Avant-hier, mon collègue Martin était de passage à l’émission Pop en stock à CHOQ, la radio étudiante de l’UQAM. Ç’a abondamment discuté de publicité sur les réseaux sociaux, mais aussi de la publicité gratuite que constituent les memes, citant au passage les enfants de François Legault qui se présentent pour Québec solidaire1.
Hier matin, je suis tombée sur la meilleure vidéo de campagne locale de Québec solidaire depuis celle de Rouyn-Noranda en 2012: elle vient justement de celle d’Alexandre Legault dans Brome-Missisquoi. J’ai trouvé que l’univers faisait bien les choses.
Ce matin, j’apprenais que le Directeur général des élections (DGEQ) avait mis en demeure la Centrale des syndicats du Québec (CSQ) pour des raisons similaires qu’Équiterre plus tôt cette semaine2. Les règles ne sont donc visiblement pas les mêmes pour les partis et les groupes de la société civile. Ou est-ce une différence entre site Web et réseaux sociaux?
Dépenses électorales: autorisation et plafond
D’après la porte-parole du DGEQ Julie St-Arnaud Drolet, «donner de la visibilité à un parti constitue une dépense électorale»3. Ok, qu’est-ce que ça change?
Deux choses:
- les dépenses électorales doivent être approuvées par l’agent officiel ou l’agente officielle d’une personne candidate ou d’un parti;
- elles sont soumises à un plafond de dépenses.
Payé et approuvé par…
Martin a parlé de la fonction d’agente ou d’agent officiel en parlant des mises en candidature dans le premier épisode de L’Antichambre électorale de 9:38 à 10:15:
Ça vous prend aussi un agent officiel: ça c’est la personne qui va autoriser vos dépenses. Déjà, dès le départ, si vous êtes tout seul, ça marche pas!
Vous devriez voir le nom de l’agente ou de l’agent officiel sur tout ce qui donne de la visibilité aux personnes candidates, comme les pancartes, les dépliants, même les macarons.
Avant, on écrivait systématiquement «Payé et autorisé par…», mais maintenant plusieurs partis n’indiquent que le nom de la personne suivi de la mention «agent officiel» ou «agente officielle».
La porte-parole du DGEQ cite à cet effet l’article 413, inchangé depuis l’adoption de la Loi électorale:
Pendant la période électorale, seul l’agent officiel d’un candidat ou d’un parti autorisé ou son adjoint peuvent faire ou autoriser des dépenses électorales4.
Max 0,75$ par électeur et électrice
Le plafond des dépenses électorales est défini à l’article 426 et indexé à chaque année en fonction de de l’indice moyen des prix à la consommation (IPC).
C’est un montant par électeur ou électrice, donc le plafond varie de circonscription en circonscription: les personnes candidates dans les plus grandes peuvent dépenser plus d’argent. Un montant plus élevé est toutefois accordé aux circonscriptions de régions éloignées: Rouyn-Noranda–Témiscamingue, Ungava (Nord-du-Québec), René-Lévesque et Duplessis (Côte-Nord) et Îles-de-la-Madeleine.
Limite de base | 0,75 $ |
Duplessis Rouyn-Noranda–Témiscamingue René-Lévesque Ungava |
0,95 $ (0,75 $ + 0,20 $) |
Îles-de-la-Madeleine | 1,67 $ (0,75 $ + 0,92 $) |
Source: «Limites des dépenses électorales». Élections Québec, 2018.
À ce montant s’ajoute un montant pour la campagne nationale de chaque parti politique. Il s’agit de 0,69$ pour chaque électeur ou électrice dans les circonscriptions où le parti présente une candidature.
Les quatre partis représentés à l’Assemblée ont donc le même plafond des dépenses électorales parce qu’ils présentent tous des candidatures dans chacune des 125 circonscriptions.
À l’autre bout du spectre, les partis qui ne présentent qu’un seul candidat (des hommes dans les deux cas) ont tout de même un avantage sur les candidatures indépendentes parce qu’ils peuvent dépenser presque le double (0,75$ + 0,69$ par électeur et électrice).
Qu’est-ce qui compte comme une dépense électorale?
C’est bien beau tout ça, mais qu’est-ce qui doit être autorisé par l’agente ou l’agent officiel et conséquemment être assujetti aux limites de dépenses? Équiterre et la CSQ ne croyaient pas que leur campagne d’information devait l’être. (La CSQ a obtempéré, mais Équiterre est prête à contester une éventuelle amende du DGEQ devant les tribunaux.)
