Je crois que j’ai trouvé par quel boutte prendre la présentation du système partisan en Angleterre, mais il est maintenant trop tard pour me lancer là-dedans ce soir. On va y aller donc pour deux brèves médiatiques aujourd’hui: le dossier des débats télévisés et ma diète médiatique, pour ceux et celles que ça intéresse.
Débats télévisés
Je l’ai évoqué dans le premier billet de cette série: l’enjeu de qui-est-invité-aux-débats (et je réalise aussi qui-accepte-les-invitations-aux-débats) apparaît dans la campagne britannique, comme on l’a vu aux dernières fédérales.
Dès lundi, avant même que la campagne soit officiellement déclenchée, la chef des libéraux démocrates, Jo Swinson, a fait beaucoup de bruit pour être invitée aux débats des chefs. La chaîne ITV avait annoncé qu’elle n’inviterait que Boris Johnson, premier ministre conservateur, et Jeremy Corbyn, chef travailliste de l’Opposition officielle. Swinson dénonçait la décision comme étant sexiste (#DebateHer) et menaçait d’avoir recours aux tribunaux.
Depuis, le hashtag se propage, mais aucune nouvelle concernant les possibles poursuites. De plus, si Swinson a sauté sur l’invitation de Sky News, la réponse des deux hommes chefs se fait attendre.
Les trois grands réseaux, ITV, Sky News et la BBC, ont clarifié leurs propositions. En gras sont les débats «nationaux». Ça fait un agenda très chargé, principalement pour les chefs des deux principaux partis. Le format des débats hors Angleterre n’a pas encore été annoncé.
Rappelons que l’élection se tient le jeudi 12 décembre! Les propositions de la BBC me semblent complètement débiles, honnêtement:
qui présente un débat un vendredi soir?
qui présente un débat l’avant-veille d’un scrutin?!?
En plus, un peu comme les passages des chefs à Tout le monde en parle, la BBC présentera des émissions spéciales de Question Time. Elles se feront toutefois sous le modèle des town halls aux États-Unis, avec l’auditoire qui pose directement ses questions à un chef à la fois.
Finalement, rappelons que ça ne fait même pas 10 ans qu’il y a des débats télévisés au Royaume-Uni. J’ai pu assister aux premiers directement en Angleterre en 2010. Le premier était hilarant dans la mesure où seul Nick Clegg, le chef des LibDems, était au courant qu’il fallait fixer la caméra en prenant la parole dans un débat télévisé plutôt que regarder l’auditoire dans le studio.
Diète médiatique
Pour ceux et celles qui aimeraient suivre davantage, voici ce que moi j’écoute et je lis:
Notez que je ne suis pas la presse écrite, bien que je lise certains articles suggérés sur Twitter. Je consomme surtout les nouvelles en faisant autre chose, donc en écoutant plutôt qu’en lisant.
Hier, je me suis un peu perdue, alors je reprends mon billet de façon plus cadrée en me limitant au pays de Galles et en reportant à plus tard l’historique du Brexit.
Jeudi dernier, donc, a été annoncé un pacte électoral. Pour le mettre en contexte, commençons par situer la Remain Alliance et le paysage politique gallois.
Remain?
L’opposition Remain—Leave provient directement du langage employé lors du référendum de 2016. On le voit sur ce bulletin de vote bilingue anglais-gallois: les deux options, plutôt que «Oui» et «Non» comme dans les référendums québécois, sont indiquées plus explicitement:
Rester (Remain) membre de l’Union européenne
ou
Quitter (Leave) l’Union européenne
On le verra peut-être dans un éventuel billet, mais ces deux identités se sont superposées aux identités partisanes au point où on se demande si elles ne les ont pas déclassées.
Juin 2016
L’expression «Remain Alliance» est apparue quelques jours après l’annonce des résultats du référendum, le 24 juin à 7h20, heure locale. Oui, ça prend beaucoup (trop) de temps compter des voix au Royaume-Uni.
À titre d’exemple, sur son blogue iGlinavos: Thoughts of a recovering leftist, Ioannis Glinavos appelait dès le 29 juin à une alliance de toutes les forces qui s’opposent au Brexit:
I call for a ‘Remain Alliance’ of everyone wishing this country to remain the Great nation that it is.
This Alliance can fight the election with the single goal of preventing Brexit and saving the Union with Scotland and Northern Ireland. The Liberal Democrats are asking for an election, but not yet for a grand alliance. This is what we need. Labour can defect, or break up, or die, I do not much care so long as its people, MPs and the Unions support the Alliance. Once the Remain Alliance is victorious it can stabilise our relationship with Europe and the regions, restore the economy to normality and then it can resign so elections can take place on traditional party platforms, if this is required.
Surprenamment, même si trois ans se sont écoulés —avec au passage l’élection anticipée désirée, le rejet de deux accords conclus avec l’Union européenne, la prorogation illégale du Parlement, deux reports de la date fatidique— la rhétorique entourant la Remain Alliance n’a pas changé. Elle maintient que le Brexit met en danger tant l’économie britannique que l’intégrité même du Royaume-Uni parce que l’Écosse et l’Irlande du Nord ont voté contre, pour des raisons différentes.
Juin 2019
Le pacte qui nous intéresse s’est fait sous l’auspice de la campagne Unite to Remain, créée à la fin juin cette année. Notons que #UniteToRemain avait été utilisé sur Twitter dans cet esprit dès 2016.
Le pacte regroupe le troisième parti qui prétend au pouvoir (les libéraux démocrates), le parti indépendantiste gallois (Plaid Cymru, le Parti du pays de Galles en gallois) et le Parti vert. Si on les présente toujours dans cet ordre, c’est parce qu’avec ses quatre sièges Plaid Cymru en effectivement plus que les verts à la Chambre des communes: ils n’en ont qu’un seul!
(D’ailleurs, je savais que les verts n’avaient qu’un seul siège, et ce, depuis 2010 seulement: Caroline Lucas dans Brighton Pavilion, une circonscription de hippies, dans l’imaginaire populaire. Je ne savais toutefois pas qu’ils étaient aussi marginaux! En 2017, ils n’ont obtenu que 1,6% des voix à travers le Royaume-Uni.)
La campagne a assuré cet été la collaboration des trois partis lors d’une élection partielle dans Brecon and Radnorshire au pays de Galles (Brycheiniog a Sir Faesyfed en gallois pour les linguistiquement curieux et curieuses). Les libéraux démocrates ont ainsi pu ravir le siège au député conservateur avec près de 1500 voix d’avance. En 2017, ce dernier l’avait emporté par plus de 8000 voix sur les LibDems.
Si l’objectif du pacte à l’élection générale est de répliquer le succès dans 60 circonscriptions à travers l’Angleterre et le pays de Galles, certaines sont déjà détenues par des membres des partis depuis 2017, d’autres par des transfuges qui ont depuis rejoint les LibDems.
Le pacte couvre ainsi 10 circonscriptions détenues par des personnes élues sous la bannière d’un des trois partis de la Remain Alliance, 33 qui devront être ravies aux conservateurs et 12 à Labour (les 5 autres se retrouvent dans des situations particulières étant donné les changements d’allégeance partisane).
Pays de Galles
Angleterre
LibDems
Plaid Cymru
Verts
LibDems
Verts
Déjà détenu depuis 2017
3
3
5
1
6
Gain aux dépens des Tories
1
1
2
27
4
31
Gain aux dépens de Labour
1
4
5
3
4
7
Situations particulières
11
1
52
5
Total
3
7
1
11
40
9
49
Notes:
1 Gain aux dépens d’un conservateur à l’élection partielle cet été. 2 Cinq situations différentes:
une conservatrice passée aux LibDems qui se représente;
une ex-conservatrice qui siège et se représente comme indépendante;
un conservateur qui s’est fait montrer la porte par son parti et ne se représente pas.
Concentrons-nous maintenant sur le pays de Galles.
Le pays des dragons?
(40 circonscriptions)
Comme la Remain Alliance est un rêve depuis la minute où Remain a constaté sa défaite, voyons le paysage politique au pays de Galles à trois moments clés: à ce fameux référendum, aux élections générales anticipées de 2017 et aux élections européennes de cette année.
Au référendum, le pays de Galles, comme l’Angleterre, a voté par une courte majorité pour sortir de l’Union européenne: 52,5% contre 47,5%, une différence de 5 points de pourcentage comme on le calcule aux États-Unis.
À l’élection anticipée de 2017, le pays de Galles a favorisé comme d’habitude Labour, à 49%. Grâce au scrutin uninominal à un tour, toutefois, le Parti travailliste a obtenu 70% des sièges (28). Ils sont tous situés dans des zones qui avaient voté pour sortir de l’Union européenne. Ce sont donc des «Lab-Leave seats», comme on dit dans le jargon.
