 2019

Défiant tous les prognostics, Corbyn a fait une bonne campagne en 2017 contre la très mauvaise campaigner Theresa May. Il l’a privée non seulement de la plus confortable majorité qu’elle recherchait, mais lui a carrément retiré celle qu’elle avait. Cette fois, il affronte le kid kodak Boris Johnson, beaucoup plus à l’aise devant les foules et les caméras.

Le troisième parti qui aspire au pouvoir
(mais qui est en fait la troisième opposition)

Les libéraux démocrates (LibDems) forment le troisième parti en Angleterre, mais comme le Parti nationaliste écossais (Scottish National Party ou SNP) détient beaucoup plus de sièges, c’est en fait la troisième opposition. On voit dans la représentation ci-dessous de la Chambre des communes qu’il y a plus de points jaunes (SNP) dans le centre à droite que de points oranges (LibDems) à leur gauche. (Attention, les points ocre collés sur les bleus représentent le Parti unioniste démocrate, un parti nord-irlandais.)

Source: ElectionMapsUK, “State of Parliament: GE2017 vs Today”

De tradition libérale, les LibDems devraient être, comme le Parti libéral du Canada, le parti du centre entre les conservateurs et le parti des travailleurs et travailleuses (le Nouveau Parti démocrate). Toutefois, la répartition gauche—droite des partis peut être fluide, comme on l’a vu à l’élection fédérale de 2015 où le libéral Justin Trudeau a dépassé le néo-démocrate Thomas Mulcair par sa gauche.

Quand j’étais en Angleterre, pour les élections de 2010, les LibDems étaient en fait le plus à gauche des trois grands partis (c’était avant la montée du SNP). Ils ont obtenu 23% des voix mais, gracieuseté du système uninominal à un tour, moins de 9% des sièges, soit 57. Ils détenaient néanmoins la balance du pouvoir, ce qui s’est avéré un cadeau plus qu’empoisonné.

De retour après la quasi-extinction

Le parti a signé son arrêt de mort en entrant en coalition avec les conservateurs pour chasser du pouvoir Labour (sous sa version New). Ils avaient obtenu dans le cadre des négociations un référendum sur la réforme du mode de scrutin qu’ils ont rapidement perdu à plate couture (la propagande du Non était extrêmement efficace).

Partenaires juniors de leur coalition, les LibDems se sont ensuite promptement fait enfoncer dans la gorge une hausse faramineuse des droits de scolarité, qui ont doublé ou triplé selon les universités. Le gros problème, c’est qu’ils avaient fait campagne précisément sur un gel des droits de scolarité. Sans grande surprise, à l’élection suivante en 2015, ils ont mangé une volée, perdant 49 sièges.

Les LibDems doivent leur renaissance à leur position inébranlable pour le maintien du Royaume-Uni au sein de l’Union européenne (Remain). Ils ont obtenu de bons résultats aux élections européennes tenues au printemps dernier et accueilli huit transfuges provenant tant du Parti conservateur que du Parti travailliste pour leur opposition ferme au Brexit.

La chef des libéraux démocrate, Jo Swinson, devant son autobus de campagne
Source: Daniel Leal-Olivas, photojournaliste pour l’Agence France-Presse (AFP), «A day with Jo Swinson, leader of the Liberal Democrats.», sur Instagram (@lealolivas)

Leur nouvelle chef, Jo Swinson, veut se positionner comme candidate au poste de première ministre notamment pour être invitée aux débats des chefs, ce qui n’est pas chose faite. Ce sera un des dossiers à suivre.

Plan d’attaque

Maintenant qu’on a vu les LibDems, on pourra parler de la Remain Alliance. On ira ensuite voir la division du vote de l’autre côté avec le Brexit Party. Puis, on se dirigera vers le nord pour examiner l’enjeu d’un autre référendum: celui d’un #IndyRef2.

Je ne sais pas si on arrivera un jour à l’Irlande du Nord comme je ne connais absolument rien à son système partisan. Par contre, j’ai entendu qu’il y a un pacte électoral là aussi, avec Sinn Féin qui ne présentera pas de candidatures dans certaines circonscriptions. Une nation à la fois…

Keep calm and blog on

Nouvelles étrangères

Aux urnes, British edition

Aujourd’hui, le premier ministre du Royaume-Uni, Boris Johnson, s’est rendu chez la reine pour déclencher officiellement une campagne électorale qui doit régler la question du Brexit.

Boris Johnson rencontre la reine Elizabeth II
Source: BT, photo prise le 28 août 2019, lorsque le premier ministre a demandé et obtenu (illégalement) de la reine la prorogation du Parlement.

Je dois avouer que je suis d’assez près les derniers développements de Brexit, beaucoup plus que je n’ai suivi la campagne électorale fédérale au Canada. Mon attachement pour la politique britannique vient du fait que j’ai habité en Angleterre deux ans et demi et que, depuis, j’y retourne chaque année voir mes amis.

