Réaction

Tartes aux pommes et recettes secrètes

Ça faisait longtemps que j’avais envie de comparer les choix méthodologiques des modèles de projection. Jeudi, j’ai décidé que je me gâtais. Maintenant que j’ai reçu les réponses à mes questions, je peux publier la comparaison.

Lundi dernier, une page Facebook dédié au voisinage des quartiers montréalais contigus de Rosemont, Petite-Patrie et Villeray a diffusé les projections de Qc125 dans les circonscriptions de Rosemont, Gouin et Laurier-Dorion. Je me suis empressée d’ajouter en commentaire celles de Too Close To Call, constatant au passage une différence importante dans les deux modèles pour leurs projections concernant Laurier-Dorion.

Voici leurs projections en date d’aujourd’hui pour Laurier-Dorion, qui regroupe les quartiers Villeray et Parc-Extension.

Too Close To Call1 Qc1252
Québec solidaire 39,8% 36,4%
Parti libéral du Québec 34,2% 32,4%
Coalition avenir Québec 12,8% 12,2%
Parti québécois 10,0% 15,9%
Parti vert du Québec 2,3%
NPD du Québec 0,6%
Parti conservateur du Québec 0,2%

La collaboratrice à cette page Facebook qui fait office de média hyperlocal a sagement ajouté:

L’écart est très grand en effet!

On est pas des experts ici, mais les simulateurs de projections électorales sont un peu comme des tartes aux pommes de grand-mères. Chaque grand-mère a sa recette secrète […]

C’est aussi un rappel qu’il faut pas trop prendre au sérieux les sondages ou les projections3.

Que sait-on de leurs recettes secrètes?

Voici nos concurrents

J’ai connaissance de quatre modèles de projection: Too Close To Call de Bryan Breguet, Qc125 de Philippe J. Fournier, le Poll Tracker du doyen des prévisionnistes au Canada, Éric Grenier, et le modèle Guntermann/Forest.

J’avais présenté le dernier dans un billet en début de campagne.

Logo du site de projection électorale Qc125Too Close to Call / Si la tendance se maintient - logoLes principaux modèles de projection cités au Québec sont ceux de Bryan Breguet à Si la tendance se maintient (mieux connu sous le nom anglais du site, Too Close To Call), fondé en 2010, et de l’astrophysicien Philippe J. Fournier, qui a créé Qc125 en 2017.

Toutes les projections de Bryan présentent quatre données pour chaque parti: une prévision du pourcentage du vote populaire, une prévision du nombre de sièges, un intervalle du nombre de sièges qu’obtient le parti dans ses simulations et le pourcentage de chances qu’un parti l’emporte.

Extrait du projection de Too Close to Call
Source: Breguet, Bryan. «Les meilleurs et pires scénarios pour chaque parti en ce début de campagne». Too Close To Call (blogue), 21 août 2018.
Schématisation de l'Assemblée nationale représentant le nombre de sièges projetés pour chaque parti
Source: Fournier, Philippe J. «La victoire pour la CAQ, le vote populaire pour le PLQ?» L’Actualité, 23 septembre 2018.

Philippe donne la même information mais à l’aide de visualisations (graphiques, schématisation des sièges de l’Assemblée nationale et cartes). Il donne des intervalles de confiance à la fois pour ses projections du vote populaire et des sièges.

Durant la campagne électorale, ces visualisations ne sont pas toutes disponibles sur son site Web, sans doute pour donner l’exclusivité à L’Actualité. Il y publie dans ses «Carnets de campagne» une ou deux fois par semaine.

Le Poll Tracker d’Éric est un peu différent. Il donne la liste des sondages utilisés ainsi que leur pondération, ce que les deux autres sites de projection ne font pas, mais il ne présente pas ses projections par circonscription.

Le Poll Tracker donne une place de choix aux moyennes pondérées des sondages accompagnées de la variation depuis la dernière projection.

CBC News Quebec Poll Tracker: Poll Averages
Source: Grenier, Éric. «CBC News Quebec Poll Tracker». CBC News, 29 septembre 2018.

En-dessous, un diagramme en bandes illustre la projection du nombre de sièges et une liste à puces décrit différentes probabilités (probabilité pour un parti d’obtenir un gouvernement majoritaire ou le plus de sièges). Par la suite, un paragraphe résume l’état de la course.

Ensuite, un graphique interactif représente l’évolution dans le temps d’une de ces trois données pour chaque parti (moyenne pondérée des sondages, nombre de sièges, chances de gagner), au choix. Finalement, un paragraphe résume l’évolution de la course.

Voici leurs recettes

Comme l’explique Bryan Breguet dans la FAQ de Too Close To Call:

There exists a lot of models and they usually share the core principle: the results in a specific riding this election are a function of the past election’s results as well as of the current level of supports for each party4.

Commençons donc par ces deux éléments:

  • les résultats des dernières élections;
  • les intentions de vote actuelles.

Les résultats de quelles élections sont pris en compte?

Tous les modèles utilisent les résultats de la dernière élection générale, celle de 2014. Depuis, il y a eu des élections partielles dans 15 circonscriptions5. Certains modèles en tiennent compte. Le tableau ci-dessous montre également jusqu’à quelle élection chaque modèle remonte pour constituer son historique de vote dans une circonscription.

Poll Tracker Too Close To Call Qc125 Modèle Guntermann / Forest
Élections partielles x x x
2014 x x x x
2012 x x
2008 x x
2003 x
1998 x

Philippe J. Fournier indique que «[l]es élections récentes possèdent, évidemment, une pondération plus importante» tout comme Éric Grenier, qui précise la pondération exacte6. Ce dernier spécifie également comment il tient compte des élections partielles et comment il calcule la situation initiale pour les candidatures indépendentes et dans les circonscriptions où un parti n’avait pas présenté de candidature à l’élection précédente.

Seul Benjamin Forest explique comment il tient compte du récent changement de carte électorale. Il y en a eu également en 2001 et en 2011. Rappelons que Forest est géographe, d’où son intérêt pour la question. Éric Grenier et Bryan Breguet sous-traitent la transposition des résultats.

Comment sont calculées les intentions de vote?

Comme l’explique Philippe:

Plus le sondage «vieillit», plus sa pondération diminue dans le temps. Cette méthode de calcul permet d’amortir les fluctuations normales des sondages.»7

Tous les modèles qui agrègent les sondages utilisent ce principe. Le modèle Guntermann/Forest n’utilise qu’un seul sondage par projection.

Poll Tracker Too Close To Call Qc125
Agrégation des sondages oui, mais uniquement les sondages publics oui, sondages publics et payants oui, sondages publics et payants
Facteurs compris dans la pondération des sondages Taille d’échantillon

Date de terrain

Justesse des prévisions antérieures

Taille d’échantillon

Date de terrain en fonction des événements importants

Choix éditorial

Taille d’échantillon

Date de terrain

Choix éditorial

Répartition des personnes discrètes Celle des sondeurs (généralement proportionnelle)8 40% au PLQ
30% à la CAQ
20% au PQ
10% à QS9
Recette secrète10

Éric donne le poids de chaque sondage dans la liste des sondages compris dans le Poll Tracker et explique dans l’article sur la méthodologie comment ce poids est calculé.

Quels autres facteurs sont intégrés à la projection?

Le modèle Guntermann/Forest s’arrête là. Toutefois, les trois autres intègrent beaucoup d’autres paramètres dans leur modèle.

Poll Tracker Too Close To Call Qc125
Effets régionaux 3 régions 12 régions 21 régions
Identité des personnes candidates Candidatures vedettes

Député sortant ou députée sortante

Chef

Candidatures vedettes

Député sortant ou députée sortante

Chef

Candidatures vedettes
Sondages locaux oui Choix éditorial oui
Taux de participation dans chaque circonscription non oui oui
Nombre de personnes inscrites sur la liste électorale dans chaque circonscription non non oui
Données démographiques non non oui

Éric précise la plupart de ses effets dans sa documentation.

J’attendrai probablement après le scrutin pour comparer comment tout ça est mis ensemble, question de donner le temps de respirer à un prévisionniste particulièrement occupé. Si vous comprenez l’anglais, vous pouvez en apprendre plus en écoutant la conversation d’Éric et de Philippe au dernier épisode du CBC Election Pollcast.

Notes

La leçon de droit constitutionnel de Maître Marchi

Nomination du premier ministre: est-ce que le lieutenant-gouverneur peut faire n’importe quoi?

Au dernier cours, nous avons parlé des règles formelles qui encadrent la nomination du premier ministre du Québec, pour en arriver à la conclusion qu’il y en a une seule: le lieutenant-gouverneur décide. Nous discuterons donc aujourd’hui des autres règles, non écrites celles-là, qui guident la décision de la personne qui représente la Reine.

