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La carte électorale de l’Angleterre

Drapeau de l'Angleterre (croix de saint Georges)Ça fait longtemps que je cherche comment présenter les enjeux partisans de l’Angleterre, cette nation constitutive qui domine le Royaume-Uni. Les cartes et les cartogrammes offrent des portraits tout en nuance dans lesquels j’ai tendance à me perdre. Finalement, j’ai trouvé qu’on pouvait très bien expliquer la carte électorale de l’Angleterre en regardant des tableaux découpés en quatre.

C’est moins joli, mais c’est plus simple, vous allez voir.

Les trois gros morceaux

Subdivisions de l'Angleterre: Nord, Midlands et Sud
Source: Wikimedia Commons

Informellement, on peut diviser l’Angleterre entre le Nord, les Midlands et le Sud, où on trouve la capitale, Londres. Sur la carte de l’Angleterre ci-contre, le nord est en bleu, les Midlands en vert et le Sud en jaune. Comme il s’agit d’une carte de l’Angleterre et non de la Grande-Bretagne, il manque l’Écosse en haut de la section bleue et le pays de Galles à gauche de la section verte (il toucherait aussi au bas de la section bleue).

Pour y aller grossièrement, le Nord vote Labour depuis toujours (c’est-à-dire depuis Margaret Thatcher) et a voté Leave au référendum de 2016. Ce sont dans les Midlands conservateurs que les Anglais (et les Britanniques) ont voté avec le plus de conviction pour sortir de l’Union européenne, et ce, à 59%. Le Sud, plus conservateur, était aussi plus partagé lors du référendum.

L’autre distinction entre le Sud et les Midlands, c’est que, tout en étant bons troisièmes, les libéraux démocrates y sont plus forts qu’ailleurs en Angleterre. Le Sud est également plus favorable aux verts que le reste de l’Angleterre: c’est d’ailleurs là qu’on trouve leur seul siège, à Brighton Pavilion.

Londres et les autres régions

Seule Londres (et l’Écosse et l’Irlande du Nord) a voté majoritairement pour Remain, et ce, à 60%. À la fois métropole et capitale qui regroupe un sixième de la population anglaise, Londres est vraiment une île métaphorique au sein du pays, une île qui devient de plus en plus rouge dans la marée bleue que sont les Midlands et le Sud de l’Angleterre.

Pour des fins statistiques, l’Office for National Statistics, l’équivalent britannique de Statistique Canada ou de l’Institut de la statistique du Québec (dont le site Web est bilingue anglais et gallois), divise l’Angleterre en 9 régions: trois dans le nord, deux dans les Midlands (est et ouest, tout simplement) et quatre dans le Sud, dont une pour Londres.

about this map
East of
England
London
South East
South West
East
Midlands
West
Midlands
Yorkshire and
the Humber
North
East
North West

Comme nous le verrons, les divisions régionales, utilisées par les sondeurs, servent aussi d’aires de vote aux élections européennes. Plutôt que de recalculer les résultats en fonction la pondération de chaque région dans sa plus grande division, j’ai regroupé visuellement les régions dans les tableaux qui suivent en fonction de la subdivision (Nord, Midlands, Sud et Londres).

Le système partisan en Angleterre

Voyez comme les mêmes tendances persistent de l’élection de 2015 à celle de 2017, bien que les niveaux de soutien soient différents pour les partis à l’échelle nationale:

  • le Nord et Londres, tout deux Labour, contre les Midlands et le Sud pour les Tories;
  • les appuis pour Labour sont au plus bas dans le Sud, puis dans les Midlands;
  • les plus grands appuis pour tant pour les libéraux démocrates que pour les verts sont dans le Sud et à Londres;
  • les Midlands sont les moins accueillants envers les LibDems.

Résultats régionaux à l’élection générale de 2015

Région Tories Labour LibDems UKIP Verts
Nord North East 25,3 46,9 6,5 16,7 3,6
North West 31,2 44,6 6,5 13,6 3,2
Yorkshire and The Humber 32,6 39,1 7,1 16,0 3,5
Midlands East Midlands 43,5 31,6 5,6 15,8 3,0
West Midlands 41,8 32,9 5,5 15,7 3,3
Sud East 49,0 22,0 8,2 16,2 3,9
South East 51,6 18,3 9,4 14,7 5,2
South West 46,5 17,7 15,1 13,6 5,9
Londres London 34,9 43,7 7,7 8,1 4,9

Source: Britain Elects

Résultats régionaux à l’élection générale de 2017

Région Tories Labour LibDems UKIP Verts
Nord North East 34,5 55,6 4,6 3,9 1,3
North West 36,3 55,0 5,4 1,9 1,1
Yorkshire and The Humber 40,6 49,2 5,0 2,6 1,3
Midlands East Midlands 50,8 40,5 4,3 2,4 1,5
West Midlands 49,1 42,5 4,4 1,8 1,7
Sud East 54,7 32,8 7,9 2,5 1,9
South East 54,8 28,7 10,6 2,3 3,1
South West 51,4 29,2 15,0 1,1 2,3
Londres London 33,2 54,6 8,8 1,3 1,8

Source: Britain Elects

J’ignore le United Kingdom Independence Party (UKIP) parce que ses appuis se sont effondrés en 2017 comme le référendum sur l’adhésion à l’Union européenne a été tenu, et même gagné l’année, précédente.