D’après la mise en demeure reçue par Équiterre, son «document» est une «publicité»:
Comme ce document d’analyse et l’utilisation du site web pour le diffuser impliquent nécessairement un coût, cette publicité constitue une dépense électorale5
La porte-parole du DGEQ ajoute dans un article sur la mise en demeure reçue par la CSQ:
le coût de tout bien ou service utilisé pendant la période électorale pour diffuser ou combattre le programme ou la politique d’un candidat ou d’un parti représente une dépense électorale6
À cet effet (et c’est peut-être un ajout tardif), il est indiqué en haut de la démarche sur la deuxième page du document de la coalition environnementale et citoyenne:
Ce document a une visée informative exclusivement. Il ne vise pas à favoriser ou défavoriser, à diffuser ou à combattre un programme, à approuver ou désapprouver, un parti ou des mesures préconisées par celui-ci7.
Revenons à la mise en demeure. Le DGEQ considère visiblement deux coûts:
- l’analyse;
- l’hébergement, la création et le maintien du site Web.
Le premier est définitivement contestable puisqu’il s’agit «des réponses des principales formations politiques» (lire les quatre partis représentés à l’Assemblée nationale) à des questions posées par une coalition d’organisme.
Lettres aux organismes
C’était ma tâche principale en 2008 et en 2012 de répondre aux lettres des organismes: un travail extrêmement long et ardu qui offre très peu de gratifications parce qu’il se fait généralement dans l’ombre.
En 2008, j’en ai envoyé une cinquantaine et, en 2012, plus de 80. Combien d’organismes vous ont fait part des engagements de Québec solidaire à l’époque? Voilà, c’est ce que je disais: un travail de l’ombre.
Le travail d’analyse des plateformes a effectivement un coût mais, lorsque les organismes envoient des questionnaires aux partis politiques, la facture est refilée aux partis, qui doivent payer quelqu’un pour le faire (ou rediriger de l’énergie bénévole vers cette tâche). La «dépense électorale» est donc engagée par le parti, pas l’organisme.
Qui plus est, à quoi ça sert aux partis de répondre aux organismes s’ils n’ont pas le droit de diffuser les réponses sur leur site Web?!? Si seuls les médias ont droit de diffuser les réponses que leur donnent les partis, on a un problème démocratique.
(Certes, le DGEQ pourrait répondre que la révision des réponses obtenues gratuitement constitue une analyse supplémentaire qui engendre son propre coût8.)
Réglementation de la publicité (or lack thereof)
L’autre coût que considère le DGEQ dans le cas d’Équiterre est «l’utilisation du site web pour […] diffuser» le document. Effectivement, avoir un site Web, ça coûte de l’argent.
Est-ce que cela signifie que si Équiterre s’était contenté de publier le contenu du document sur sa page Facebook, sur sa chaîne YouTube et sur ses comptes Instagram, Twitter et Linkedin, le DGEQ n’aurait pas pu lui imputer des coûts de diffusion parce que l’utilisation de ces plateformes est gratuite?
C’est ici qu’on revient à l’émission Pop en stock. L’un des invités de cette semaine, Sylvain A. Trottier, se posait justement la question à savoir si la publicité sur les réseaux sociaux comptait dans les dépenses électorales, et donc dans le plafond des dépenses. Il a donc passé un coup de fil au Directeur général des élections (DGEQ).
Il a constaté que la publicité gratuite qu’offre le partage sur les réseaux sociaux n’est pas règlementée:
Des candidats peuvent faire des publications, et ils n’ont pas besoin de payer pour une publication. C’est une publication comme si j’étais sur la place publique et que je disais quelque chose9.
Toutefois, si de l’argent entre en jeu, la dépense doit être approuvée par l’agent officiel et est sujette au plafond des dépenses électorales.
Puisque sa question portait spécifiquement sur la publicité qu’effectuent les partis, on ne sait pas si le DGEQ considère que seuls les «candidats peuvent faire des publications» gratuites sans qu’elles comptent comme dépenses électorales, ou si ce droit est également accordé à tout membre de la société civile.
Dans le prochain billet, je reviendrai sur les vidéos que diffusent les personnes candidates sur Facebook et ma surprise à la vue de celle de Québec solidaire dans Brome-Missisquoi.