Avec ses 10%, Plaid Cymru a fait élire 4 député·e·s, un de ses meilleurs scores depuis sa création en 1925. Le reste des sièges sont allés aux conservateurs. On note sur la carte, outre sa popularité dans les zones rurales pas très densément peuplées, que Plaid Cymru revendique la couleur verte comme le Parti vert, un élément de confusion de plus dont on n’avait pas besoin, if you ask me…
Je vous rappelle qu’il n’y a pas d’orange LibDem sur cette carte de 2017 parce que ce n’est que cet été qu’ils ont remporté l’élection partielle grâce à la Remain Alliance.
Finalement, les élections européennes offrent comme un mash-up de ces deux réalités politiques. En effet, elles ont été disputées sur le terrain du Brexit, mais à partir du système partisan. Le système électoral est proportionnel par région électorale. Le pays de Galles forme une seule région à laquelle sont attribués quatre sièges.
Parti
Pourcentage des voix
Eurodéputation
Brexit Party
32,5%
2
Plaid Cymru
19,6%
1
Labour
15,3%
1
Libéraux démocrates
13,6%
Conservateurs
6,5%
Verts
6,3%
Je n’ai pas encore parlé du Brexit Party, le nouveau joujou du toujours aussi obsédé par les caméras Nigel Farage. On y viendra. Je vous laisse deviner où il se situe dans le débat.
L’argumentaire de la Remain Alliance, c’est que, bien que le Brexit Party l’ait emporté par une confortable marge, les forces combinées des partis anti-Brexit sont plus nombreuses.
Coalitions
Pourcentage des voix
Partis pro-Brexit
39,0%
Brexit Party
32,5%
Conservateurs
6,5%
Remain Alliance
39,5%
Plaid Cymru
19,6%
Libéraux démocrates
13,6%
Verts
6,3%
Remain Alliance avec Labour
54,8%
Labour
15,3%
Pas si simple…
Tout d’abord, on note que sans Labour l’avance de la Remain Alliance est vraiment très mince.
Et c’est tout un travail réunir des partis, surtout qu’ils se présentent les uns contre les autres dans la majorité des circonscriptions, au pays de Galles mais encore plus en Angleterre, où 484 circonscriptions ne sont pas couvertes par le pacte!
À cet effet, les plus observateurs et observatrices auront remarqué que seuls 3 des 4 circonscriptions présentement détenues par Plaid Cymru sont incluses dans le pacte de non-agression. C’est parce que les LibDems convoitent la quatrième, Ceredigion, que le parti indépendantiste leur a ravi par un cheveu (104 voix) en 2017.
Très curieuse de voir, donc, comment ça se traduira sur le terrain, ce pacte de non-agression. J’ai entendu plusieurs commentateurs et commentatrices dire que les LibDems s’en sortaient à très bon compte. C’est ce que nous examinerons dans le prochain billet.
Vous pouvez prendre de l’avance en lisant l’analyse du Financial Times, qui s’est fié aux sondages pour déterminer si le pacte de la Remain Alliance risquait d’être décisif ou juste mené aux résultats auxquels on s’attendait déjà.
Grosse nouvelle aujourd’hui en matière de vote stratégique: la Remain Alliance a annoncé un pacte électoral pour 60 circonscriptions en Angleterre et au pays de Galles. On se rappelera qu’avec 533 sièges en Angleterre et 40 au pays de Galles, ça donne un pacte sur un peu moins de 10% des circonscriptions sur le territoire qu’il couvre.
Pour bien comprendre les tenants et aboutissants de ce pacte, il faut connaître les quatre systèmes partisans britanniques. La Remain Alliance, dans le contexte du pacte électoral, ce sont les libéraux démocrates, Plaid Cymru et les verts. Difficiles de parler d’eux sans d’abord parler des deux grands partis de l’alternance du pouvoir. On ne s’en sort pas, enh, avec le scrutin uninominal majoritaire à un tour (first-past-the-post)!
Commençons donc par les trois grands partis qui se présentent dans toute la Grande-Bretagne. Demain, nous pourrons parler du pacte et du système partisan gallois.
Les partis de l’alternance du pouvoir
Sans grande surprise, on trouve au Royaume-Uni un système bipartisan comme celui auquel on a été habitué au Québec et au Canada jusqu’à ce que la CAQ le fasse éclater l’an dernier. Depuis les années 1920, le pouvoir a toujours été détenu par soit le Parti conservateur (Tories) ou le Parti travailliste (Labour), sauf entre 2010 et 2015, où les Tories étaient en coalition avec les libéraux démocrates.
On ne peut toutefois pas parler des «vieux partis» parce que Labour n’a été créé qu’en 1900. Durant la deuxième moitié du XIXe siècle, c’était plutôt avec les libéraux que les conservateurs s’échangeaient le pouvoir.
Légende Conservateurs (en bleu), incluant les partis tory (1832), conservateur (à partir de 1835), libéral conservateur (1847–59), libéral unioniste (1886–1910) et nationalistes (1931–45) Libéraux/libéraux démocrates (en orange), incluant les partis whig (jusqu’au milieu du XIXe siècle), libéral (du milieu du XIXe siècle à 1979), libéral national (1922), libéral indépendant (1931), l’alliance entre le Parti social-démocrate et les libéraux (1983–87) et les libéraux démocrates (depuis 1992) Travaillistes (en rouge) Autres partis (en gris)
Comme au fédéral, les conservateurs sont bleus et à droite (surtout économiquement). Le Parti travailliste, comme son nom l’indique, a été fondé pour représenter les travailleurs et travailleuses, ce qui rappelle plutôt la rhétorique du Nouveau Parti démocratique au Canada. Comme lui, il a de forts liens organisationnels avec les syndicats. Toutefois, sa couleur est le rouge (et son logo, une rose).
Rouge foncé foncé
Labour ne s’est pas toujours collé à ses racines. Par exemple, avec le New Labour, Tony Blair a repris le pouvoir en 1997 après plus d’une décennie de gouvernements conservateurs, mais a aussi entraîné son pays dans l’impopulaire guerre en Irak.
Finies les ambiguïtés avec Jeremy Corbyn à la tête du parti: Labour est présentement résolument de gauche (certains disent d’extrême gauche), et fait campagne sur la re-nationalisation de certains secteurs de l’économie comme les trains.
La trajectoire de Corbyn, si vous n’en avez pas entendu parler, rappelle beaucoup celle de Bernie Sanders aux États-Unis. Ce sont deux vieux hommes blancs ouvertement socialistes, en politique depuis plus longtemps que je ne suis sur terre (Corbyn au sein du parti, Sanders comme indépendant), qui ont été portés par un mouvement important de jeunes militant·e·s.
Chez Labour, ce mouvement a un nom précis, Momentum, que les adversaires du Parti travailliste utilisent pour distancer le parti actuel de celui pour lequel les gens sont habitués de voter (ils parlent de leurs adversaires comme étant des «Momentum candidates» plutôt que des «Labour candidates»).
Au chapitre des différences avec Sanders, Corbyn a gagné, et même re-gagné ses courses à la chefferie. Il a aussi été accusé de traiter à la légère des plaintes d’antisémitisme au sein de son parti (alors que Sanders est un juif non croyant).
Défiant tous les prognostics, Corbyn a fait une bonne campagne en 2017 contre la très mauvaise campaigner Theresa May. Il l’a privée non seulement de la plus confortable majorité qu’elle recherchait, mais lui a carrément retiré celle qu’elle avait. Cette fois, il affronte le kid kodak Boris Johnson, beaucoup plus à l’aise devant les foules et les caméras.
Le troisième parti qui aspire au pouvoir
(mais qui est en fait la troisième opposition)
Les libéraux démocrates (LibDems) forment le troisième parti en Angleterre, mais comme le Parti nationaliste écossais (Scottish National Party ou SNP) détient beaucoup plus de sièges, c’est en fait la troisième opposition. On voit dans la représentation ci-dessous de la Chambre des communes qu’il y a plus de points jaunes (SNP) dans le centre à droite que de points oranges (LibDems) à leur gauche. (Attention, les points ocre collés sur les bleus représentent le Parti unioniste démocrate, un parti nord-irlandais.)
De tradition libérale, les LibDems devraient être, comme le Parti libéral du Canada, le parti du centre entre les conservateurs et le parti des travailleurs et travailleuses (le Nouveau Parti démocrate). Toutefois, la répartition gauche—droite des partis peut être fluide, comme on l’a vu à l’élection fédérale de 2015 où le libéral Justin Trudeau a dépassé le néo-démocrate Thomas Mulcair par sa gauche.
Quand j’étais en Angleterre, pour les élections de 2010, les LibDems étaient en fait le plus à gauche des trois grands partis (c’était avant la montée du SNP). Ils ont obtenu 23% des voix mais, gracieuseté du système uninominal à un tour, moins de 9% des sièges, soit 57. Ils détenaient néanmoins la balance du pouvoir, ce qui s’est avéré un cadeau plus qu’empoisonné.