Pour récapituler, donc, deux subdivisions de l’Angleterre sont conservatrices et deux sont travaillistes. On peut les distinguer entre elles par l’appui relatif aux libéraux démocrates.

Tories Labour LibDems Verts
Nord + +
Midlands + – –
Sud + + – – + +
Londres + + + +

C’est la fameuse spécialisation géographique du vote au sein du bloc des couleurs chaudes dont parlait le billet précédent. Si Londres est un endroit où à la fois Labour et les LibDems réussissent bien, chacun à leur échelle, le Sud allergique aux travaillistes est une terre d’accueil pour les LibDems. Labour règne aussi en roi dans le Nord, où les libéraux démocrates n’obtiennent pas de très bons résultats.

L’axe Remain/Leave en Angleterre

Le sentiment à l’égard de l’Union européenne menace de brouiller les cartes du système partisan depuis le référendum. On l’a déjà dit mais, en Angleterre, seule Londres a voté Remain, et ce, légèrement plus fortement que le vote Leave dans toutes les autres régions.

Résultats régionaux au référendum de 2016

Région Remain Leave
Nord North East 42% 58%
North West 46% 54%
Yorkshire and The Humber 42% 58%
Midlands East Midlands 41% 59%
West Midlands 41% 59%
Sud East 44% 56%
South East 48% 52%
South West 47% 53%
Londres London 60% 40%

Source: Wikipedia

Ajoutons donc une colonne Brexit à notre tableau synthèse.

Brexit Tories Labour LibDems Verts
Nord + Leave + +
Midlands + + Leave + – –
Sud Leave + + – – + +
Londres + + Remain + + + +

Les deux subdivisions conservatrices et les deux travaillistes qu’on pouvait avant départager par leur appui relatif aux libéraux démocrates peuvent maintenant être distinguées aussi par leur position envers l’Union européenne.

Des partis divisés

Je vais simplifier à outrance pour illustrer le grand écart qu’ont dû faire les partis de l’alternance du pouvoir. En gras sont les subdivisions qui posent problème.

54%-59% Leave 44%-60% Remain
Tories Midlands Sud
Labour Nord Londres

Si on place Labour dans la colonne Remain pour un instant, les positions des partis de l’alternance du pouvoir s’alignent à Londres (Labour et Remain) et dans les Midlands (conservateurs et Leave). Les Tories se sont toutefois retrouvé avec un potentiel problème dans le Sud, où l’appui modéré à la sortie de l’Union européenne signifie qu’il y a un électorat Remain non négligeable. Une partie de cet électorat votait Tory.

Boris Johnson prononce un discours électoral à Warwickshire devant un lutrin «Get Brexit Done: Unleash Britain's Potential»
Source: Eleni Courea, «Boris Johnson: Only Tories can ‘get Brexit done’», Politico, 13 novembre 2019.

Depuis, un des grands Brexiters en chef, Boris Johnson, est devenu chef du Parti conservateur et a effectué une purge après qu’une portion de sa députation se soit rebellée sur un vote au tout début de son mandat. Avec un slogan comme «Get Brexit Done!», le Parti conservateur n’essaie plus de conserver ses sièges où on a voté Remain en 2016: c’est pourquoi les commentateurs et commentatrices prévoient des pertes conservatrices dans le Sud et en Écosse.

Comme on a vu dans le billet précédent sur les deux blocs que je refuse d’appeler Leave et Remain, Labour s’est sorti de son grand écart entre le Nord Leave et Londres Remain en promettant un deuxième référendum pour donner au peuple l’occasion de clôre le débat.

Une des questions de cette élection, c’est de savoir s’il remportera son pari en étant en mesure de conserver ses sièges qu’on appelle Lab-Leave dans le Nord (et au pays de Galles). Il y est parvenu en 2017 contre Theresa May. Johnson revient à la charge avec la même stratégie: les châteaux-forts rouges tiendront-ils encore le coup?

La toute dernière élection

Comme on a vu avec le pays de Galles, les positions europhiles et eurosceptiques se sont superposées au système partisan aux élections européennes du printemps dernier. La grande surprise avait été de voir les partenaires junior des blocs qu’on a vus dans le dernier billet sortir en tête: le Brexit Party pour les couleurs froides et les libéraux démocrates pour les couleurs chaudes.

