Lors du débat des chefs tenu le jeudi 20 septembre sur les ondes de TVA, le chef du Parti québécois, Jean-François Lisée, a demandé à la porte-parole de Québec solidaire, Manon Massé, qui était le véritable chef de Québec solidaire.
(Nous constatons que le chef du Parti québécois est un auditeur assidu de L’Antichambre électorale puisque c’était notre question piège lundi dernier, posée dans une discussion qui a commencé à 13:05.)
Un peu après la fin du débat, un collègue juriste s’est posé la question sur Facebook: «Est-ce que quelqu’un qui n’est pas le chef de son parti auprès du DGEQ peut légalement être premier ministre du Québec?»
Dans la vie de tous les jours, je pratique le droit municipal. Toutefois, lorsque des questions existentielles se posent et que l’appel de la Nation se fait sentir, le constitutionnaliste en herbe qui sommeille en moi sort de sa tanière. Comme je ne suis pas un expert en la matière, j’ai dû faire quelques recherches pour me faire une tête, ce qui me permet maintenant d’assumer ma posture de donneur de leçon.
Loi constitutionnelle
Pour suivre ma réflexion, je vous propose de vous mettre dans la peau de Tuan, un nouvel arrivant qui cherche à comprendre nos institutions. Soucieux d’être en mesure de soutenir une discussion avec l’homo quebecus (ou de devenir un champion de Génies en herbe), Tuan s’attaque à la lecture de nos textes constitutionnels pour découvrir le fonctionnement du gouvernement du Québec.
Tout d’abord, Tuan lit la version anglaise de la Loi constitutionnelle de 1867 (qu’on appelait autrefois l’Acte de l’Amérique du Nord britannique), parce qu’il sait que cette loi britannique du 19e siècle a été adoptée en anglais seulement par le parlement de Westminster.
En 1982, Londres nous a fait la faveur d’adopter la Loi constitutionnelle de 1982 dans les deux langues officielles du Canada (deux ans après le référendum de 1980, c’était politiquement bien avisé de nous fournir une version française officielle), mais aucune version française du texte de 1867 n’a été adoptée à ce jour. Pourtant, ce texte définit une bonne partie de nos institutions politiques et prévoit notamment le partage des compétences entre le Parlement fédéral et les législatures provinciales.
Pour faciliter la compréhension, vous m’excuserez de citer quand même la traduction française de la Loi constitutionnelle de 1867 (que j’appelerai par son petit nom, LC 1867), traduction préparée par un comité de rédaction constitutionnelle française pour une éventuelle adoption.
Le premier ministre, ce grand absent de la Constitution
En lisant cette loi de 1867, Tuan apprend premièrement que le pouvoir exécutif est exercé par la Reine (c’est prévu explicitement pour le gouvernement fédéral à l’article 9 mais je peux, sans trop de risque de me tromper, étendre le principe aux gouvernements provinciaux).
Comme la Reine est un peu occupée à garder ses arrière-petits-enfants et à diriger les 16 pays dont elle est le chef d’État, l’article 58 prévoit qu’elle a au Québec un délégué, le lieutenant-gouverneur J. Michel Doyon.
Continuant sa lecture, Tuan apprend, à l’article 63, que le lieutenant-gouverneur est assisté dans ses fonctions par un conseil exécutif (le conseil des ministres), composé des personnes qu’il juge à propos de nommer. Ça ne l’avance pas beaucoup, mais le texte de l’article lui indique tout de même la composition du premier conseil exécutif. Tuan sort une feuille blanche et dessine la table du conseil exécutif.
Autour de la table, il place:
- le procureur général (une fonction qu’on associe aujourd’hui au ministre de la Justice);
- le secrétaire et registraire de la province (des fonctions administratives assumées également par le ministre de la Justice aujourd’hui);
- le trésorier de la province (l’équivalent du ministre des Finances d’aujourd’hui);
- le commissaire des terres de la Couronne (ministre des Ressources naturelles); et
- le commissaire d’agriculture et des travaux publics (ministre de l’Agriculture et des Transports).
On était loin de s’imaginer, à l’époque, qu’il y aurait un jour des ministres de la Santé et de l’Éducation. Et surtout, pas de premier ministre!
Pourtant, le Québec avait bel et bien un premier ministre dès 1867, en la personne de Pierre-Joseph-Olivier Chauveau. Ne vous inquiétez pas pour lui, il était membre du conseil exécutif, puisqu’il était aussi secrétaire et registraire de la province.
En effet, les rédacteurs de la Loi constitutionnelle de 1982 ont fait référence à la fonction de premier ministre dans deux articles qui concernent les droits des autochtones et la révision de la procédure de modification constitutionnelle, sans se formaliser du fait que cette fonction n’est définie nulle part dans la Constitution.
C’est totalement représentatif de la tradition juridique britannique: les institutions apparaissent et acquièrent une importance capitale, sans être obligatoirement définies dans les lois écrites.
Oui mais non
L’illustration est frappante, mais je dois avouer avoir pris un petit raccourci. C’est que le Parlement du Québec a la compétence pour «modifier la constitution de la province» (selon l’article 45 de la Loi constitutionnelle de 1982 et, auparavant, l’alinéa 92(1) de la LC 1867). Dans l’exercice de cette compétence, l’Assemblée nationale a adopté de nombreuses lois ordinaires qui définissent la structure de notre État, en plus des lois constitutionnelles. Pensons à la Loi sur l’Assemblée nationale, à la Loi sur l’exécutif et à la Loi sur les tribunaux judiciaires. Ainsi, la Loi sur l’exécutif prévoit la composition contemporaine du conseil exécutif, et notamment la fonction de premier ministre.
L’article 4 de la Loi sur l’exécutif prévoit que le lieutenant-gouverneur nomme les membres du conseil exécutif, dont le premier ministre (en fait, la loi n’aurait pas pu prévoir autre chose sans contrevenir à la constitution). C’est donc le lieutenant-gouverneur, J. Michel Doyon, qui choisira le prochain premier ministre, à sa discrétion (dont l’exercice, on le verra, est guidé par les des règles non écrites). Vous savez maintenant où envoyer votre curriculum vitae.
Comme ce serait un peu plate si on s’arrêtait sur cette réponse, nous aborderons dans le prochain billet les conventions, ces règles constitutionnelles non écrites, et la fonction de chef de parti politique.