L’honorable Jocelyne Roy Vienneau, lieutenante-gouverneure du Nouveau-Brunswick
Source: Clark, Katrina. «Who Is the Lieutenant-Governor, and What Is Her Role?» The Daily Gleaner. 26 septembre 2018.

Comme l’actualité nous a rattrapés, nous laisserons notre ami Tuan à son étude des textes constitutionnels et nous nous transporterons plutôt dans le bureau de la lieutenante-gouverneure du Nouveau-Brunswick, l’honorable Jocelyne Roy Vienneau. Elle recevait mardi matin la visite du premier ministre (sortant) et chef du parti libéral de la province, le tout aussi honorable Bryan Gallant.

(Au passage, mentionnons que nous sommes d’avis que l’accord au féminin «lieutenante-gouverneure» rend la prononciation désagréable, mais nous suivons en ce sens la pratique du gouvernement du Nouveau-Brunswick.)

La rencontre

Mardi matin donc, la lieutenante-gouverneure sirote tranquillement son thé vice-royal. Elle s’est couchée tard la veille parce que la soirée électorale a été longue, les résultats étant très serrés (un scénario qui pourrait très bien se produire au Québec, si on se fie à mon ami Raphaël Crevier).

La nouvelle répartition des sièges à l’assemblée législative est la suivante:

Nb de sièges
Parti progressiste-conservateur 22
Parti libéral 21
Alliance des gens du Nouveau-Brunswick 3
Parti vert 3
Seuil pour obtenir une majorité 25

Source: «Résultats non officiels». Elections NB, 24 septembre 2018.

(Le parti Kiss du Nouveau-Brunswick n’a remporté aucun siège avec ses 336 votes, mais à défaut de connaître leurs positions, on aime bien leur nom.)

C’est alors qu’on annonce l’arrivée du premier ministre Gallant. Malheureusement, nous ne pouvons pas savoir ce qui s’est dit entre les deux honorables dans l’intimité du bureau mais, selon ce qui a été rapporté dans les médias, voici à peu près de dont ça devait avoir l’air:

L’hon. Bryan Gallant:
Votre honneur, je vous annonce que j’ai l’intention de continuer à diriger le gouvernement de la province.
L’hon. Jocelyne Roy Vienneau:
Fort bien, monsieur le Premier ministre, mais avez-vous toujours la confiance de l’assemblée législative?
B.G.:
Je le crois, mais je n’en suis pas totalement sûr.
J.R.V.:
Alors, revenez me voir quand vous saurez quoi me dire et, d’ici là, arrêtez de me déranger!

La lieutenante-gouverneure a ensuite reçu la visite du chef du parti progressiste-conservateur, Blaine Higgs, et on ne sait pas plus ce qui s’est dit mais, comme la province avait toujours un premier ministre à ce moment-là, c’est de peu d’intérêt.

Nous en sommes là.

Quels étaient les scénarios possibles?

Luc Letellier de Saint-Just
Photographie de Luc Letellier de Saint-Just par William James Topley, mars 1879. Wikimedia Commons.

La lieutenante-gouverneure aurait pu destituer le premier ministre Gallant. Formellement, elle en a le pouvoir. Toutefois, le dernier lieutenant-gouverneur qui s’est essayé a été lui-même destitué quelques mois plus tard, à cause de sa décision controversée.

C’était toutefois en 1878: Luc Letellier de Saint-Just a destitué le premier ministre conservateur du Québec, Charles-Eugène Boucher de Boucherville. En 2018, à moins d’une crise constitutionnelle majeure (par exemple, si un premier ministre qui a perdu la confiance de l’assemblée refusait de démissionner), on oublie ça.

Le premier ministre aurait pu remettre sa démission. C’est, par exemple, ce que Jean Charest avait choisi de faire après avoir vu son parti arriver deuxième en nombre de sièges aux élections québécoises du 4 septembre 2012.

Il aurait pu au contraire essayer d’obtenir le soutien des députés de la Coalition avenir Québec (CAQ) pour conserver la confiance de l’assemblée, même si le Parti québécois avait remporté deux sièges de plus.

Christy Clark et la lieutenant-gouverneure de la Colombie-Britannique, Judith Guichon
Source: Smith, Charlie. «Lt.-Gov. Judith Guichon’s Unelected Power Should Raise Questions about Dumping the Monarchy». Georgia Straight. 29 juin 2017.

Le premier ministre peut choisir de rester en poste et tenter d’obtenir (ou plutôt, de maintenir) la confiance de l’assemblée législative. C’est ce qu’a choisi de faire la libérale Christy Clark après les élections britanno-colombiennes du 9 mai 2017.

Ses espoirs ont cependant été de courte durée, puisque l’assemblée législative a adopté une motion de censure pour retirer sa confiance à la première ministre le 29 juin de la même année, la poussant à démissionner.

Un petit mot au passage sur l’affirmation de Brian Gallant comme quoi il aurait obtenu la «permission» de la lieutenante-gouverneure pour rester en poste. Formellement, il n’avait aucune permission à demander, étant toujours le premier ministre en poste. Tout ce qu’on peut comprendre, c’est que la lieutenante-gouverneure ne l’a pas destitué et n’a pas demandé sa démission.

Mais qu’est-ce qui guide les décisions de la lieutenante-gouverneure? C’est le moment d’aborder les conventions constitutionnelles en commençant par les distinguer d’autres notions voisines.

Conventions, coutume et common law…

Question de placer les concepts, j’aimerais revenir sur une intervention de l’élève Rodrigue Desnoyers, dans un commentaire émis lors notre dernier cours, qui fait référence à des concepts voisins de la convention constitutionnelle :

Oui mais il y a le droit coutumier si cher aux Brits. C’est aussi le principe du “Common Law”. Alors, ne vous souciez pas. Le premier ministre est le chef du parti porté au pourvoir par l’élection.

Dans son intervention, monsieur Desnoyers utilise deux concepts que je tenterai de définir et de distinguer de la notion de convention constitutionnelle.

Common law

Tout d’abord, la common law est un système juridique où les règles de droit sont principalement issues des décisions des tribunaux, et où le droit se développe au fur et à mesure des décisions individuelles.

Dans un système de common law, les parlements votent bien sûr des lois, mais celles-ci viennent s’ajouter de façon ponctuelle au «socle» que constituent les décisions des tribunaux.

Par opposition, dans un système civiliste, c’est le contraire: la loi (au premier chef, le Code civil) constitue la base du droit, et la jurisprudence ne s’y ajoute que pour l’interpréter et combler ses vides.

Au Québec, nous avons un système mixte: civiliste en droit privé (les relations entre les individus) et de common law en droit public (les relations entre l’individu et l’État; par exemple, le droit criminel).

Il n’en demeure pas moins que, dans un système de common law, les règles sont développées par les tribunaux et, surtout, susceptibles d’être appliquées et sanctionnées par les tribunaux. C’est du droit formel, au même titre que les lois écrites.

Coutume

Ensuite, la coutume désigne toute règle de conduite qui s’appuie sur un usage constant et répété. Il ne s’agit pas toujours de règles juridiques. Par exemple, si vous jouez aux cartes dans votre famille avec des règles qui ont été transmises de génération en génération sans jamais être écrites, vous être probablement en présence d’une coutume.

Famille blanche jouant aux cartes
Source: Anderberg, Jeremy. «6 Card Games Everyone Should Know». The Art of Manliness (blogue), 26 mai 2018.

L’existence d’une règle coutumière exige non seulement un usage constant et répété, mais aussi que celles et ceux qui sont visés soient convaincus de son caractère obligatoire.

Aujourd’hui, la coutume n’est susceptible d’être sanctionnée par les tribunaux que lorsque la loi écrite le prévoit, par exemple en matière de contenu d’un contrat. (Dans un domaine spécifique, les usages peuvent faire partie du contenu d’un contrat sans qu’il soit nécessaire de le prévoir explicitement, selon l’article 1434 du Code civil.)

Conventions constitutionnelles

Enfin, les conventions constitutionnelles sont en quelque sorte le sous-ensemble des règles coutumières qui concernent spécifiquement le fonctionnement de nos institutions politiques. L’existence d’une convention constitutionnelle nécessite donc une pratique constante et le sentiment des acteurs politiques d’y être liés.

Certains experts ajoutent qu’une convention constitutionnelle doit être appuyée sur un grand principe de gouvernance, tel que la démocratie représentative, bref avoir une raison d’être. Comme il s’agit uniquement de règles coutumières, à moins d’être incorporées dans une loi, les conventions constitutionnelles ne sont pas susceptibles d’être sanctionnées par les tribunaux. C’est le comportement des acteurs et le sentiment d’être lié qui leur donnent toute leur force.