Résultats régionaux aux élections européennes de 2019

Région Brexit Party LibDems Labour Verts Tories
Nord North East 38,7 16,8 19,4 8,1 6,8
North West 31,2 17,2 21,9 12,5 7,6
Yorkshire and The Humber 36,5 15,5 16,3 13,0 7,2
Midlands East Midlands 38,2 17,2 13,9 10,5 10,7
West Midlands 37,7 16,3 17,0 10,7 10,0
Sud East 37,8 22,6 8,7 12,7 10,3
South East 36,1 25,8 7,3 13,5 10,3
South West 36,7 23,1 6,5 18,1 8,7
Londres London 17,9 27,2 23,9 12,5 7,8

Source: Wikipedia

Si on compare au tableau synthèse, on remarque que:

  • les Midlands et le Sud demeurent les endroits les plus forts pour le Parti conservateur, même lorsqu’il se retrouve reléguer en cinquième place à l’échelle de l’Angleterre;
  • le Sud est encore plus spectaculairement allergique au Parti travailliste que dans les élections générales de 2015 et de 2017;
  • le Sud et Londres plus particulièrement sont encore plus clairement favorables aux libéraux démocrates que le Nord et les Midlands.

Finalement, beaucoup plus de gens se sont permis de voter vert comme le mode de scrutin proportionnel à l’échelle régionale donnait espoir de finalement élire des verts britanniques au Parlement européen. Notons que la population de chaque région détermine la taille de son eurodéputation.

Eurodéputation anglaise depuis le printemps 2019

Brexit Party LibDems Labour Verts Tories Total
Nord 8 3 4 2 17
Midlands 6 2 2 1 1 12
Sud 10 7 1 3 2 23
Londres 2 3 2 1 8

Source: Wikipedia

On constate que, malgré le fait que les partenaires junior de chaque bloc ont mieux réussi à l’élection du printemps, Labour a conservé son avantage sur son partenaire dans le Nord. Les libéraux démocrates ont toutefois devancé Labour à Londres.

Quels résultats seront garants du futur?

Le grand enjeu pour ceux et celles qui tentent de coordonner le vote stratégique est de déterminer quel scénario de base employer pour calculer vers le parti vers lequel l’électorat anti-Brexit ou anti-Tory devrait se tourner.

Plusieurs commentateurs suggèrent que l’élection de 2017 était peut-être une anomalie, que les appuis pour Labour étaient anormalement élevés (plutôt que d’indiquer un nouvel état de fait). D’autres soutiennent que ce serait une erreur de se fier à la toute dernière élection, celle du printemps dernier, parce que le mode de scrutin et les enjeux ne sont vraiment pas les mêmes aux élections européennes.

Que disent les sondages?

YouGov a mené du 17 au 28 octobre un sondage en Angleterre avec un échantillonnage assez grand pour pouvoir présenter des résultats par région. Un deuxième sondage a été mené du 30 octobre au 4 novembre pour Londres seulement.

Les appuis au Brexit Party, jamais très grands à Londres, sont probablement à prendre avec des pincettes ailleurs comme c’était avant l’annonce qu’il abandonnait son statut de parti national à la faveur d’une Leave Alliance unilatérale.

Sondages YouGov de la mi-octobre au début novembre 2019

Région Tories Labour LibDems Brexit Party Verts
Nord North East 26 32 15 19 7
North West 33 30 17 14 5
Yorkshire and The Humber 34 29 16 14 7
Midlands East Midlands 45 22 15 12 6
West Midlands 43 23 14 12 7
Sud East 45 17 18 14 5
South East 41 16 23 12 6
South West 41 17 21 13 7
Londres London 29 39 19 6 5

Source: YouGov

Le changement le plus important se retrouve dans le Nord où, d’après ce sondage, le Parti travailliste serait en train de perdre son pari de maintenir une coalition Leave dans le Nord et Remain à Londres en promettant un deuxième référendum.

En effet, en cette terre censée être rouge foncé, dans deux des trois régions, les conservateurs seraient en avance. Celle où Labour tient encore bon, North East, est la plus petite (son plus grand centre urbain est Newcastle upon Tyne). C’est aussi celle où le Brexit Party réussirait le mieux: on peut supposer que si ses appuis diminuent, North East basculerait dans la colonne des conservateurs comme les deux autres régions du Nord.

L’autre partie de l’Angleterre où on voit du changement est celle où c’était le Parti conservateur qui devait faire le grand écart: le Sud plus partagé sur l’enjeu du Brexit. En 2015 et en 2017, le Sud de l’Angleterre était plus conservateur que les Midlands: ce ne serait plus le cas d’après ce sondage. De plus, les LibDems devanceraient maintenant Labour dans le Sud.

 

Nous avons examiné l’Angleterre découpée en quatre, mais aux fins de l’élection du 12 décembre, elle se divise en 533 circonscriptions où se déroulent 533 courses distinctes. C’est à celles-ci, auxquelles s’ajoutent les 40 du pays de Galles, les 59 de l’Écosse et les 18 de l’Irlande du Nord, que s’attardent les sites de projection, mais surtout les sites de vote stratégique.

On regarde ça dans un prochain billet?

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