De retour après la quasi-extinction
Le parti a signé son arrêt de mort en entrant en coalition avec les conservateurs pour chasser du pouvoir Labour (sous sa version New). Ils avaient obtenu dans le cadre des négociations un référendum sur la réforme du mode de scrutin qu’ils ont rapidement perdu à plate couture (la propagande du Non était extrêmement efficace).
Partenaires juniors de leur coalition, les LibDems se sont ensuite promptement fait enfoncer dans la gorge une hausse faramineuse des droits de scolarité, qui ont doublé ou triplé selon les universités. Le gros problème, c’est qu’ils avaient fait campagne précisément sur un gel des droits de scolarité. Sans grande surprise, à l’élection suivante en 2015, ils ont mangé une volée, perdant 49 sièges.
Les LibDems doivent leur renaissance à leur position inébranlable pour le maintien du Royaume-Uni au sein de l’Union européenne (Remain). Ils ont obtenu de bons résultats aux élections européennes tenues au printemps dernier et accueilli huit transfuges provenant tant du Parti conservateur que du Parti travailliste pour leur opposition ferme au Brexit.
Leur nouvelle chef, Jo Swinson, veut se positionner comme candidate au poste de première ministre notamment pour être invitée aux débats des chefs, ce qui n’est pas chose faite. Ce sera un des dossiers à suivre.
Plan d’attaque
Maintenant qu’on a vu les LibDems, on pourra parler de la Remain Alliance. On ira ensuite voir la division du vote de l’autre côté avec le Brexit Party. Puis, on se dirigera vers le nord pour examiner l’enjeu d’un autre référendum: celui d’un #IndyRef2.
Je ne sais pas si on arrivera un jour à l’Irlande du Nord comme je ne connais absolument rien à son système partisan. Par contre, j’ai entendu qu’il y a un pacte électoral là aussi, avec Sinn Féin qui ne présentera pas de candidatures dans certaines circonscriptions. Une nation à la fois…
Aujourd’hui, le premier ministre du Royaume-Uni, Boris Johnson, s’est rendu chez la reine pour déclencher officiellement une campagne électorale qui doit régler la question du Brexit.
Je dois avouer que je suis d’assez près les derniers développements de Brexit, beaucoup plus que je n’ai suivi la campagne électorale fédérale au Canada. Mon attachement pour la politique britannique vient du fait que j’ai habité en Angleterre deux ans et demi et que, depuis, j’y retourne chaque année voir mes amis.
Ce qui me semble intéressant pour Prime à l’urne, ce sont les efforts mis en place pour diriger le vote stratégique. Il y a présentement trois sites différents qui disent à l’électorat pour qui voter dans leur circonscription pour battre les conservateurs et freiner le Brexit (surprise surprise: ils ne disent pas tous la même chose!).
Ça me semble d’intérêt pour le lectorat de Prime à l’urne comme l’enjeu qui revient périodiquement au Québec et au Canada dans une forme similaire puisque nous avons hérité du même système de vote uninominal à un tour (first-past-the-post en anglais).
En guise d’introduction, voici donc la composition de la Chambre des communes du Parlement britannique. Le prochain billet s’attaquera au complexe système de partis: avec neuf partis représentés au Parlement, c’est comme s’il y avait deux Blocs (en Écosse et au Pays de Galles) en plus du système de partis provincial du Québec qui ne s’aligne pas parfaitement avec les partis fédéraux (en Irlande du Nord).
Quatre pays en un
Pour rappel, donc, il y a quatre nations constitutives (countries en anglais) au Royaume-Uni, qui ne s’appelle pas comme ça pour rien. Elles sont réparties sur les deux îles britanniques. À l’est, sur l’île de la Grande-Bretagne, on retrouve l’Angleterre et le Pays de Galles, unis depuis le Moyen Âge, ainsi que l’Écosse, qui s’est ajoutée en 1707.
L’Irlande, sur l’île voisine, a fait partie de l’Union de 1800 à 1921, bien qu’elle avait été sous domination anglaise bien avant. L’île a alors été divisée, avec les deux tiers de la province du nord, l’Ulster, demeurant au sein du Royaume-Uni. La République de l’Irlande, dans la partie sud de l’île, a été déclarée en 1949.
Les années 1970 ont été marquées par une guerre civile en Irlande du Nord, les «troubles» (bel euphémisme). La paix n’a vraiment été rétablie qu’en 1998 avec l’accord du Vendredi saint (Good Friday Agreement). Il y a consensus sur le fait qu’un Brexit sans accord remettait en question cette paix durement gagnée.
Étant cette histoire, on comprend que le système de partis en Irlande du Nord est complètement distinct de celui qu’on retrouve dans les trois nations constitutives sur l’île de Grande-Bretagne.
UK650
Alors voilà pour la géographie et un peu de l’histoire du Royaume-Uni. Maintenant, voyons sa démographie. Les 65 millions de Britanniques sont divisés entre 650 circonscriptions.
Toutefois, la répartition entre les quatre pays est très inégale, étant donné la répartition de la population.
Pays
Nb de circonscriptions
Angleterre
533
Écosse
59
Pays de Galles
40
Irlande du Nord
18
La capitale, Londres, à près de 9 millions d’habitant·e·s, est plus populeuse que toute l’Écosse, à 5 millions.
Pour éviter les distorsions visuelles causées par les très grandes circonscriptions avec une faible densité de population, on peut représenter la carte électorale non pas sur une carte géographique, mais à l’aide d’un cartogramme. Tant Radio-Canada que Le Devoir l’avaient fait pour l’élection provinciale de 2018, mais l’exercice n’a malheureusement pas été repris pour la campagne fédérale qui vient de se terminer.
Au Royaume-Uni, ça peut donner ceci lorsqu’on regarde les résultats l’élection anticipée de 2017 durant laquelle Theresa May a perdu sa majorité:
À gauche, on trouve les résultats supposés sur la carte du Royaume-Uni. À droite, c’est plutôt un cartogramme où chaque hexagone représente une circonscription. On retrouve la tache rouge avec un peu d’orange en-dessous de la gauche en beaucoup plus gros à droite: c’est Londres. On voit également à droite que l’Écosse jaune n’est pas beaucoup plus populeuse que le Yorkshire rouge, petite tache tout au nord de l’Angleterre sur la carte de gauche.
Alors c’est quoi tous ces partis aux couleurs difficiles à distinguer?
Petit spécial pour les élections fédérales: vous avez peut-être lu qu’Andrew Scheer prétend que Justin Trudeau devra démissionner si son parti, le Parti libéral du Canada, n’obtient pas le plus grand nombre de sièges lundi prochain lors du scrutin fédéral:
Dans l’histoire moderne de la politique canadienne, il est clair que le parti qui a le plus de sièges forme le gouvernement et qu’un premier ministre qui va en élection et en ressort avec moins de sièges qu’un autre parti démissionne. C’est la convention1.
Cette même situation s’est présentée l’automne dernier au Nouveau-Brunswick. Pour nous éclairer sur les conventions constitutionnelles, le Maître Marchi avait préparé une petite leçon de droit constitutionnel. Comme il disait ce matin sur Facebook:
Remplacez «lieutenante-gouverneure» par «gouverneure-générale», Bryan Gallant par Justin Trudeau, Blaine Higgs par Andrew Scheer, et tout y est2.
Alors c’est par ici pour la première partie de La leçon de droit constitutionnel de Maître Marchi:
Je ne peux pas vous dire à quel point je suis heureuse du fait que Catherine Fournier, députée de Marie-Victorin (à Longueuil), ait quitté le Parti québécois! Non non, ce n’est pas ce que vous croyez!
Je ne dis pas ça pour des raisons partisanes: c’est parce qu’on peut maintenant affirmer sans réserve que le PQ est le parti des régions (ou un parti de régions).
Les détours à prendre pour qu’une analyse soit rigoureusement exacte —c’est-à-dire contienne toutes les nuances nécessaires pour représenter la situation sans généralisation hâtive— m’ont paralysée au point que j’ai trouvé dans mes dossiers deux brouillons de billets sur la répartition géographique des voix: un avant et un après avoir reçu les résultats du scrutin! Et bien sûr, aucun des deux n’a été publié.
Je remercie donc Catherine du fond du cœur d’avoir initié le déblocage qui fait que, ce soir, je sors de mon hibernation post-électorale et que je vous parle finalement des dix régions sociologiques de Pierre Drouilly. Je ferai toutefois avant un détour par un article de la Presse canadienne sur le programme du Parti québécois qui était malheureusement passé plutôt inaperçu cet été.
Disparu (pour l’instant) des grandes villes
Je dois l’avouer: je n’ai pas immédiatement fait le lien en entendant l’annonce. C’est plutôt en voyant ce meme mis en ligne par une page Facebook très partisane pro-Québec solidaire:
C’est là que j’ai réalisé que l’astérisque venait de disparaître, qu’on pouvait le dire de manière toute simple: le Parti québécois est présentement le parti des régions.