D’ailleurs, il est intéressant de constater que lorsque les médias s’interrogent sur les conventions constitutionnelles, ils s’adressent souvent à des politologues, davantage qu’à des juristes. Cette pratique confirme le caractère hybride (politico-juridique) de ces règles.

La nature particulière des conventions constitutionnelles leur confère deux caractéristiques qui les rendent difficiles à cerner:

  • Il y a matière à débat sur leur véritable contenu (si les avocats sont incapables de s’entendre sur le sens des lois écrites, imaginez les non écrites!).
  • Leur contenu n’est précisé ou clarifié que lorsqu’elles sont mises à l’épreuve. Tant que tout le monde semble suivre une règle, on ne débat pas de son contenu précis.

Et alors, au Québec?

Revenons à nos moutons: quelles sont les conventions constitutionnelles qui encadrent la nomination du premier ministre, dans notre système parlementaire?

Comme aucun parti politique n’avait jusqu’ici soutenu une personne autre que son chef pour devenir premier ministre, personne ne s’était posé la question, et les experts ne l’ont pas approfondie.

En faisant un peu de recherche, l’une des formulations que j’ai trouvées est la suivante:

Le [lieutenant-gouverneur] doit nommer comme premier ministre un chef de parti qui est assuré ou qui a de bonnes chances d’obtenir la majorité [à l’assemblée législative]1

Vous remarquerez qu’on ne parle pas du parti qui a obtenu le plus de sièges à la suite d’une élection générale, mais de quelqu’un «qui est assuré ou qui a de bonnes chances d’obtenir la majorité». La raison d’être de cette convention est de favoriser la nomination d’une personne qui sera capable d’obtenir la confiance de l’assemblée, élément essentiel de notre système parlementaire.

La plupart du temps, la personne la mieux placée sera le chef du parti qui a obtenu le plus de sièges. Toutefois, selon le jeu des alliances politiques, le chef d’un autre parti pourrait tout à fait être la personne qui a le plus de chances d’obtenir la majorité.

Autres possibilités

Stéphane Dion entouré de Jack Layton et de Gilles Duceppe pour annoncer la création d’une coalition, le 1er décembre 2008
Source: Agence Reuters/Blair Gable. Publiée dans Buzzetti, Hélène. «Ottawa – Les secrets d’une coalition». Le Devoir. 2 décembre 2009.

Prenons un cas où les partis qui sont arrivés deuxième et troisième en nombre de sièges se coalisent pour former une majorité (ce qui a failli se produire en décembre 2008 au Parlement fédéral). Le chef du parti arrivé troisième pourrait poser comme condition, pour appuyer l’autre, que la personne choisie comme premier ministre soit quelqu’un d’autre que le chef du parti arrivé deuxième.

Est-il nécessaire que ce soit un chef? Pour répondre à cette question, revenons à la raison d’être de la convention: nommer une personne qui est capable d’obtenir la confiance de l’assemblée.

Si une personne est soutenue par un parti pour devenir premier ministre, et ce parti fait obtient une majorité de sièges ou est appuyé par d’autres partis, il est difficile de croire qu’elle n’obtiendra pas la confiance de l’assemblée. La nomination de cette personne comme premier ministre serait donc tout à fait acceptable.

Alors, à quoi ça sert d’avoir des chefs de parti? C’est la question que nous aborderons dans le troisième billet de la série.

Notes

Réaction

Ma circonscription est plus créative que la tienne

Dans mon dernier billet, j’ai mentionné une vidéo de la campagne de Québec solidaire dans Brome-Missisquoi. Entretemps, y’a aussi la gang de Jeanne-Mance—Viger qui a publié un vidéoclip: c’est une circonscription encore plus surprenante!

J’aimerais tout d’abord présenter ces circonscriptions du point de vue d’une ancienne responsable des élections à Québec solidaire. Je ferai ensuite le lien avec le dernier billet en évaluant si ces vidéos constituent des dépenses électorales.

Pas toutes le même budget

Les différents partis mènent leurs campagnes différemment pour respecter leurs budgets de taille très variée.

Photo de la candidate avec une bénévole devant une pancarte du NPDQ
Source: Petropoulos, Apostolia. Publication Facebook, 4 septembre 2018.

Certains ont les moyens pour des pancartes avec la photo et le nom de la candidature locale. J’en ai vu à Montréal pour les quatre partis représentés à l’Assemblée nationale et les trois partis sondés par Léger (Parti conservateur, Parti vert et Nouveau Parti démocratique du Québec). Comme ce sont de très petits volumes, ces pancartes coûtent cher.

D’autres, comme le parti Citoyens au pouvoir, doivent se contenter, du moins à Montréal, de pancartes avec la photo de leur chef et leurs engagements. C’est en allant sur leur site Web, sur le site du Directeur général des élections (DGEQ) ou en attendant d’avoir en main son bulletin de vote qu’on apprend le nom de son candidat ou candidate.

Bénévoles au travail dans le local électoral
Publication Facebook. Québec solidaire Hochelaga-Maisonneuve, 24 septembre 2018.

Ces disparités de ressources financières comme militantes existent autant dans les campagnes locales au sein d’un même parti. Une campagne de Québec solidaire dans Hochelaga-Maisonneuve dans l’est de l’île de Montréal, avec un beau local pour accueillir les bénévoles du quartier, ne ressemble en rien à une campagne dans Maskinongé en Mauricie, où Simon Piotte, le candidat solidaire, se déplace en vélo pour aller faire du porte-à-porte dans sa circonscription rurale1.

Le budget n’est pas tout

C’est dans cette optique que j’ai été très surprise de constater que cette superbe vidéo provenait de la campagne dans Brome-Missisquoi d’Alexandre Legault (le fils de François Legault, mais pas du chef de la CAQ):

Je me souviens

Québec 2050 : Je me souviens

Le 1er octobre, nous ne pouvons pas attendre 4 ans de plus.

Pour laisser un environnement sain aux générations futures, ça commence par un gouvernement solidaire. Un gouvernement écologiste, un gouvernement responsable.

Tout est encore possible, mais il faut s’y mettre Maintenant. Sérieusement. Pour faciliter la vie des générations futures.

Joignez le mouvement pour une transition économique, écologique qui profite à tous et à toutes.
adhesion.quebecsolidaire.net

Publiée par Alexandre Legault dans Brome-Missisquoi sur Mardi 18 septembre 2018

La seule autre vidéo locale dont je me souvenais, c’était celle de Rouyn-Noranda—Témiscamingue en 2012: Mon père est grand. C’est le fils du candidat Guy Leclerc qui l’avait produite.

Sa mère était agente officielle et l’avait rémunéré pour être certaine de ne pas se faire taper les doigts par le DGEQ. (La connaissant, c’était pas du tout une tentative de népotisme: elle aurait sûrement préféré utiliser l’argent pour imprimer plus de dépliants ou de pancartes.)

Rouyn-Noranda et le Témiscamingue sont loin de la ligne orange à Montréal, mais forment néanmoins un terreau fertile pour Québec solidaire, qui y a obtenu son 13e meilleur score (sur 124) en 2012. C’est l’une des circonscriptions les plus fortes en région. Un sondage local Mainstreet fait même état d’une course à trois excluant le Parti libéral2.

Vous pouvez constater ci-dessous que Québec solidaire avait 124 candidatures en 2012 et en 2014, puis 125 en 2018.

Vous comprendrez donc ma surprise à voir la vidéo de Brome-Missisquoi, qui était 46e au palmarès des circonscriptions en 2014 au sein de Québec solidaire. Et que dire de Jeanne-Mance—Viger, 116e circonscription (sur 124) en 2014!

Voici le vidéoclip de la chanson «Solidaires» de Mackjoffatt, avec en vedette le candidat solidaire Ismaël Seck:

ES-TU SOLIDAIRE?

Une campagne électorale, c’est pas toujours obligé d’être des slogans poches et des promesses vides 😉

Si t’es solidaire, le 1er octobre, tu votes Ismaël Seck!

Un énorme merci à Mackjoffatt pour la conception de cette magnifique chanson de campagne!




P.S. L’utilisation d’une chaise roulante dans le vidéoclip se veut avant tout pour illustrer la réalité des personnes dans notre système de santé et n’est en aucun cas dans le but de prendre à la légère la situation des personnes en situation de handicap

Publiée par Ismaël Seck sur Vendredi 21 septembre 2018

 

Changements au palmarès?

Les appuis de Québec solidaire sont indéniablement plus hauts qu’en 2014, et ce, partout à travers le Québec. Dans un sondage local Mainstreet, le parti est crédité de 18% après répartition des personnes discrètes (derrière la CAQ à 32%, le PQ à 23%, le PLQ à 22%)3.