Ce qui me semble intéressant pour Prime à l’urne, ce sont les efforts mis en place pour diriger le vote stratégique. Il y a présentement trois sites différents qui disent à l’électorat pour qui voter dans leur circonscription pour battre les conservateurs et freiner le Brexit (surprise surprise: ils ne disent pas tous la même chose!).

Ça me semble d’intérêt pour le lectorat de Prime à l’urne comme l’enjeu qui revient périodiquement au Québec et au Canada dans une forme similaire puisque nous avons hérité du même système de vote uninominal à un tour (first-past-the-post en anglais).

En guise d’introduction, voici donc la composition de la Chambre des communes du Parlement britannique. Le prochain billet s’attaquera au complexe système de partis: avec neuf partis représentés au Parlement, c’est comme s’il y avait deux Blocs (en Écosse et au Pays de Galles) en plus du système de partis provincial du Québec qui ne s’aligne pas parfaitement avec les partis fédéraux (en Irlande du Nord).

Quatre pays en un

Carte des nations constitutives du Royaume-Uni
Source: Wikimedia Commons

Pour rappel, donc, il y a quatre nations constitutives (countries en anglais) au Royaume-Uni, qui ne s’appelle pas comme ça pour rien. Elles sont réparties sur les deux îles britanniques. À l’est, sur l’île de la Grande-Bretagne, on retrouve l’Angleterre et le Pays de Galles, unis depuis le Moyen Âge, ainsi que l’Écosse, qui s’est ajoutée en 1707.

L’Irlande, sur l’île voisine, a fait partie de l’Union de 1800 à 1921, bien qu’elle avait été sous domination anglaise bien avant. L’île a alors été divisée, avec les deux tiers de la province du nord, l’Ulster, demeurant au sein du Royaume-Uni. La République de l’Irlande, dans la partie sud de l’île, a été déclarée en 1949.

Carte des îles britanniques
Source: Wikimedia Commons

Les années 1970 ont été marquées par une guerre civile en Irlande du Nord, les «troubles» (bel euphémisme). La paix n’a vraiment été rétablie qu’en 1998 avec l’accord du Vendredi saint (Good Friday Agreement). Il y a consensus sur le fait qu’un Brexit sans accord remettait en question cette paix durement gagnée.

Étant cette histoire, on comprend que le système de partis en Irlande du Nord est complètement distinct de celui qu’on retrouve dans les trois nations constitutives sur l’île de Grande-Bretagne.

UK650

Alors voilà pour la géographie et un peu de l’histoire du Royaume-Uni. Maintenant, voyons sa démographie. Les 65 millions de Britanniques sont divisés entre 650 circonscriptions.

Toutefois, la répartition entre les quatre pays est très inégale, étant donné la répartition de la population.

Pays Nb de circonscriptions
Angleterre 533
Écosse 59
Pays de Galles 40
Irlande du Nord 18

La capitale, Londres, à près de 9 millions d’habitant·e·s, est plus populeuse que toute l’Écosse, à 5 millions.

Pour éviter les distorsions visuelles causées par les très grandes circonscriptions avec une faible densité de population, on peut représenter la carte électorale non pas sur une carte géographique, mais à l’aide d’un cartogramme. Tant Radio-Canada que Le Devoir l’avaient fait pour l’élection provinciale de 2018, mais l’exercice n’a malheureusement pas été repris pour la campagne fédérale qui vient de se terminer.

Cartogramme des résultats de l'élection provinciale de 2018 dans Le Devoir
Cartogramme des résultats de l’élection provinciale de 2018 produit par Polydata dans «Comment décortiquer la victoire de la CAQ?», Le Devoir, 2 octobre 2018.
Cartogramme des résultats de l'élection provinciale de 2018 sur Radio-Canada
Cartogramme des résultats de l’élection provinciale de 2018 sur Radio-Canada produit par Marc Lajoie, «6 cartes pour comprendre où s’est jouée l’élection», 2 octobre 2018.

Au Royaume-Uni, ça peut donner ceci lorsqu’on regarde les résultats l’élection anticipée de 2017 durant laquelle Theresa May a perdu sa majorité:

Carte et cartogramme des résultats des élections britanniques de 2017
Source: Metro, 9 juin 2017, produit par la Press Association (PA)

À gauche, on trouve les résultats supposés sur la carte du Royaume-Uni. À droite, c’est plutôt un cartogramme où chaque hexagone représente une circonscription. On retrouve la tache rouge avec un peu d’orange en-dessous de la gauche en beaucoup plus gros à droite: c’est Londres. On voit également à droite que l’Écosse jaune n’est pas beaucoup plus populeuse que le Yorkshire rouge, petite tache tout au nord de l’Angleterre sur la carte de gauche.

Alors c’est quoi tous ces partis aux couleurs difficiles à distinguer?

On verra dans le prochain billet.

En attendant, une introduction au Royaume-Uni que trouve toujours aussi hilarante, même six ans plus tard…