Heureusement, le parti l’avait vu venir et avait prévu le coup dans son programme. C’était ce que titrait la Presse canadienne au regard de son analyse des «données lexicales» de celui-ci: «Le PQ place l’État et les régions d’abord et l’indépendance se fait discrète»1.
Pour ce projet, la stagiaire en journalisme de données de la Presse canadienne, Shannon Pécourt, avait compté le nombre d’occurrences de chaque mot dans le programme. (Pas à la mitaine, là, sans doute avec un logiciel d’analyse qualitative assistée par ordinateur ou logométrique.)
L’article relevait la phrase prémonitoire suivante, que le parti a par ailleurs utilisé à plusieurs autres endroits dans ses communications: «Le Parti Québécois (sic) a toujours été et demeure le parti des régions»2.
Au palmarès des mots les plus souvent employés, la Presse canadienne a trouvé que «région» et «régions» arrivaient respectivement au 12e et au 13e rangs. (Oui oui, ils ont été comptés séparément…)
Le résultat avait surpris le politologue consulté, Thierry Giasson, de l’Université Laval. Il y a vu une démonstration du fait que les péquistes avaient conscience des difficultés qui les attendaient: «Ils savent qu’ils vont probablement avoir des luttes serrées en Abitibi, dans le bas du fleuve, dans Lanaudière, etc.» Finalement, le PQ les a toutes perdues sauf Rimouski et Joliette, où Harold Lebel et la vice-chef Véronique Hivon ont respectivement tenu le coup.
Le repli de la députation péquiste dans les régions concorde tout à fait avec l’analyse du sociologue Pierre Drouilly en 2012 dans son article «La structure des appuis aux partis politiques québécois, 1998-2008». C’est donc l’occasion pour moi de finalement vous parler de comment il propose de diviser le Québec pour les fins d’analyse électorale.
Du journalisme de données?
Je me permets avant une courte aparté. L’article de la Presse canadienne est passé beaucoup plus sous le silence que je ne l’aurais cru, surtout au sein de la communauté des tripeux de données électorales. Toutefois, j’ai souri tantôt en relisant le terme «données textuelles».
Ainsi, à titre de digital humanist, je trouve l’analyse proposée extrêmement superficielle: ce n’est normalement que le point de départ en stylométrie ou en topic modelling. Les occurrences de mots de la même famille n’ont même pas été combinés, malgré le fait que les notes méthodologiques précisent que «[l]’analyse lexicale implique ensuite de regrouper les mots significatifs selon différents thèmes auxquels ils sont reliés»!
Saluons tout de même la présence de notes méthodologiques, encore beaucoup trop rares en journalisme de données. J’ai également apprécié le fait que le programme ait été analysé sur le plan strictement textuel, sans interférence provenant de l’analyse des considérations tactiques. (Là, c’est probablement la littéraire qui parle.)
Les dix régions du Québec
J’ai déjà parlé de l’article de Drouilly en discutant d’abstention. J’ai aussi mentionné au passage sa proposition principale, la division du Québec en dix régions sociologiques, en présentant les trois «régions» de Montréal dans le billet qui abordait la vidéo de la campagne de Québec solidaire dans Jeanne-Mance—Viger.
Revoici les 27 circonscriptions montréalaises de la carte de 2017 réparties dans les trois régions sociologiques de Drouilly: l’Ouest de Montréal anglophone en rouge, l’Est francophone en bleu et le Nord-est allophone en jaune.
Sources: «Fichiers de la géométrie des circonscriptions électorales du Québec (2017)». Élections Québec. Consulté le 26 septembre 2018; Drouilly, Pierre. «La structure des appuis aux partis politiques québécois, 1998-2008». Dans Les partis politiques québécois dans la tourmente: Mieux comprendre et évaluer leur rôle, 131‑68. Québec: Presses de l’Université Laval, 2012.
Le Québec hors de l’île de Montréal est donc divisé en sept régions. Les banlieues métropolitaines sont séparées en deux régions parce que sinon, elles formeraient une région beaucoup trop grosse. Drouilly les appelle les Basses-Laurentides et la Montérégie, bien que ses régions sociologiques ne correspondent pas parfaitement aux regroupements administratifs du même nom.
Le Grand Montréal compte ainsi cinq régions, il en reste cinq pour le reste du Québec.
La Capitale-Nationale et Chaudière-Appalaches sont réorganisés en «Québec réfractaire» pour la ville de Québec et ses banlieues (c’est le terme à Drouilly, pas le mien!) et en «Québec tranquille» pour la Beauce. Ensuite, si on simplifie, l’Outaouais et l’Estrie sont réunis en un «Québec frontalier», puis le Centre-du-Québec et la Mauricie donnent le «Centre du Québec» (très original, je sais).
Tout le reste du Québec, donc toutes les régions éloignées, se retrouve dans le «Québec septentrional». Si vous ne vous souvenez plus de votre géographie secondaire II, «septentrional», c’est l’adjectif qui veut dire «du Nord».
Le Québec septentrional
Pour décrire le Québec septentrional, Drouilly souligne «le niveau plus élevé de politisation qu’on y rencontre, plus élevé que pour des populations ailleurs au Québec qui ont un niveau d’éducation semblable». En revenant sur l’histoire économique et sociale des régions éloignées, Drouilly explique pourquoi, en ajoutant qu’elles sont «une terre fertile pour le PQ: forte présence ouvrière et longue histoire de luttes sociales»3. Certaines régions, comme la Côte-Nord et le Saguenay—Lac-Saint-Jean, deviennent des châteaux forts du parti dès son entrée en scène.
En conclusion de son article, Drouilly fait remarquer qu’à l’élection de 2007, qui avait porté le Parti libéral du Québec au pouvoir et relégué le PQ en Deuxième Opposition officielle derrière la défunte Action démocratique du Québec (ADQ), le PQ en était à ses derniers retranchements: «il n’en reste [de l’alliance politique des années 1970] que les milieux populaires de l’Est de Montréal, les régions défavorisées du Québec septentrional et le groupe déclinant des boomers banlieusards»4.
À l’automne dernier, ce qui restait de péquiste dans les milieux populaires de l’Est de Montréal a déserté pour Québec solidaire (Rosemont et Hochelaga) et pour la Coalition avenir Québec (Pointe-aux-Trembles et Bourget). On ne sait pas si ce sont les «boomers banlieusards» de Longueuil qui ont élu Catherine Fournier ou un autre groupe démographique, mais il n’y avait qu’elle qui avait survécu au tsunami caquiste dans le 450.
Il ne manque donc plus qu’à Véronique Hivon de démissionner pour que le Parti québécois soit entièrement retranché dans le Québec septentrional. Toutefois, comme montréalo-centriste, je me permets de considérer Joliette comme étant en région, donc je n’ai pas de problème à affirmer sans ambage que le Parti québécois n’est qu’un parti de régions.
Réalignement?
Après avoir décrit la situation en 2007, Drouilly avait émis une hypothèse: cette élection aurait marqué un passage «d’un système d’opposition “fédéraliste/souverainiste”, à un système d’opposition “fédéraliste/autonomiste” qui nous aurait ramenés aux années 1950»5. Il rejette toutefois aussitôt cette hypothèse. En effet, dès l’élection suivante, celle de 2008, l’ADQ s’est effondrée, rétablissant le bipartisme qui positionne libéraux contre péquistes depuis la création du parti de René Lévesque.
On le sait maintenant, Drouilly avait tort de voir dans l’élection de 2008 un rétablissement à la situation initiale. On assiste bel et bien depuis une quinzaine d’années à un réalignement du système politique sur un axe qui reste toujours à définir (droite/gauche? identitaire/ouvert?).
Une chose demeure certaine: nous n’assistons pas à un retour à l’opposition des années 1950 entre fédéralistes et autonomistes! Les lignes de fracture ont bougé, et la CAQ a réussi son pari de reléguer le débat constitutionnel aux calendes grecques.
À mon humble avis, c’est Peter Taylor dans le Beaverton, un site de nouvelles satirique pan-canadien, qui a le mieux remis en perspective l’élection de lundi1:
After decades of claiming to be a society distinct from the rest of North America, Quebec went and did the same damn thing as Ontario and the USA […] electing to a majority a party of xenophobic right wing populists2.
Certes, la Coalition avenir Québec (CAQ) est moins ouvertement xénophobe que Donald «Mexicans are rapists»3 Trump. On note toutefois la même frustration à être contraint par les tribunaux dans l’ouverture du premier ministre désigné François Legault à utiliser la clause dérogatoire, à l’instar du premier ministre ontarien Doug Ford.