Toutefois, d’après les projections, la circonscription de Brome-Missisquoi ne devrait pas bouger beaucoup dans le palmarès de Québec solidaire.

Vote populaire4 Projections pour 2018
Circonscription 2012 2014 Too Close To Call5 Qc1256
Brome-Missisquoi 4,6% (61e) 6,8% (46e) 15,6% (41e) 12,6% (48e)
Jeanne-Mance—Viger 5,1% (45e) 3,4% (116e) 13,8% (62e) 11,7% (64e)

Par contraste avec la progression observée dans la circonscription montérégienne, Québec solidaire a perdu un peu plus de 450 voix dans Jeanne-Mance—Viger de 2012 en 2014 (ce qui représente près de 30% de ses voix de 2012). C’est un rappel important qu’une personne qui a voté Québec solidaire n’est pas à tout jamais acquise au parti.

D’après les projections pour cette élection-ci, la circonscription, qui couvre exactement le territoire de l’arrondissement de Saint-Léonard, devrait quitter le bas du palmarès et revenir à un classement qui s’approche davantage à celui de 2012.

Bryan Breguet de Too Close To Call reconnaît néanmoins qu’il surestime probablement cette circonscription de l’est de Montréal.

Montréal, cette région si diversifiée

C’est l’occasion de revenir à Pierre Drouilly, cité dans le billet sur l’abstentionnisme. La première fois qu’on m’en a parlé, c’était pour me parler de ses régions sociologiques du Québec. Il divise le Québec en dix régions, incluant trois à Montréal.

Aucun sondage n’atteint ce niveau de précision: au mieux, les sondeurs donnent les résultats ventilés de l’est et de l’ouest de Montréal séparément. Toutefois, je crois que la distinction que Drouilly fait dans l’est de l’île est très importante. Il isole le nord-est de Montréal, dans lequel on trouve beaucoup d’allophones.

Sources: «Fichiers de la géométrie des circonscriptions électorales du Québec (2017)». Élections Québec. Consulté le 26 septembre 2018; Drouilly, Pierre. «La structure des appuis aux partis politiques québécois, 1998-2008». Dans Les partis politiques québécois dans la tourmente: Mieux comprendre et évaluer leur rôle, 131‑68. Québec: Presses de l’Université Laval, 2012.

Ci-dessus, vous voyez les 27 circonscriptions montréalaises de la carte de 2017 réparties dans les trois régions sociologiques de Drouilly: l’Ouest de Montréal en rouge, l’Est en bleu et le Nord-est en jaune.

Ci-dessous, une carte conçue par l’agglomération de Montréal à partir des données du recensement 2016 pour montrer les différentes concentrations d’allophones sur l’île (les quadrilatères plus foncés représentes des coins avec plus de ménages allophones).

Carte de la concentration des allophones à Montréal (2016)
Source: «L’Atlas sociodémographique 2016: Agglomération de Montréal». Recensement de 2016. Montréal en statistiques. Ville de Montréal: Service du développement économique, septembre 2018, p. 21.

Les appuis à Québec solidaire augmentent beaucoup dans la moitié est de l’île. Peut-être même que le parti plafonne à cet endroit et que son vote devient inefficace comme celui du Parti libéral dans le West Island. Cela signifierait que chaque point de pourcentage supplémentaire n’apporte pas nécessairement plus de sièges parce qu’on atteint des scores vraiment élevés dans certaines circonscriptions sans que ce soutien «déborde» au-delà de celles-ci.

Toutefois, on ne sait pas si Québec solidaire monte tant dans le nord-est (plus allophone) que dans l’est (francophone) de l’île. Les sondages ne distinguent pas entre anglophones et allophones, donc on n’a pas plus de données sur lesquelles se fier.

Bref, la montée de Québec solidaire sur l’île de Montréal, particulièrement dans sa moitié est, se traduit dans les projections par une hausse dans des circonscriptions comme Jeanne-Mance—Viger. Nous verrons le 1er octobre si c’est vrai ou si c’est dû à l’amalgation de tout l’est de l’île dans les sondages.

Maintenant qu’on a situé un peu la géographie du vote solidaire, revenons à nos vidéos.

Dépenses électorales ou pas?

Deux aspects de la publicité peuvent coûter de l’argent:

  • sa production;
  • sa diffusion.

Les graphistes et vidéastes qu’on emploie pour faire de la publicité —qu’elle soit en ligne, dans les journaux, à la radio ou à la télévision— peuvent être bénévoles ou payés. Dans le dernier cas, leur rémunération compte comme une dépense électorale.

Comme Sylvain A. Trottier l’expliquait la semaine dernière à Pop en stock:

Si, par exemple, je fais une vidéo, mais que ma vidéo, je la fais avec mon téléphone, j’le fais avec un ami, pis que personne ne me charge dans l’histoire, c’est pas une dépense électorale, donc j’peux l’faire sans limitation quelconque7.

En matière de diffusion, les médias exigent habituellement des frais contre de l’espace publicitaire. La révolution des «médias sociaux», c’est justement de démocratiser la diffusion en la rendant dans beaucoup de cas gratuite.

Comme nous avons vu dans le dernier billet, les médias sociaux sont considérés comme un espace public, du moins pour les personnes candidates. Ainsi, cette forme de diffusion publicitaire n’est aucunement limitée. Si on paie Facebook pour «sponsoriser» une publication de notre page, c’est-à-dire augmenter sa visibilité, ce coût de diffusion devient une dépense électorale.

Autrement dit, un parti peut publier gratuitement sur les réseaux sociaux autant de publicités conçues bénévolement qu’il ne le veut…

Et donc avoir beaucoup plus de publicités qu’un autre parti qui lui fait des dépenses pour chacune de ses publicités-là8.

comme l’a suggéré Sylvain à Pop en stock.

Vidéos devenus viraux

La vidéo de Brome-Missisquoi a été tournée par Olivier Jobin sous la direction de Thomas Fontaine, qui a également effectué le montage. Ils ont été payés, par peur comme à Rouyn en 2012 de faire accroc à la Loi électorale.

Le cas est similaire pour celle de la campagne d’Ismaël Seck dans Jeanne-Mance—Viger: le vidéaste et l’artiste qui a composé et interprète la chanson ont été payés. Les personnes qui apparaissent dans le vidéo clip sont bénévoles.

La diffusion dans les deux cas a d’abord été organique, c’est-à-dire qu’elle résultait du partage des personnes qui ont vu la publication sur la page Facebook de la campagne. Autrement dit, la production de cette publicité n’a pas été bénévole, mais sa diffusion était au départ gratuite. Les deux équipes ont depuis «sponsoriser» leur publication Facebook.

Voici ce qu’elles ont récolté comme circulation en date du mercredi 26 septembre à 18h:

Titre 2050: je me souviens Es-tu solidaire?
Circonscription Brome-Missisquoi Jeanne-Mance—Viger
Mise en ligne 18 septembre 2018 21 septembre 2018
Nb de vues +216000 +22000
Nb de partages +4300 452
Nb de réactions +3400 477
Nb de commentaires 597 134

La vidéo de Brome-Missisquoi est donc un peu moins de 10 fois plus populaire que celle de Jeanne-Mance—Viger, même si cette dernière a fait l’objet d’un article dans la section «Sac de chips» du Journal de Québec9.

Depuis lundi, deux autres vidéos produites par des créateurs de contenu circulent dans mes réseaux solidaires sur Facebook. Tout d’abord, on retrouve La Coalition de l’Anneau – une parodie de politique québécoise d’Alex Dornier, qui avait fait ses débuts en 2011 avec Harry Potter et la STM suivi en 2012 de Harry Potter et la GGI10. Ensuite, il y a Promesses électorales à l’hélium (avec Manon Massé) sur la chaîne YouTube de PL Cloutier.

On en reparle dans le prochain billet!

Données sources

Vous pouvez consulter le tableur qui a permis de faire le graphique sur Google Spreadsheets.

Notes

La leçon de droit constitutionnel de Maître Marchi

Qui désigne le premier ministre du Québec (et comment)?

Lors du débat des chefs tenu le jeudi 20 septembre sur les ondes de TVA, le chef du Parti québécois, Jean-François Lisée, a demandé à la porte-parole de Québec solidaire, Manon Massé, qui était le véritable chef de Québec solidaire.

(Nous constatons que le chef du Parti québécois est un auditeur assidu de L’Antichambre électorale puisque c’était notre question piège lundi dernier, posée dans une discussion qui a commencé à 13:05.)

Un peu après la fin du débat, un collègue juriste s’est posé la question sur Facebook: «Est-ce que quelqu’un qui n’est pas le chef de son parti auprès du DGEQ peut légalement être premier ministre du Québec?»

