Nouvelles étrangères

Les trois vieux partis

Grosse nouvelle aujourd’hui en matière de vote stratégique: la Remain Alliance a annoncé un pacte électoral pour 60 circonscriptions en Angleterre et au pays de Galles. On se rappelera qu’avec 533 sièges en Angleterre et 40 au pays de Galles, ça donne un pacte sur un peu moins de 10% des circonscriptions sur le territoire qu’il couvre.

Pour bien comprendre les tenants et aboutissants de ce pacte, il faut connaître les quatre systèmes partisans britanniques. La Remain Alliance, dans le contexte du pacte électoral, ce sont les libéraux démocrates, Plaid Cymru et les verts. Difficiles de parler d’eux sans d’abord parler des deux grands partis de l’alternance du pouvoir. On ne s’en sort pas, enh, avec le scrutin uninominal majoritaire à un tour (first-past-the-post)!

Commençons donc par les trois grands partis qui se présentent dans toute la Grande-Bretagne. Demain, nous pourrons parler du pacte et du système partisan gallois.

Les partis de l’alternance du pouvoir

Sans grande surprise, on trouve au Royaume-Uni un système bipartisan comme celui auquel on a été habitué au Québec et au Canada jusqu’à ce que la CAQ le fasse éclater l’an dernier. Depuis les années 1920, le pouvoir a toujours été détenu par soit le Parti conservateur (Tories) ou le Parti travailliste (Labour), sauf entre 2010 et 2015, où les Tories étaient en coalition avec les libéraux démocrates.

On ne peut toutefois pas parler des «vieux partis» parce que Labour n’a été créé qu’en 1900. Durant la deuxième moitié du XIXe siècle, c’était plutôt avec les libéraux que les conservateurs s’échangeaient le pouvoir.

Répartition des voix dans les élections générales au Royaume-Uni depuis 1832
Répartition des voix dans les élections générales au Royaume-Uni depuis 1832
(Source: Wikimedia Commons)
Légende
Conservateurs (en bleu), incluant les partis tory (1832), conservateur (à partir de 1835), libéral conservateur (1847–59), libéral unioniste (1886–1910) et nationalistes (1931–45)
Libéraux/libéraux démocrates (en orange), incluant les partis whig (jusqu’au milieu du XIXe siècle), libéral (du milieu du XIXe siècle à 1979), libéral national (1922), libéral indépendant (1931), l’alliance entre le Parti social-démocrate et les libéraux (1983–87) et les libéraux démocrates (depuis 1992)
Travaillistes (en rouge)
Autres partis (en gris)

Comme au fédéral, les conservateurs sont bleus et à droite (surtout économiquement). Le Parti travailliste, comme son nom l’indique, a été fondé pour représenter les travailleurs et travailleuses, ce qui rappelle plutôt la rhétorique du Nouveau Parti démocratique au Canada. Comme lui, il a de forts liens organisationnels avec les syndicats. Toutefois, sa couleur est le rouge (et son logo, une rose).

Rouge foncé foncé

Labour ne s’est pas toujours collé à ses racines. Par exemple, avec le New Labour, Tony Blair a repris le pouvoir en 1997 après plus d’une décennie de gouvernements conservateurs, mais a aussi entraîné son pays dans l’impopulaire guerre en Irak.

Finies les ambiguïtés avec Jeremy Corbyn à la tête du parti: Labour est présentement résolument de gauche (certains disent d’extrême gauche), et fait campagne sur la re-nationalisation de certains secteurs de l’économie comme les trains.

Jeremy Corbyn et Bernie Sanders
Source: Conor Lynch, «Sorry, centrist liberals, the politics of Bernie Sanders and Jeremy Corbyn are the progressive path forward», Salon.com, 17 juin 2017
(AP/Frank Augstein/Jae C. Hong)

La trajectoire de Corbyn, si vous n’en avez pas entendu parler, rappelle beaucoup celle de Bernie Sanders aux États-Unis. Ce sont deux vieux hommes blancs ouvertement socialistes, en politique depuis plus longtemps que je ne suis sur terre (Corbyn au sein du parti, Sanders comme indépendant), qui ont été portés par un mouvement important de jeunes militant·e·s.

Chez Labour, ce mouvement a un nom précis, Momentum, que les adversaires du Parti travailliste utilisent pour distancer le parti actuel de celui pour lequel les gens sont habitués de voter (ils parlent de leurs adversaires comme étant des «Momentum candidates» plutôt que des «Labour candidates»).