En Ontario, la manœuvre avait pour objet de réduire le nombre de sièges au conseil municipal de Toronto4. Au Québec, Legault a soulevé dès sa première conférence de presse, au lendemain de l’élection, la possibilité de s’en servir pour interdire aux gens en position d’autorité de porter des symboles religieux5.
Société distincte?
Si le Québec se joint à ses voisins anglophones en élisant un populiste de droite, il se distingue néanmoins en ce que son nouveau premier ministre n’appartient pas à l’un des deux partis qui s’échangent le pouvoir depuis les années 70.
Ça n’en fait pourtant pas une société distincte à l’échelle occidentale: on a observé la chute des «vieux partis» en France, en Allemagne, en Suède et aux Pays-Bas. Le phénomène n’est néanmoins pas universel en Occident. Il existe notamment des contre-exemples anglo-saxons.
En Australie et en Nouvelle-Zélande, les partis travaillistes (Labour Party), partis traditionnels du centre-gauche, ont augmenté leurs appuis aux dernières élections. Au Royaume-Uni, tant les travaillistes que les conservateurs ont obtenu une plus grande part du vote populaire, quoique seuls les travaillistes ont augmenté leur nombre de sièges.
Où s’inscrit l’élection québécoise dans le contexte occidental? Ce qui nous semble sans précédent le demeure-t-il lorsqu’on compare notre nouvelle donne à la situation en France et en Allemagne, par exemple?
Dans cet esprit, j’aborderai tout d’abord la monté de l’extrême droite et la chute des partis traditionnels dans ces deux pays européens. Ensuite, je vous présenterai ce que les politologues ont à dire sur la reconfiguration de l’espace politique en France. Pour conclure, j’amorce une analyse analogue de la situation au Québec.
Montée de l’extrême droite?
Marine Le Pen, chef du parti de l’extrême-droite en France —le Front national récemment renommé Rassemblement national— a salué la victoire caquiste sur Twitter en partageant une capture d’écran d’un article du Parisien:
Contrairement à ce que serinaient les libéraux immigrationnistes béats, les Québécois ont voté pour moins d’immigration. La lucidité et la fermeté face au défi migratoire est le point commun des élections de quasiment tous les pays du monde confrontés à cet enjeu6.
Legault n’a toutefois pas apprécié l’accolade virtuelle du personnage honnis de la politique française:
Je rejette toute association avec Mme Le Pen. Les Québecois sont accueillants et généreux. Nous allons accueillir des milliers d’immigrants chaque année, mais nous allons le faire d’une façon qui favorise l’intégration. On va en prendre moins, mais on va en prendre soin7.
On suppose que la CAQ ne s’imagine pas non plus cousine du parti d’extrême-droite allemand Alternative für Deutschland (Solution de rechange pour l’Allemagne), qui avait atrocement conjugué natalisme et xénophobie dans cette publicité sur fond de musique rock:
Merkel sagt, wir brauchen die Einwanderer. Wir sagen: „Neue Deutsche?“ Machen wir selber8.
On pourrait ajouter le Brexit aux manifestations de la montée de l’extrême-droite en Europe, quoique les résultats ont été presque aussi serrés qu’au référendum québécois de 1995.
Je ne crois toutefois pas que l’élection de la CAQ participe du même phénomène. D’après Xavier Camus, l’extrême-droite québécoise serait plutôt au parti Citoyens au pouvoir, qui a obtenu 0,34% grâce à ses 56 candidatures9.
Chute des partis traditionnels
Là où le résultat de lundi s’inscrit dans une mouvance occidentale, selon moi, est en matière de chute des partis traditionnels.
Un parti de droite —l’Action démocratique du Québec (ADQ), remplacée par la CAQ, en mauve— et ensuite un parti de gauche —Québec solidaire, en orange— ont émergé avec suffisamment d’importance sur la scène provinciale pour mener à la chute des partis centristes.
En 2007, l’ADQ a été élue opposition officielle, reléguant le Parti québécois (PQ) à la troisième place. C’était une première brèche. Plus d’une décennie plus tard, Québec solidaire sortait des confins de l’est de Montréal et faisait élire un total de 10 personnes députées, soit une de plus que le PQ.
Au Québec, les partis centristes que sont le PQ (centre-gauche) et le Parti libéral du Québec (centre-droit) avaient également la particularité d’être les garants des pôles opposés —respectivement souverainiste et fédéraliste— sur la question nationale, qui a été centrale depuis la première élection du PQ.
En Allemagne, les partis traditionnels sont, au centre-gauche, les sociaux-démocrates (Sozialdemokratische Partei Deutschlands ou SPD) et, à droite, les chrétiens démocrates d’Angela Merkel (la Christlich Demokratische Union ou CDU) et son pendant bavarois, la Christlich-Soziale Union ou CSU.
Il existe également un parti de centre-droit, les libéraux démocrates (Freie Demokratische Partei ou FDP), mais il n’a jamais obtenu plus de 15% depuis 1949.
L’Allemagne utilise un mode de scrutin proportionnel mixte compensatoire avec un seuil minimal de 5% pour obtenir des sièges. Cela signifie que tous les partis qui obtiennent au moins 5% des voix reçoivent une proportion de sièges presque identiques à la proportion des voix obtenues.
C’est le système que les partis d’opposition, incluant la CAQ, s’étaient engagés à implanter.
L’utilisation d’un mode de scrutin proportionnel depuis 1949 (du moins en Allemagne de l’Ouest) n’a pas empêché l’alternance du pouvoir entre deux partis de gouvernement, parfois alliés à des petits partis, d’autres fois ensemble en «grande coalition».
Dans le graphique ci-dessous, la ligne noire montre les résultats combinés des chrétiens démocrates et chrétiens sociaux (CDU/CSU) et la ligne rouge, les résultats des sociaux démocrates (SPD). Pour ces partis, les pourcentages représentent tant la proportion du vote populaire que la proportion de sièges.
Les libéraux démocrates (ligne jaune) n’ont pas atteint le seuil de 5% en 2013 et donc n’ont pas eu de députation fédérale pendant quatre ans, mais ils sont de retour depuis 2017.
En arrière-plan, on retrouve les couleurs des coalitions. En haut, on constate qu’elles ont toujours inclus au moins un des deux mêmes grands partis. Dans le dégradé qui suit en descendant, on voit les couleurs de leur(s) partenaire(s). Les noms des partis participant au gouvernement sont également indiqués au milieu du graphique.
On constate que les deux grands partis chutent tranquillement depuis le milieu des années 1980, comme au Québec. Au final, en 2017, CDU/CSU ont obtenu leur pire score depuis 1953 et le SPD, depuis au moins 1949.
Contrairement au Québec, cet effondrement des grands partis ne s’est toutefois pas traduit par la prise de pouvoir d’un autre parti. Alternative für Deutschland, l’extrême-droite, est néanmoins arrivé troisième (ligne bleue).
Des partis de gouvernement devenus tiers partis, on en trouve toutefois en France.
Fin du bipartisme
En France, les partis traditionnels sont le Parti socialiste ou PS (centre-gauche) et une entité qui a beaucoup changé de nom au cours des dernières années, maintenant appelée Les Républicains (droite). L’emblème du PS est la rose, tout comme le Labour Party au Royaume-Uni.
Comme en Allemagne, le centre-droit est représenté en France par de plus petits partis comme le Mouvement démocrate (MoDem) de François Bayrou et l’Union des démocrates et indépendants (UDI) de Jean-Louis Borloo.
Les élections françaises se font en deux tours. Toutes les candidatures se présentent au premier tour. Au second tour de l’élection présidentielle, l’électorat n’a le choix qu’entre les candidatures qui se sont classées première et deuxième au premier tour10.
La fracassante apparition du Front national (FN) sur la scène nationale en France s’est faite en 2002: Jean-Marie Le Pen, le père de l’autre, avait causé la surprise en dépassant le candidat socialiste au premier tour de la présidentielle (16,9% contre 16,2% pour Lionel Jospin).
Quinze ans plus tard, c’était au tour de sa fille d’atteindre le second tour. Cette fois, c’était pris pour acquis depuis environ un an que le FN y serait11. Comme au Québec, donc, le parti de droite émergent a obtenu des succès électoraux avant que la gauche de la gauche n’en obtienne.
Le système présidentiel français, comme celui des États-Unis, permet à des personnes de se présenter sans être clairement affiliées à un parti politique. Ainsi, la gauche de la gauche était représentée aux dernières présidentielles françaises par Jean-Luc Mélenchon.
Candidat de la coalition Front de gauche à la présidentielle de 2012, Mélenchon propose plutôt en 2017 une «candidature hors parti» en lançant le mouvement France insoumise (FI)12. C’est davantage une posture qu’une réalité concrète puisque FI est en fait inscrit comme parti politique13.
En avril 2017, aucun des deux partis de l’alternance du pouvoir en France, le Parti socialiste et la droite caméléon, n’a atteint le second tour.