Dans la vie de tous les jours, je pratique le droit municipal. Toutefois, lorsque des questions existentielles se posent et que l’appel de la Nation se fait sentir, le constitutionnaliste en herbe qui sommeille en moi sort de sa tanière. Comme je ne suis pas un expert en la matière, j’ai dû faire quelques recherches pour me faire une tête, ce qui me permet maintenant d’assumer ma posture de donneur de leçon.

Loi constitutionnelle

Pour suivre ma réflexion, je vous propose de vous mettre dans la peau de Tuan, un nouvel arrivant qui cherche à comprendre nos institutions. Soucieux d’être en mesure de soutenir une discussion avec l’homo quebecus (ou de devenir un champion de Génies en herbe), Tuan s’attaque à la lecture de nos textes constitutionnels pour découvrir le fonctionnement du gouvernement du Québec.

An Act for the union of Canada, Nova Scotia and New Brunswick: and the government thereof and for purposes connected therewith
Copie numérisée par Internet Archive de l’exemplaire de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique conservé à l’université de Toronto

Tout d’abord, Tuan lit la version anglaise de la Loi constitutionnelle de 1867 (qu’on appelait autrefois l’Acte de l’Amérique du Nord britannique), parce qu’il sait que cette loi britannique du 19e siècle a été adoptée en anglais seulement par le parlement de Westminster.

En 1982, Londres nous a fait la faveur d’adopter la Loi constitutionnelle de 1982 dans les deux langues officielles du Canada (deux ans après le référendum de 1980, c’était politiquement bien avisé de nous fournir une version française officielle), mais aucune version française du texte de 1867 n’a été adoptée à ce jour. Pourtant, ce texte définit une bonne partie de nos institutions politiques et prévoit notamment le partage des compétences entre le Parlement fédéral et les législatures provinciales.

Pour faciliter la compréhension, vous m’excuserez de citer quand même la traduction française de la Loi constitutionnelle de 1867 (que j’appelerai par son petit nom, LC 1867), traduction préparée par un comité de rédaction constitutionnelle française pour une éventuelle adoption.

Le premier ministre, ce grand absent de la Constitution

En lisant cette loi de 1867, Tuan apprend premièrement que le pouvoir exécutif est exercé par la Reine (c’est prévu explicitement pour le gouvernement fédéral à l’article 9 mais je peux, sans trop de risque de me tromper, étendre le principe aux gouvernements provinciaux).

Britain's Queen Elizabeth II poses for Annie Leibovitz with her five great-grandchildren and her two youngest grandchildren in Windsor Castle to mark her 90th birthday
© Annie Leibovitz, 2016.

Comme la Reine est un peu occupée à garder ses arrière-petits-enfants et à diriger les 16 pays dont elle est le chef d’État, l’article 58 prévoit qu’elle a au Québec un délégué, le lieutenant-gouverneur J. Michel Doyon.

Continuant sa lecture, Tuan apprend, à l’article 63, que le lieutenant-gouverneur est assisté dans ses fonctions par un conseil exécutif (le conseil des ministres), composé des personnes qu’il juge à propos de nommer. Ça ne l’avance pas beaucoup, mais le texte de l’article lui indique tout de même la composition du premier conseil exécutif. Tuan sort une feuille blanche et dessine la table du conseil exécutif.

Autour de la table, il place:

  • le procureur général (une fonction qu’on associe aujourd’hui au ministre de la Justice);
  • le secrétaire et registraire de la province (des fonctions administratives assumées également par le ministre de la Justice aujourd’hui);
  • le trésorier de la province (l’équivalent du ministre des Finances d’aujourd’hui);
  • le commissaire des terres de la Couronne (ministre des Ressources naturelles); et
  • le commissaire d’agriculture et des travaux publics (ministre de l’Agriculture et des Transports).

On était loin de s’imaginer, à l’époque, qu’il y aurait un jour des ministres de la Santé et de l’Éducation. Et surtout, pas de premier ministre!

Pourtant, le Québec avait bel et bien un premier ministre dès 1867, en la personne de Pierre-Joseph-Olivier Chauveau. Ne vous inquiétez pas pour lui, il était membre du conseil exécutif, puisqu’il était aussi secrétaire et registraire de la province.

Ce qui nous permet d’arriver à notre première leçon: la fonction de premier ministre, du Canada et des provinces, n’est mentionnée nulle part dans la Constitution du Canada, sauf à deux endroits qui ne concernent pas spécifiquement cette fonction.

En effet, les rédacteurs de la Loi constitutionnelle de 1982 ont fait référence à la fonction de premier ministre dans deux articles qui concernent les droits des autochtones et la révision de la procédure de modification constitutionnelle, sans se formaliser du fait que cette fonction n’est définie nulle part dans la Constitution.

C’est totalement représentatif de la tradition juridique britannique: les institutions apparaissent et acquièrent une importance capitale, sans être obligatoirement définies dans les lois écrites.

Oui mais non

L’illustration est frappante, mais je dois avouer avoir pris un petit raccourci. C’est que le Parlement du Québec a la compétence pour «modifier la constitution de la province» (selon l’article 45 de la Loi constitutionnelle de 1982 et, auparavant, l’alinéa 92(1) de la LC 1867). Dans l’exercice de cette compétence, l’Assemblée nationale a adopté de nombreuses lois ordinaires qui définissent la structure de notre État, en plus des lois constitutionnelles. Pensons à la Loi sur l’Assemblée nationale, à la Loi sur l’exécutif et à la Loi sur les tribunaux judiciaires. Ainsi, la Loi sur l’exécutif prévoit la composition contemporaine du conseil exécutif, et notamment la fonction de premier ministre.

L’article 4 de la Loi sur l’exécutif prévoit que le lieutenant-gouverneur nomme les membres du conseil exécutif, dont le premier ministre (en fait, la loi n’aurait pas pu prévoir autre chose sans contrevenir à la constitution). C’est donc le lieutenant-gouverneur, J. Michel Doyon, qui choisira le prochain premier ministre, à sa discrétion (dont l’exercice, on le verra, est guidé par les des règles non écrites). Vous savez maintenant où envoyer votre curriculum vitae.

Comme ce serait un peu plate si on s’arrêtait sur cette réponse, nous aborderons dans le prochain billet les conventions, ces règles constitutionnelles non écrites, et la fonction de chef de parti politique.

Réaction

Visibilité et dépenses électorales

Avant-hier, mon collègue Martin était de passage à l’émission Pop en stock à CHOQ, la radio étudiante de l’UQAM. Ç’a abondamment discuté de publicité sur les réseaux sociaux, mais aussi de la publicité gratuite que constituent les memes, citant au passage les enfants de François Legault qui se présentent pour Québec solidaire1.

Hier matin, je suis tombée sur la meilleure vidéo de campagne locale de Québec solidaire depuis celle de Rouyn-Noranda en 2012: elle vient justement de celle d’Alexandre Legault dans Brome-Missisquoi. J’ai trouvé que l’univers faisait bien les choses.

Ce matin, j’apprenais que le Directeur général des élections (DGEQ) avait mis en demeure la Centrale des syndicats du Québec (CSQ) pour des raisons similaires qu’Équiterre plus tôt cette semaine2. Les règles ne sont donc visiblement pas les mêmes pour les partis et les groupes de la société civile. Ou est-ce une différence entre site Web et réseaux sociaux?

Dépenses électorales: autorisation et plafond

D’après la porte-parole du DGEQ Julie St-Arnaud Drolet, «donner de la visibilité à un parti constitue une dépense électorale»3. Ok, qu’est-ce que ça change?

Deux choses:

  • les dépenses électorales doivent être approuvées par l’agent officiel ou l’agente officielle d’une personne candidate ou d’un parti;
  • elles sont soumises à un plafond de dépenses.

Payé et approuvé par…

Martin a parlé de la fonction d’agente ou d’agent officiel en parlant des mises en candidature dans le premier épisode de L’Antichambre électorale de 9:38 à 10:15:

Ça vous prend aussi un agent officiel: ça c’est la personne qui va autoriser vos dépenses. Déjà, dès le départ, si vous êtes tout seul, ça marche pas!

Vous devriez voir le nom de l’agente ou de l’agent officiel sur tout ce qui donne de la visibilité aux personnes candidates, comme les pancartes, les dépliants, même les macarons.

Avant, on écrivait systématiquement «Payé et autorisé par…», mais maintenant plusieurs partis n’indiquent que le nom de la personne suivi de la mention «agent officiel» ou «agente officielle».

La porte-parole du DGEQ cite à cet effet l’article 413, inchangé depuis l’adoption de la Loi électorale:

Pendant la période électorale, seul l’agent officiel d’un candidat ou d’un parti autorisé ou son adjoint peuvent faire ou autoriser des dépenses électorales4.