Au chapitre des différences avec Sanders, Corbyn a gagné, et même re-gagné ses courses à la chefferie. Il a aussi été accusé de traiter à la légère des plaintes d’antisémitisme au sein de son parti (alors que Sanders est un juif non croyant).

Boris Johnson s'adressant à la foule au lancement de la campagne électorale 2019 des conservateurs
Source: James Forsyth, « Boris Johnson’s campaign launch will help calm Tory fears», The Spectator, 6 novembre 2019

Défiant tous les prognostics, Corbyn a fait une bonne campagne en 2017 contre la très mauvaise campaigner Theresa May. Il l’a privée non seulement de la plus confortable majorité qu’elle recherchait, mais lui a carrément retiré celle qu’elle avait. Cette fois, il affronte le kid kodak Boris Johnson, beaucoup plus à l’aise devant les foules et les caméras.

Le troisième parti qui aspire au pouvoir
(mais qui est en fait la troisième opposition)

Les libéraux démocrates (LibDems) forment le troisième parti en Angleterre, mais comme le Parti nationaliste écossais (Scottish National Party ou SNP) détient beaucoup plus de sièges, c’est en fait la troisième opposition. On voit dans la représentation ci-dessous de la Chambre des communes qu’il y a plus de points jaunes (SNP) dans le centre à droite que de points oranges (LibDems) à leur gauche. (Attention, les points ocre collés sur les bleus représentent le Parti unioniste démocrate, un parti nord-irlandais.)

Source: ElectionMapsUK, “State of Parliament: GE2017 vs Today”

De tradition libérale, les LibDems devraient être, comme le Parti libéral du Canada, le parti du centre entre les conservateurs et le parti des travailleurs et travailleuses (le Nouveau Parti démocrate). Toutefois, la répartition gauche—droite des partis peut être fluide, comme on l’a vu à l’élection fédérale de 2015 où le libéral Justin Trudeau a dépassé le néo-démocrate Thomas Mulcair par sa gauche.

Quand j’étais en Angleterre, pour les élections de 2010, les LibDems étaient en fait le plus à gauche des trois grands partis (c’était avant la montée du SNP). Ils ont obtenu 23% des voix mais, gracieuseté du système uninominal à un tour, moins de 9% des sièges, soit 57. Ils détenaient néanmoins la balance du pouvoir, ce qui s’est avéré un cadeau plus qu’empoisonné.

De retour après la quasi-extinction

Le parti a signé son arrêt de mort en entrant en coalition avec les conservateurs pour chasser du pouvoir Labour (sous sa version New). Ils avaient obtenu dans le cadre des négociations un référendum sur la réforme du mode de scrutin qu’ils ont rapidement perdu à plate couture (la propagande du Non était extrêmement efficace).

Partenaires juniors de leur coalition, les LibDems se sont ensuite promptement fait enfoncer dans la gorge une hausse faramineuse des droits de scolarité, qui ont doublé ou triplé selon les universités. Le gros problème, c’est qu’ils avaient fait campagne précisément sur un gel des droits de scolarité. Sans grande surprise, à l’élection suivante en 2015, ils ont mangé une volée, perdant 49 sièges.

Les LibDems doivent leur renaissance à leur position inébranlable pour le maintien du Royaume-Uni au sein de l’Union européenne (Remain). Ils ont obtenu de bons résultats aux élections européennes tenues au printemps dernier et accueilli huit transfuges provenant tant du Parti conservateur que du Parti travailliste pour leur opposition ferme au Brexit.

La chef des libéraux démocrate, Jo Swinson, devant son autobus de campagne
Source: Daniel Leal-Olivas, photojournaliste pour l’Agence France-Presse (AFP), «A day with Jo Swinson, leader of the Liberal Democrats.», sur Instagram (@lealolivas)

Leur nouvelle chef, Jo Swinson, veut se positionner comme candidate au poste de première ministre notamment pour être invitée aux débats des chefs, ce qui n’est pas chose faite. Ce sera un des dossiers à suivre.

Plan d’attaque

Maintenant qu’on a vu les LibDems, on pourra parler de la Remain Alliance. On ira ensuite voir la division du vote de l’autre côté avec le Brexit Party. Puis, on se dirigera vers le nord pour examiner l’enjeu d’un autre référendum: celui d’un #IndyRef2.

Je ne sais pas si on arrivera un jour à l’Irlande du Nord comme je ne connais absolument rien à son système partisan. Par contre, j’ai entendu qu’il y a un pacte électoral là aussi, avec Sinn Féin qui ne présentera pas de candidatures dans certaines circonscriptions. Une nation à la fois…

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