Comme on peut le constater dans le graphique ci-dessous, en mars 2017, à un mois du scrutin, Mélenchon (ligne rouge) a dépassé dans les sondages le candidat socialiste, Benoît Hamon (ligne rose). Il finira loin devant au premier tour (20% contre 6%), à quelque 150000 voix de François Filion (ligne bleue), le candidat de centre-droit (sous l’étiquette Les Républicains).
Celui qui a finalement remporté la présidentielle en devançant Marine Le Pen (ligne noire) au premier et au deuxième tour est un autre candidat hors parti: Emmanuel Macron (ligne jaune), qui a obtenu l’appui des centristes Bayrou et Borloo.
À un an des élections présidentielles, Macron a fondé le mouvement En marche (remarquez les initiales EM qui sont reproduites). Juridiquement, il s’agit d’un parti politique qui s’appelle Association pour le renouvellement de la vie politique14.
Nouvelle donne
Certains ont qualifié Macron d’«extrême-centre»15, d’autres l’ont situé dans le quadrant pro-immigration (ou cosmopolite), libertarien, productiviste et néolibéral d’un plan avec deux axes.
Pour résoudre la question, les politologues peuvent examiner l’enquête post-électorale 2017 French Election Study (FES 2017). Bien évidemment, les mêmes données peuvent se prêter à plusieurs interprétations différentes.
Pierre Bréchon y voit la preuve que le clivage gauche—droite n’est pas mort, puisque Macron se situe effectivement au centre.
Par contraste, Florent Gougou, l’un des auteurs de la FES 2017, et Simon Persico y voient une reconfiguration de l’espace politique français en deux axes, le retour du «quadrille bipolaire» de Duverger.
Dans ce nouveau système multipartite, plutôt que d’avoir uniquement un axe droite—gauche, il y aurait deux axes:
axe horizontal (sur le graphique):
le pôle nationaliste (anti-immigration) et authoritaire s’opposerait au pôle cosmopolite (pro-immigration) et libertarien;
axe vertical (sur le graphique):
le pôle productiviste et néolibérale (pro-mondialisation) —qu’on pourrait aussi appeler la droite économique— s’opposerait au pôle écologiste et interventionniste (anti-mondialisation), qu’on associe à la gauche économique.
Dans l’enquête post-électorale, six valeurs ont été mesurées chez les personnes sondées:
autoritarisme;
écologisme;
ethnocentrisme;
mondialisation économique;
libéralisme économique;
conservatisme social.
Le positionnement de l’électorat de chaque personne candidate a permis de la situer dans l’espace politique.
Notons que les lignes de fracture identifiées par Gougou et Persico occultent le clivage eurosceptique—europhile que soulignent les journalistes. À cet effet, une proposition pour promouvoir les symboles de l’Union européenne serait devenue l’année dernière:
symbolique à l’heure où le clivage gauche-droite perd de sa vigueur et que certains voudraient lui substituer celui entre pro et anti-européens16.
Mon amie Claire me soulignait que ces questionnements par rapport à l’entité au-dessus n’est pas sans rappeler la problématique des relations entre le Québec et le Canada.
Un quadrille bipolaire québécois?
Gougou et Persico sont parvenus à la conclusion d’un retour au quadrille bipolaire —plutôt qu’une tripolarité ou juste quatre blocs— en posant deux questions qu’on pourrait également se poser au Québec:
1. Est-ce que Macron est une mutation du pôle traditionnel de gauche ou un nouveau pôle centriste libéral?
Réponse: Macron a développé un nouveau pôle distinct de la gauche traditionnelle.
2. Est-ce que Fillon et Le Pen représentent deux pôles distincts de la droite ou est-ce que qu’ils correspondent au même, mais à des degrés divers?
Réponse: Le Pen et la droite traditionnelle ne correspondent plus au même pôle.
Au Québec, ces questions deviendraient:
1. Est-ce que la CAQ est:
a. une nouvelle mouture de la droite traditionnelle?
b. un nouveau pôle ni à gauche, ni à droite?
2. Est-ce que le PQ et Québec solidaire représentent:
a. deux pôles distincts de la gauche (souverainiste)?
b. le même pôle, mais à des degrés divers?
Les réponses à ces questions permettront de savoir combien de pôles on trouve au Québec: grosso modo, est-ce, d’après leur électorat, que la CAQ et le PLQ tirent dans la même direction? même chose pour le PQ et QS?
Pour terminer, voici en vrac quelques observations qui soutiennent chacune de ces hypothèses.
1a. La CAQ est une nouvelle mouture de la droite traditionnelle.
La CAQ a accusé le PLQ d’implanter son programme économique au cours du dernier mandat:
Pour le moment, disons que le Parti libéral a pigé quelques idées dans le programme de la CAQ
2b. Le PQ et Québec solidaire représentent le même pôle, mais à des degrés divers.
Les personnes qui militent pour la convergence entre ces deux partis sont certainement d’avis que leurs positionnements sont suffisamment proches:
C’est sur la base de cette entente pour le bien commun et pour en assurer l’application que les deux partis décident de maximiser le nombre de leurs candidats qui peuvent être élus, donc de faire des alliances dans un certain nombre de circonscriptions. Et comme ils sont souverainistes, un de leurs objectifs est de maximiser le nombre d’élus souverainistes à l’Assemblée nationale.
Faudrait-il également intégrer la dimension fédéraliste—souverainiste? Espérons que nous aurons un sondage post-électoral pour nous aider à démêler tout ça!
Données sources
Vous pouvez consulter le tableur qui a permis de faire le graphique sur Google Spreadsheets.
À Tout le monde en parle, hier, Guy A. Lepage a commencé son entrevue avec les analystes politiques en leur demandant:
Le PLQ et la CAQ se chicanent ensemble, et le PQ et Québec solidaire se chicanent de leur bord. Est-ce qu’il y a deux courses parallèles entre deux partis qui pourraient former le gouvernement et deux partis qui voudraient former l’opposition?1
Comme les prévisionnistes Éric Grenier et Philippe J. Fournier, je m’intéresse davantage à la deuxième:
— Again, we’re talking about the bottom of the race, we gotta talk about the top!
Bien évidemment, j’ai le point de vue très particulier d’une personne qui a analysé le vote solidaire pour voir où il serait possible d’éventuellement faire des gains.
Aujourd’hui est un grand jour: c’est l’occasion pour moi de voir si les analyses que j’ai préparées en 2014 en vue des élections qui viendraient quatre ans et demi plus tard se sont avérées juste.
Commençons notre observation de la course pour la médaille de bronze avec une controverse qui a beaucoup alimenté mon fil Facebook dans les derniers jours. Vous pouvez aussi vous rendre directement à l’analyse de la répartition géographique des appuis péquistes et solidaires.
L’attrait du orange
Des photos du PQ et du PLQ qui «récupéraient» le orange solidaire ont beaucoup circulé sur mon fil Facebook.
Cette pancarte du PLQ, posée au coin des rues Guimond et Pie-IX dans la circonscription Hochelaga-Maisonneuve, n’est pas très utile si l’objectif était de confondre l’électorat. Le candidat Julien Provencher-Proulx n’est même pas identifié…
Je ne crois donc pas que le PLQ essaie de «récupérer» la sympathie envers Québec solidaire.
Ce dépliant du PQ illustre bien, à mon avis, la course en cours pour la médaille de bronze. Il donne l’impression, avec son fond orange, que Carole Poirier est en fait candidate de QS.
Il permet d’associer le visage de la candidate (qui se trouve sur le bulletin de vote) avec la couleur orange associée à QS pour espérer que les personnes qui ne prennent pas le temps de lire les noms de parti se trompent et votent pour elle en voulant voter pour QS.
Dans un quartier avec un taux d’analphabétisme plus élevé qu’ailleurs sur l’île3, c’est plutôt futé! (Je vous laisse juger du caractère éthique ou pas de la manœuvre.)
L’objectif de «récupération» du orange par Dave Turcotte laisse tant qu’à moi moins de place à l’interprétation puisque le macaron utilise également le terme «solidaire». Autant je trouve la tactique efficace dans Hochelaga, autant je la trouve désespérée dans Saint-Jean, sur la Rive-Sud de Montréal.
Dans les projections finales de Too Close To Call et de Qc125, Québec solidaire (QS) n’a aucune chance de l’emporter dans Saint-Jean. L’objectif des macarons serait donc de rallier le vote QS pour permettre au député sortant de conserver son siège.
Le problème, c’est que dans la dernière projection par circonscription de Too Close To Call avant que ne soit prise la photo (celle du 21 septembre), le PQ était à 27,2% et QS à 14,8%4. Si tout l’électorat solidaire transférait plutôt au PQ, celui-ci atteindrait 42,0%, ce qui aurait effectivement permis de potentiellement dépasser la CAQ à 38,8%5.