Max 0,75$ par électeur et électrice

Le plafond des dépenses électorales est défini à l’article 426 et indexé à chaque année en fonction de de l’indice moyen des prix à la consommation (IPC).

C’est un montant par électeur ou électrice, donc le plafond varie de circonscription en circonscription: les personnes candidates dans les plus grandes peuvent dépenser plus d’argent. Un montant plus élevé est toutefois accordé aux circonscriptions de régions éloignées: Rouyn-Noranda–Témiscamingue, Ungava (Nord-du-Québec), René-Lévesque et Duplessis (Côte-Nord) et Îles-de-la-Madeleine.

Limite de base 0,75 $
Duplessis
Rouyn-Noranda–Témiscamingue
René-Lévesque
Ungava
0,95 $ (0,75 $ + 0,20 $)
Îles-de-la-Madeleine 1,67 $ (0,75 $ + 0,92 $)

Source: «Limites des dépenses électorales». Élections Québec, 2018.

À ce montant s’ajoute un montant pour la campagne nationale de chaque parti politique. Il s’agit de 0,69$ pour chaque électeur ou électrice dans les circonscriptions où le parti présente une candidature.

Les quatre partis représentés à l’Assemblée ont donc le même plafond des dépenses électorales parce qu’ils présentent tous des candidatures dans chacune des 125 circonscriptions.

À l’autre bout du spectre, les partis qui ne présentent qu’un seul candidat (des hommes dans les deux cas) ont tout de même un avantage sur les candidatures indépendentes parce qu’ils peuvent dépenser presque le double (0,75$ + 0,69$ par électeur et électrice).

Qu’est-ce qui compte comme une dépense électorale?

C’est bien beau tout ça, mais qu’est-ce qui doit être autorisé par l’agente ou l’agent officiel et conséquemment être assujetti aux limites de dépenses? Équiterre et la CSQ ne croyaient pas que leur campagne d’information devait l’être. (La CSQ a obtempéré, mais Équiterre est prête à contester une éventuelle amende du DGEQ devant les tribunaux.)

D’après la mise en demeure reçue par Équiterre, son «document» est une «publicité»:

Comme ce document d’analyse et l’utilisation du site web pour le diffuser impliquent nécessairement un coût, cette publicité constitue une dépense électorale5

La porte-parole du DGEQ ajoute dans un article sur la mise en demeure reçue par la CSQ:

le coût de tout bien ou service utilisé pendant la période électorale pour diffuser ou combattre le programme ou la politique d’un candidat ou d’un parti représente une dépense électorale6

À cet effet (et c’est peut-être un ajout tardif), il est indiqué en haut de la démarche sur la deuxième page du document de la coalition environnementale et citoyenne:

Ce document a une visée informative exclusivement. Il ne vise pas à favoriser ou défavoriser, à diffuser ou à combattre un programme, à approuver ou désapprouver, un parti ou des mesures préconisées par celui-ci7.

Revenons à la mise en demeure. Le DGEQ considère visiblement deux coûts:

  • l’analyse;
  • l’hébergement, la création et le maintien du site Web.

Le premier est définitivement contestable puisqu’il s’agit «des réponses des principales formations politiques» (lire les quatre partis représentés à l’Assemblée nationale) à des questions posées par une coalition d’organisme.

Lettres aux organismes

C’était ma tâche principale en 2008 et en 2012 de répondre aux lettres des organismes: un travail extrêmement long et ardu qui offre très peu de gratifications parce qu’il se fait généralement dans l’ombre.

En 2008, j’en ai envoyé une cinquantaine et, en 2012, plus de 80. Combien d’organismes vous ont fait part des engagements de Québec solidaire à l’époque? Voilà, c’est ce que je disais: un travail de l’ombre.

Le travail d’analyse des plateformes a effectivement un coût mais, lorsque les organismes envoient des questionnaires aux partis politiques, la facture est refilée aux partis, qui doivent payer quelqu’un pour le faire (ou rediriger de l’énergie bénévole vers cette tâche). La «dépense électorale» est donc engagée par le parti, pas l’organisme.

Qui plus est, à quoi ça sert aux partis de répondre aux organismes s’ils n’ont pas le droit de diffuser les réponses sur leur site Web?!? Si seuls les médias ont droit de diffuser les réponses que leur donnent les partis, on a un problème démocratique.

(Certes, le DGEQ pourrait répondre que la révision des réponses obtenues gratuitement constitue une analyse supplémentaire qui engendre son propre coût8.)

Réglementation de la publicité (or lack thereof)

L’autre coût que considère le DGEQ dans le cas d’Équiterre est «l’utilisation du site web pour […] diffuser» le document. Effectivement, avoir un site Web, ça coûte de l’argent.

Est-ce que cela signifie que si Équiterre s’était contenté de publier le contenu du document sur sa page Facebook, sur sa chaîne YouTube et sur ses comptes Instagram, Twitter et Linkedin, le DGEQ n’aurait pas pu lui imputer des coûts de diffusion parce que l’utilisation de ces plateformes est gratuite?

C’est ici qu’on revient à l’émission Pop en stock. L’un des invités de cette semaine, Sylvain A. Trottier, se posait justement la question à savoir si la publicité sur les réseaux sociaux comptait dans les dépenses électorales, et donc dans le plafond des dépenses. Il a donc passé un coup de fil au Directeur général des élections (DGEQ).

Il a constaté que la publicité gratuite qu’offre le partage sur les réseaux sociaux n’est pas règlementée:

Des candidats peuvent faire des publications, et ils n’ont pas besoin de payer pour une publication. C’est une publication comme si j’étais sur la place publique et que je disais quelque chose9.

Toutefois, si de l’argent entre en jeu, la dépense doit être approuvée par l’agent officiel et est sujette au plafond des dépenses électorales.

Puisque sa question portait spécifiquement sur la publicité qu’effectuent les partis, on ne sait pas si le DGEQ considère que seuls les «candidats peuvent faire des publications» gratuites sans qu’elles comptent comme dépenses électorales, ou si ce droit est également accordé à tout membre de la société civile.

Dans le prochain billet, je reviendrai sur les vidéos que diffusent les personnes candidates sur Facebook et ma surprise à la vue de celle de Québec solidaire dans Brome-Missisquoi.

Notes

Réaction

L’électorat est encore très volatile à la veille du dernier débat

Vous l’avez sans doute déjà lu dans les médias: à la lumière des sondages Mainstreet et Léger de cette semaine, nous avons maintenant une vraie course.

Plutôt que chaque parti s’en tienne soigneusement à son couloir (CAQ dans le 1er, PLQ dans le 2e, PQ dans le 3e et QS dans le 4e), les deux meneurs zigzaguent entre les deux premiers couloirs et font monter la pression sanguine de Bryan Breguet à Too Close To Call:

Mon cauchemar (en tant que “projectionniste”): l’incertitude vient de passer de très faible à quasiment maximale. Pour preuve, les distributions aujourd’hui vs le 7 septembre

Source: Breguet, Bryan. Tweet. @2closetocall, 19 septembre 2018.

Les deux graphiques dans cette vidéo présentent à la verticale le nombre de simulations, sur 10000, qui donnent un certain nombre de sièges (sur l’axe horizontal) à chacun des trois principaux partis (différenciés par couleur).

Les courbes de distribution des sièges de la Coalition avenir Québec (mauve) et du Parti libéral du Québec (rouge) se chevauchent maintenant complètement. Deux semaines auparavant (deuxième graphique), elles étaient presque aussi distinctes l’une par rapport à l’autre qu’elles ne le sont par rapport à celle du Parti québécois (bleu).

Course serrée et électorat volatile

La course se resserre alors que l’électorat demeure très volatile. Commençons par jeter un coup d’œil à notre graphique habituel, mis à jour grâce au rapport du dernier sondage Léger:

Visiblement la volatilité de l’électorat fait du surplace. Toutefois, ça commence à être difficile de comparer avec les élections précédentes.

Ayant déjà établi que le choix définitif (barres bleues) était la donnée la plus significative (plutôt que «Probable que je change d’avis» en rouge), je me suis dit qu’on pourrait visualiser uniquement celle-là en «empilant» les campagnes électorales plutôt que de les mettre côte à côte.

Évolution de la volatilité durant la campagne

En modifiant le script que j’utilise dans R pour faire les graphiques d’intentions de vote avec barres d’erreur, voici ce que j’ai pu produire. On constate que l’électorat est plus volatile qu’il ne l’a jamais été à ce moment-ci dans une campagne électorale.

Volatilité de l'électorat au fil des campagnes électorales des 10 dernières années selon les sondages Léger

Sur l’axe vertical, on trouve la proportion de personnes sondées dont le choix est définitif parmi celles qui ont nommé un parti dans leurs intentions de vote (et donc excluant les personnes indécises). Plus un point est bas, donc, plus l’électorat est volatile (moins de personnes ont fait un choix qu’elles jugent définitif).

Les sondages de cette élection sont en saumon. Le premier sondage est donc particulièrement bas, mais nous n’avons pas de comparatif dans la précampagne durant les autres élections. En 2012 (vert) et en 2014 (turquoise), les premiers sondages de la campagne se sont terminés autour du jour du déclenchement (jour J – 35).

En 2014, la proportion de personnes qui avaient fait un choix définitif était définitivement plus élevée tandis que les marges d’erreur pour les valeurs au déclenchement en 2012 et en 2008 se chevauchent.

Le premier sondage qui mesurait la volatilité en 2008 (mauve) est apparu à trois semaines du scrutin. Elle était alors comparable à celle que Léger a mesuré la semaine dernière (à jour J – 21).

Au sondage suivant de 2008, toutefois, la proportion de personnes dont le choix était définitif avait confortablement dépassé la barre des 60% (à jour J – 15). Dix ans plus tard, nous sommes toujours solidement sous la barre des 60%.

Comme tout le monde le dit, le débat de demain soir (jeudi) risque d’être crucial, de même que l’enregistrement le lendemain (vendredi) de l’émission de Tout le monde en parle, qui sera diffusée dimanche soir.

Solidité du vote de chaque parti

La semaine dernière, j’avais noté une mauvaise nouvelle pour le Parti québécois (PQ): son électorat avait crû mais était plus volatile. Cette semaine, c’est au tour du Parti libéral du Québec (PLQ) et de la Coalition avenir Québec (CAQ) de voir la solidité de leur électorat baisser. Le PQ reprend à cet égard un peu du poil de la bête.

L’électorat de Québec solidaire (QS) est toujours le plus volatile des quatre partis représentés à l’Assemblée nationale. Toutefois, avec la baisse de la proportion de personnes qui ont fait un choix définitif parmi les personnes qui ont l’intention de voter pour la CAQ, le PLQ et le PQ, l’écart est beaucoup moins grand entre les trois plus grands partis et QS.

J’ai déjà hâte au prochain sondage de Léger, qui sera peut-être le dernier!

En effet, depuis les dix dernières années, Léger sort toujours un sondage la fin de semaine précédant le scrutin complété le jeudi précédant (jour J – 4). Le sondage d’hier a été complété au jour J – 14, un sondage est donc à prévoir dans 10 jours… pas certaine qu’il reste de la place pour un autre entre les deux!

Données sources

Vous pouvez consulter le tableur qui a permis de faire le graphique sur Google Spreadsheets.

 

 

L'Antichambre électorale

S01E01 — Ça aussi, c’est un micro?

Martin et Marie parlent de sondages, de pointage et de pancartes à L'Antichambre électorale

Dans cet épisode inaugural, enregistré le mercredi 28 août 2018, Martin et Marie discutent d’élections à date fixe, de la volatilité de l’électorat, de mises en candidature, des petits partis, de pancartes et de bénévoles.

Réalisé par la lumineuse Gabrielle Labelle Joly.

Le langage employé par moment dans cet épisode n’est peut-être pas approprié pour des petites oreilles.

Billets discutés

Voir aussi

Références

5:02
Lajoie, Geneviève. «La CAQ domine un électorat volatil: un Québécois sur deux pourrait changer d’idée». Le Journal de Québec. 18 août 2018.
9:39
«Se porter candidate ou candidat». Élections Québec. Consulté le 28 août 2018.
15:26
Guidara, Amin. «Voter pour un Québec américain». La Presse+, 27 août 2018, sect. Actualités, écran 9.
26:00
Loi sur les élections et les référendums dans les municipalités, chapitre E-2.2, Recueil des lois et des règlements du Québec (1987).
Réaction

Jeunes, vertu et abstention

Jeudi était jour de débat, mais c’était aussi le jour où s’est tenu un colloque sur les jeunes et le/la politique. Dans ce cadre, La Presse a diffusé un sondage Ipsos concernant uniquement les jeunes de 18 à 25 ans (la catégorie habituelle est 18 à 35 ans).

Participation électorale des jeunes

Nous avons parlé il y a deux semaines des divergences entre Léger et Mainstreet concernant les intentions de vote chez les jeunes. Le sondage de cette semaine ne comportait pas de question sur les intentions de vote, mais plutôt sur l’intérêt envers la campagne, l’intention d’aller voter (sans demander pour qui) et les enjeux les plus importants.

Ce qui m’a marqué, c’est que 81% des jeunes sondés disaient avoir l’intention d’aller voter1.

Il n’y aurait donc pas de différences à prévoir selon l’âge en termes de participation électorale? En août, Léger avait trouvé que 79% des personnes qui leur ont répondu étaient «certaines» d’aller voter2. (C’est pas exactement la même question, comme faisait remarquer Martin Leduc3, mais les résultats sont tout de même comparables.)

Ça surprend parce qu’on décrie depuis longtemps le problème de la participation électorale épouvantablement basse des jeunes. En 1985, un peu moins des deux tiers des moins de 25 ans ont voté tandis que c’était les trois quarts de la population totale. En 2008, c’était moins de 40% des moins de 25 ans (contre 57% pour l’ensemble de la population ayant droit de vote)4.

Merveilleux! Le problème du décrochage des jeunes serait réglé!

Or is it?

J’ai plutôt l’impression qu’une partie de ces jeunes sont soit remplis de bonnes intentions, soit qu’ils connaissent la bonne réponse et c’est ça qu’ils répondent. (Un peu comme quand le dentiste nous demande si on passe la soie dentaire à tous les jours.)

C’est ce qu’a répondu aussi Sébastien Dallaire, premier vice-président et directeur général pour le Québec chez Ipsos:

Les sondages surestiment l’intention d’aller voter depuis…toujours. Peu importe l’âge.  Il y a une question de désirabilité sociale, mais aussi les gens peuvent avoir “l’intention” d’y aller, mais sans forte conviction et ne se déplacent pas le jour j5.

Quand il parle de «désirabilité sociale», il parle de savoir c’est quoi la bonne réponse.

Sondages et participation électorale

Comme Sébastien Dallaire dit, ce ne sont pas que les jeunes: c’est connu, les gens votent davantage dans les sondages que dans la vraie vie. En fait, je devrais dire que c’est documenté.

Dans un sondage post-électoral, en 2012, 90% des personnes sondées ont répondu avoir voté6. Le taux de participation provincial, toutefois, était de 75%. Un sondage post-électoral de 2008 a été complété par 74% de personnes qui disaient avoir voté alors que le taux de participation avait été de 57%7.

Les chercheurs de 2012 écrivent que c’est «parce que les abstentionnistes sont moins enclins à répondre aux sondages.» Pierre Drouilly, un sociologue qui commentait les résultats du sondage post-électoral de 2008, semble plus d’avis que c’est une question de «bonne réponse»:

Cette sous-estimation du taux de participation est probablement le reflet d’un discours social normatif, moraliste et réprobateur sur le “mauvais citoyen” qui néglige son “devoir démocratique”, alors qu’ailleurs dans le monde, “des gens meurent pour acquérir le droit de voter”8

Il pense donc que les personnes qui répondent aux sondages «manque de sincérité», plutôt que de conclure que les abstentionnistes ne répondent pas au sondage.

Il serait en fait théoriquement possible de vérifier si les personnes sondées mentent ou pas: les abstentionnistes sont le seul groupe de l’électorat auxquelles on peut attacher des données nominatives.

Les «feuilles de bingo»

Le vote est secret (au grand dam d’organisateurs et d’organisatrices comme moi), donc on ne pas savoir avec certitude qui vote CAQ, QS ou Bloc Pot: il faut demander, et les gens ont droit de mentir ou de ne pas répondre.

Sauf que vous avez remarqué, quand vous allez voter, qu’on barre votre nom de sur la liste électorale? C’est pour s’assurer que vous ne reveniez pas voter une deuxième fois. Mais ça veut quand même dire qu’on sait qui a voté et qui n’a pas voté (avec nom, adresse et date de naissance).

Les partis bien organisés utilisent cette information les jours de scrutin (vote par anticipation et le «vrai» jour d’élection) pour savoir qui, parmi les personnes qui les appuient, appeler et rappeler —et rappeler encore!— parce qu’ils et elles ne seraient pas encore aller voter.