Il faudrait que le PQ réussisse à récupérer tout tout tout le vote solidaire dans Saint-Jean pour espérer battre la CAQ. Toutefois, la manœuvre risque d’aliéner autant de gens qu’elle réussirait à tromper (en faisant croire que Dave Turcotte est le candidat solidaire pour lequel une personne voulait voter).
Bref, il me semble vraiment désespéré de penser qu’on puisse l’emporter en trompant un maximum de 50% de l’électorat solidaire dans Saint-Jean (et ce, parmi les personnes qui voient le macaron!).
Si le 21 septembre Too Close To Call accordait 6% de chances au péquiste Dave Turcotte de conserver sa place à l’Assemblée nationale, dans ses projections finales, Saint-Jean est devenu un siège assuré pour la CAQ6. C’est également ce que projette Qc1257.
La multiplication des bleus
D’autres internautes ont fait remarqué qu’à ce titre, QS «récupérait» tout autant le bleu péquiste. Ou est-ce le bleu caquiste? (Vous remarquerez que je milite pour une CAQ mauve pour éviter la confusion dans les visualisations!)
Je n’ai pas fait d’étude systématique, mais j’ai l’impression que la quantité de bleu dans le matériel de QS a augmenté depuis sa fusion avec Option nationale. Le parti de gauche semble avoir intégré plus de bleu à son graphisme parce que c’était la couleur d’ON. (Encore un autre bleu! Une chance qu’il y a eu fusion!)
On se retrouve donc effectivement avec du matériel qui ressemble à celui du PQ, quoiqu’avec une facture graphique un peu différente.
Il semble que Like-Moi en ait fait toute une parodie, de tous ces bleus.
Les projections finales des trois sites qui donnent des projections consolidées (et non une par sondage comme le modèle Forest/Guntermann) font état d’une course pour la médaille de bronze très incertaine en nombre de sièges.
Toutes les projections placent le PQ devant QS sur le plan du vote populaire. Elles situent aussi toutes le minimum de sièges du PQ sous celui de QS. Comment est-ce possible? Le Poll Tracker placent même les deux partis souverainistes à égalité pour le nombre de sièges!
C’est parce que le vote de Québec solidaire est très concentré. Il est donc plus sûr que celui du PQ à certains endroits, mais il est aussi trop diffus ailleurs pour espérer gagner autant de sièges que le PQ avec la même proportion des voix à l’échelle provinciale.
Les défis contraires des concurrents
Bryan Breguet de Too Close To Call a accompagné sa dernière projection de ce diagramme à bandes fort utile pour comprendre les défis différents des deux partis qui s’opposent pour la troisième place.
Complètement à gauche, on retrouve le nombre de circonscriptions dans lesquelles chaque parti n’a absolument aucune chance de l’emporter. À l’opposé, à droite, on trouve le nombre de circonscriptions que chaque parti a définitivement en banque.
Chaque parti? Remarquez qu’il n’y a pas de bande bleue complètement à droite, au-dessus de «100%». C’est parce que dans les simulations de Too Close To Call, il n’y a aucune circonscription que le PQ a gagné à chacune des 10000 simulations. Il y a toujours eu un autre parti qui a emporté une circonscription péquiste dans une ou plusieurs simulations.
À l’autre bout du spectre, Québec solidaire a beaucoup plus de circonscriptions que le PQ où il n’a aucune chance (environ 60% des circonscriptions contre 40% pour le PQ).
Le vote de Québec solidaire est tellement concentré qu’il lui assure trois sièges garantis le long de la ligne orange à Montréal, mais il fait en sorte qu’il n’est pas compétitif ailleurs.
On voit le même phénomène dans la course pour la première place où «[l]e vote PLQ est trop concentré pour être vraiment compétitif12.» Les libéraux ont plus de sièges assurés que les caquistes, mais ils ont aussi plus de circonscriptions où ils n’ont aucune chance.
L’inefficacité du vote solidaire
Cette élection devrait marquer la fin de l’ère de Québec solidaire—parti montréalais, mais ça demeure un parti exclusivement urbain.
Regardez la carte électorale de Too Close To Call: on ne voit pas de polygones oranges!
C’est parce que les 7 circonscriptions qu’il donne à QS dans sa projection sont toutes à Montréal et à Québec, des circonscriptions urbaines, donc trop petites pour être visibles quand on «zoom out» comme ça.
Cette concentration des voix en ville rend le vote de Québec solidaire extrêmement inefficace cette élection-ci. Dans un mode de scrutin proportionnel, avec 13% à 17% des voix, comme le prévoit la projection finale de Philippe J. Fournier, Québec solidaire pourrait espérer obtenir entre 16 et 21 sièges. Dans le meilleur des meilleurs scénarios, Too Close To Call lui en accorde 17 et Qc125, 11.
Pourquoi Québec solidaire obtient moins de sièges avec un mode de scrutin uninominal à un tour?
Bryan Breguet dirait que c’est parce qu’il est «stupide», mais ce n’est pas très complet comme explication13. Examinons plus précisément comment ces intentions de vote se distribuent dans la province.
Les sondeurs divisent le Québec en trois à cinq régions. Les trois régions de base sont la région métropolitaine de recensement de Montréal, celle de Québec et le reste du Québec. Ipsos et Mainstreet divise la première entre l’île de Montréal et ses banlieues. Forum ajoute une couche de précision en subdivisant ces dernières en couronne Nord et couronne Sud.
Montréal (57 sièges)
Le tout dernier Forum est le seul à placer la CAQ devant les libéraux dans la course pour la médaille d’or. PQ et QS se mènent dans tous les sondages une chaude lutte pour la médaille de bronze.
Malheureusement, Léger ne distingue pas entre l’île et ses couronnes. Voyons ce qu’ont trouvé les autres sondages.
Île de Montréal (27 sièges)
D’après Mainstreet et Ipsos, les libéraux auraient une avance très solide sur l’île de Montréal. Ils trouvent également une course à trois plus ou moins serrée pour la deuxième place.
Forum, par contraste, trouve que la CAQ se détache du groupe de chasse pour obtenir définitivement la médaille d’argent sur l’île de Montréal. L’avance des libéraux n’y est pas du tout aussi éclatante. Rappelons que ces sondages ne distinguent pas entre l’est francophone et l’ouest anglophone de l’île.
Couronnes nord et sud de Montréal (30 sièges)
Tous les sondeurs qui distinguent les couronnes de l’île placent les partis dans le même ordre, mais les égalités statistiques ne sont pas les mêmes.
Forum a encore une fois la CAQ plus haut, la positionnant plus solidement en avance. Elle est également en première position dans Mainstreet, mais tout juste. Les barres d’erreur des meneurs se chevauchent dans Ipsos, qui a une plus petite taille d’échantillon, donc des marges d’erreur plus grandes.
La course entre le PQ et QS est par ailleurs, sans surprise, moins serrée en banlieue de Montréal que sur l’île.
Québec (13 sièges)
La région métropolitaine de recensement de Québec est la plus petite région de base qu’étudient les sondeurs. On n’y retrouve que 13 circonscriptions, soit moins de la moitié des 27 circonscriptions sur l’île de Montréal et des 30 dans les couronnes.
La petite taille d’échantillon de Mainstreet cause plus de chevauchement, mais les trois autres sondages trouvent une CAQ confortablement en avance dans la région où sa montée a commencé (avec l’élection partielle dans Louis-Hébert il y a presqu’exactement un an).
Léger, Ipsos et Forum ont tous trouvé une course serrée pour la médaille d’argent.
Reste du Québec (55 sièges)
Il n’y a que dans le dernier Mainstreet que le PQ devance QS au-delà de la marge d’erreur, et ce, uniquement dans le reste du Québec, où la CAQ par ailleurs domine.
Transposition en sièges
En somme, la CAQ est en avance partout sauf sur l’île de Montréal. Le PQ et QS sont à égalité statistique partout dans les intentions de vote sauf dans le reste du Québec. Si leur course pour la médaille de bronze est si serrée, pourquoi la variabilité des projections de la taille de la députation péquiste est si grande?
Examinons les projections par circonscription de Too Close To Call et de Qc125. Ci-dessous, la liste des circonscriptions où Québec solidaire aurait au moins 2% des chances de l’emporter (le seuil de Bryan a utilisé pour ses guides du vote stratégique14).
Région
Nb de sièges
Intentions de vote
Circonscriptions à 2% ou plus de chances de gagner
Too Close To Call
Qc125
Île de Montréal
27 sièges
11%-21%
Gouin
100%
>99%
Mercier
100%
>99%
Sainte-Marie—Saint-Jacques
100%
>99%
Hochelaga-Maisonneuve
80%
92%
Laurier-Dorion
80%
62%
Rosemont
50%
65%
Maurice-Richard
21%
7%
Bourget
9%
Pointe-aux-Trembles
3%
Couronnes de Montréal
30 sièges
10%-21%
aucune circonscription
Région métropolitaine de recensement de Québec
13 sièges
10%-25%
Taschereau
96%
82%
Jean-Lesage
32%
15%
Jean-Talon
2%
Reste du Québec
55 sièges
13%-24%
Rouyn-Noranda—Témiscamingue
35%
23%
Sherbrooke
17%
21%
Chicoutimi
4%
Abitibi-Ouest
2%
Saint-François
2%
Les appuis de 10% à 21% de Québec ne mèneront à aucun siège dans les Couronnes de Montréal (qui en distribuent 30).
L’appui important dans le reste du Québec (13%-24%) pourrait au moins se traduire par 5 sièges sur 55 (9% de la représentation), mais ça implique que Québec solidaire gagne dans Chicoutimi, Abitibi-Ouest et Saint-François. Too Close To Call y accorde entre 2% et 4% de chances aux candidatures solidaires.
Le parti n’a, à ce que je sache, aucune ressource particulière dans ces trois derniers comtés. De plus, la gang d’Abitibi-Ouest risque d’être réquisitionnée pour appuyer Rouyn dans sa sortie de vote, et c’est assurément le cas de Saint-François, de l’autre côté de la rivière à Sherbooke.
L’appui impressionnant de Québec solidaire dans la RMR de Québec (10%-25%) pourrait permettre aux deux têtes de proue d’Option nationale, Catherine Dorion dans Taschereau et Sol Zanetti dans Jean-Lesage, d’être élus à l’Assemblée nationale. La dernière projection de Too Close To Call ajoute Jean-Talon avec 2% de chances.
Avec deux à trois sièges sur 13, QS récolterait 15% à 23% de la représentation de la région de Québec, un taux beaucoup plus efficace que dans le reste du Québec.
Il n’y a qu’à Montréal que le vote de Québec solidaire est efficacement concentré. En effet, le parti de gauche, crédité de 11% à 21% d’appuis, est en droit d’espérer récolter de sept à neuf sièges parmi les 27 de l’île. C’est entre un quart et un tiers de la représentation de la métropole!
Si le vote solidaire est si efficace à Montréal, c’est qu’il est concentré dans l’est de l’île, qui envoie 14 personnes à l’Assemblée nationale. Dans le seul Léger de cette année qui a offert des résultats ventilés entre l’est et l’ouest de l’île (mené en juin), Québec solidaire obtenait entre 16% et 28% dans l’est francophone (et anciennement péquiste) et entre 2 et 10% dans l’ouest anglophone (solidement libéral)15.
Les appuis du parti de gauche sont passés de 11% à 15% dans Léger dans la RMR de Montréal, donc on est en droit de croire que l’appui a augmenté dans l’est, mais on ne sait pas dans quelle proportion (c’est le travail des prévisionnistes)16.
Le terreau historiquement fertile de Québec solidaire pourrait lui permettre de gagner une plus grande proportion de sièges dans l’est de Montréal que son appui populaire. En effet, sept à neuf sièges dans le meilleur des meilleurs scénarios sur les 14 de l’est de l’île, c’est entre la moitié et 64% de la députation!
Même si on ne compte que les cinq sièges les plus certains, Québec solidaire gagnerait 36% des sièges de l’est de Montréal. Je resterais bien surprise que le parti obtienne un aussi haut score, même dans l’est de Montréal, sans obtenir plus de sièges.
Maman, c’est fini!
Me Marchi, Martin et moi seront réunis ce soir pour suivre la soirée électorale dans le comté de Jean-François Lisée. Suivez-nous sur Twitter pour une soirée qui s’annonce haute en couleurs!
J’avais promis de revenir aux intentions de vote pour les «petits partis» après la date limite pour le dépôt des mises en candidatures. La veille du scrutin, il serait peut-être temps d’y revenir!
Lundi dernier, un commentaire sur Facebook m’avait donné envie d’étudier l’évolution des petits partis. J’ai publié les résultats de mes analyses sur Twitter. Voici maintenant le tout sur le blogue avec quelques ajouts incluant les dernières informations dont on dispose concernant leurs intentions de vote.
Continuité depuis 15 ans
Il y a beaucoup de continuité, avec cinq petits partis déjà présents en 2003 et deux apparus en 2012 (le Parti conservateur du Québec et Citoyens au pouvoir). Seule la nouvelle mouture du Nouveau Parti démocratique du Québec est apparue cette année.
Toutefois, le Parti vert (vert mini-putt) n’a présenté aucune candidature en 1998, ayant perdu sa reconnaissance officielle après que son chef soit passé au Parti québécois1.
Le Bloc Pot (vert forêt) a lui pris une pause électorale en 2008. Peut-être que ses membres avait passé l’élection fédérale qui venait de se terminer à travailler sur la campagne du chef du Parti marijuana? En effet, il se présentait dans Hochelaga2.
Trajectoires différentes depuis 2012
Si on utilise comme mesure de force organisationnelle le nombre de candidatures présentées aux élections:
le Bloc pot s’améliore depuis 2012;
le Parti conservateur (bleu ciel) encore plus;
le Parti vert et Citoyens au pouvoir (jaune) suivent la même trajectoire: chute en 2014, remontée en 2018 pour dépasser leur nombre de candidatures de 2012;
le Parti marxiste-léniniste (rouge) est stable, stable, stable…
Stabilité remarquable au PMLQ
La force organisationnelle du Parti marxiste-léniniste (PMLQ) est surprenamment stable depuis 1998, toujours entre 23 et 25 candidatures!
Tel que discuté au premier épisode de L’Antichambre électorale à partir de 9:00, ce n’est pas facile! Bravo au PMLQ!
La force organisationnelle de la gauche contre la marque de commerce d’un parti vert
La longue lignée de partis de gauche qui ont donné naissance à Québec solidaire (QS, orange) a toujours été plus forte sur le plan organisationnel que le Parti vert du Québec (PVQ) si on utilise comme mesure de force organisationnelle le nombre de candidatures présentées aux élections.
Néanmoins le PVQ a récolté plus de voix que le Nouveau Parti démocratique du Québec (un ancêtre de QS) en 1989 et que QS à sa première élection générale, en 2007.
Difficultés depuis 10 ans
L’élection en 2008 d’Amir Khadir, premier député de Québec solidaire, a été dramatique pour les petits partis qui n’ont pas obtenu de représentation à l’Assemblée nationale. En 2012, seule Option nationale (bleu poudre) a passé la barre du 1%. En 2014, aucun petit parti n’y est parvenu.
La barre du 1% n’est pas que symbolique: c’est le seuil pour qu’un parti se fasse rembourser la moitié de ses dépenses électorales par le Directeur général des élections (DGEQ). Les partis qui récoltent moins qu’un pourcent des voix valides (donc excluant les bulletins rejetés) ne reçoivent aucun remboursement3.
Qui a des chances d’obtenir un remboursement de ses dépenses cette année?
Minces espoirs
Malheureusement, dans les sondages de fin de campagne, seul Léger présente les résultats pour des partis qui ne sont pas représentés à l’Assemblée nationale: il s’agit du Parti vert (PVQ), du Parti conservateur (PCQ) et du Nouveau Parti démocratique du Québec (NPDQ).
Nous n’avons donc aucune information sur les intentions de vote pour Citoyens au pouvoir, le Bloc pot et le PMLQ autre que le pourcentage pour les «autres» dans Léger. Vous constaterez qu’il est à 0%.
J’ai ajouté la projection de Too Close To Call, la seule à offrir une ventilation des «autres partis».
On constate que seuls le Parti vert et le Parti conservateur semblent pouvoir espérer obtenir un remboursement.
Au cours de la campagne, Mainstreet sondaient également les intentions de vote du Parti vert et du Parti conservateur, mais pas du NPDQ. Voici donc l’évolution des appuis aux tiers partis au cours de la campagne:
Comme Mainstreet donne une décimale de précision et Léger aucune, les points qui tombent pile sur la ligne proviennent d’un sondage Léger et ceux qui se situent entre les lignes ont été tirés d’un sondage Mainstreet.
Dans la discussion sur le comportement électoral au nouvel épisode de L’Antichambre électorale, on parle des difficultés que rencontrent les petits partis en raison du vote stratégique:
C’est généralement le cas en campagne que les intentions de vote pour les tiers partis chutent: l’électorat se redirige vers les principaux partis de peur de «perdre» son vote.
Sur ce, je compte sur vous pour aller voter! Visitez la page des forces en présence pour trouver les sites Web de tous les partis.
Données sources
Vous pouvez consulter le tableur qui a permis de faire le graphique sur Google Spreadsheets.
Dans cet épisode enregistré le mercredi 26 septembre 2018, Martin et Marie discutent du référendum à Waskaganish, des élections au Nouveau-Brunswick, de pointage, de sondages et de projections, de comportement électoral et de bipartisme, mais surtout, de sortie de vote.