Pour y arriver, chaque parti a des runners dans chaque circonscription où il fait sortir son vote. Ces personnes font en voiture ou à vélo la tournée de tous les bureaux de scrutin à chaque heure pour aller chercher les «feuilles de bingo». Celles-ci donnent les numéros d’électeur des personnes qui ont voté depuis la dernière feuille.

On les appelle des «feuilles de bingo» parce que, dans le bon vieux temps que je suis assez vieille pour avoir connu, les directions de scrutin ne fournissaient pas cette information.

Les partis postaient donc des bénévoles à chaque table avec une liste de personnes qui les appuyaient: la fameuse «feuille de bingo». Le personnel électoral donnait le numéro de la personne qui se rendait dans l’isoloir et, quand comme bénévole tu avais ce numéro sur ta feuille, tu criais «bingo!» (intérieurement).

Dans ce bon vieux temps, donc, les runners faisaient la tournée pour ramasser les feuilles de bingo de chaque bénévole de son parti dans chaque bureau de scrutin. Ça faisait beaucoup de va-et-vient et prenait beaucoup d’énergie bénévole pour nourrir la machine à faire sortir le vote!

Différentes sortes d’abstentionnistes

Tout ça pour dire que si les partis savent qui a voté et qui n’a pas voté, les membres de la communauté de recherche universitaire devraient pouvoir le savoir aussi. Il y a sans doute des enjeux de confidentialité qui font en sorte qu’ils n’utilisent pas cette source d’information.

Dans l’article cité ci-dessus, Drouilly a néanmoins caché une typologie intéressante de l’abstentionnisme dans une note de bas de page:

  • l’abstentionnisme «forcé»;
  • l’abstentionnisme «structurel»;
  • l’abstentionnisme «conjoncturel»9.

Abstentionnisme «forcé»

C’est ainsi que Drouilly désigne les personnes qui voulaient aller voter, mais ont eu un empêchement de dernière minute. Il évalue que ça explique l’abstentionnisme de 5% de l’électorat, parce que «c’est le taux qu’on observe dans les pays où le vote est obligatoire».

Le plus intéressant, pour moi, est que c’est exactement le même taux qu’ont trouvé les chercheurs de 2012, sans utiliser le terme! En effet, en construisant le questionnaire du sondage post-électoral, ils sont procédé à une expérience (une information qu’eux aussi ont caché dans une note de bas de page10).

Pour la moitié des personnes sondées, le choix de réponse était binaire (avez-vous voté? oui/non).

L’autre moitié avait quatre choix:

  • «je n’ai pas voté»;
  • «je voulais voter mais je ne l’ai pas fait»;
  • «d’habitude je vote mais je n’ai pas voté cette fois»; et
  • «je suis certain d’avoir voté à cette élection».

Sans surprise, des choix de réponse différents donnent des résultats différents:

Le pourcentage d’abstentions est légèrement plus élevé (5 points) quand on offre aux gens la possibilité de dire qu’ils n’ont pas voté cette fois mais que la chose n’est pas coutume.

Ça ressemble pas mal à la définition de l’abstentionnisme forcé de Drouilly.

Abstentionnisme «structurel»

Drouilly s’étend peu sur ce type d’abstentionnisme:

c’est un abstentionnisme d’origine sociologique, qui est le fait de populations défavorisées au plan économique, culturel et politique. Il est aussi le fait de populations en situation d’anomie sociale et (ou) d’isolement géographique.

C’est ce qui expliquerait donc que les habitations à loyer modique (HLM) votent peu, même lorsque les partis tentent spécifiquement de rejoindre les populations défavorisées qui y vivent. (L’équipe de Françoise David avait été déçue de constater que ses efforts particuliers n’avaient pas été récompensés dans Gouin en 2008.)

Si l’abstentionnisme «forcé» est donc temporaire pour une personne donnée, l’abstentionnisme «structurel» serait difficile à changer sans améliorer les conditions de vie des personnes qu’il affecte:

C’est l’abstentionnisme structurel qui explique que certaines circonscriptions votent toujours moins que la moyenne: ce sont généralement des circonscriptions défavorisées dans les centres urbains comme le Centre-Sud de Montréal (Hochelaga-Maisonneuve, Sainte-Marie-Saint-Jacques, Saint-Henri-Sainte-Anne), ainsi que certaines circonscriptions éloignées (en Gaspésie, en Abitibi-Témiscamingue, sur la Côte-Nord).

Drouilly évalue l’abstentionnisme «structurel» à environ 10%-15% parce que «dans le meilleur des cas les taux de participation ont de la difficulté à dépasser les 80%».

Abstentionnisme «conjoncturel»

C’est le type d’abstentionnisme qui intéresse le plus Drouilly parce qu’il croit que c’est lui qui fluctue d’élection en élection: il dit qu’il «origine du contexte de chaque consultation».

À une élection donnée, des électeurs peuvent s’abstenir davantage, soit qu’ils ne trouvent pas de parti à leur goût (c’était le cas des électeurs souverainistes aux élections fédérales avant l’apparition du Bloc québécois); soit qu’ils soient en rupture avec leur parti naturel, mais pas au point de voter pour l’adversaire; soit encore que l’enjeu de la consultation leur soit indifférent.

Drouilly, dans son article, analyse les quatre élections qui se sont déroulées entre 1998 et 2008. En 2007 et 2008, le taux de participation a connu une chute spectaculaire. C’est d’ailleurs pourquoi le Directeur général des élections du Québec avait mandaté la Chaire de recherche sur la démocratie et les institutions parlementaires pour étudier «Les motifs de la participation électorale au Québec: Élection de 2008», une enquête citée ci-dessus.

Nous reviendrons à l’hypothèse principale de Drouilly et aux changements au taux de participation dans la dernière décennie. Un indice: Bryan Breguet en parle dans ce billet sur des ajustements qu’il a apportés à son modèle.

Notes

Mise à jour

La discorde persiste concernant les appuis de Québec solidaire

Demandez (sur Twitter) et vous recevrez!

Joseph Angolano, vice-président chez Mainstreet, m’a envoyé le lien vers le rapport de Mainstreet. J’ai donc pu mettre à jour mes graphiques d’intentions de vote avant répartition (avec les barres d’erreur!).

Intentions de vote avant répartition dans les sondages complétés entre le 7 et le 10 septembre 2018

Je n’ai inclus que les derniers Mainstreet et Léger parce que les sondages de CROP, d’Ipsos et de Forum datent d’avant le déclenchement.

On constate que tous les résultats sont compatibles (les barres d’erreur se chevauchent), sauf ceux pour Québec solidaire:

Intentions de vote pour QS avant répartition dans les sondages complétés entre le 7 et le 10 septembre 2018

En effet, aucune des barres d’erreur ne touche à la ligne des 12,5%.

Hier soir, à l’annonce des résultats du sondage Léger, Bryan Breguet de Too Close To Call avait fait remarquer que Léger et Mainstreet divergaient sur les intentions de vote pour la CAQ et pour QS:

En gros Léger et Mainstreet s’entendent parfaitement sur le PLQ et le PQ, mais Léger a la CAQ 5 points plus élevé et QS 5 points plus bas. Intéressant que les différences soient entre CAQ et QS1.

Il arrive à cette conclusion à partir des résultats après répartition. Comme on a vu, avant répartition, les deux firmes de sondage s’entendent sur le fait que les intentions de vote pour la CAQ se trouvent entre 27% et 31%.

Dans son billet de ce matin, Bryan s’étendait plus longuement sur le sujet, en rappelant la différence entre les sondages locaux et nationaux de Mainstreet qu’il avait évoquée dans son billet d’hier:

Mainstreet et Léger en fait s’entendent parfaitement sur le PLQ et le PQ. Par contre ils ont des chiffres fort différents pour la CAQ et QS. Mainstreet a ces partis à respectivement 31% et 16% alors que Léger les a à 35% et 11%. Une différence de 4-5 points pour chaque parti. Qui dit vrai? Impossible d’y répondre pour sûr mais les sondages par comté de Mainstreet sont bien plus cohérents avec une Coalition à 35%-36% et QS à 11%. Ainsi je serais tenté de dire que Léger a possiblement raison ici. Mais il nous faudra attendre d’autres sondages (et en fait l’élection) pour en être sûr2.

Je vous encourage à lire par vous-mêmes son billet sur les divergences entre les sondages locaux et nationaux de Mainstreet. Pour vous titiller, voici le tableau sur lequel il se base:

Résultats moyens des partis dans les 31 circonscriptions avec des sondages locaux
Source: Breguet, Bryan. «Les sondages par circonscription indiquent un raz de marée CAQ. Ont-ils raison?» Too Close To Call (blogue), 10 septembre 2018.

Récapitulons: d’une part, les sondages nationaux de Léger et de Mainstreet continuent d’être en désaccord sur les appuis pour QS. D’autre part, les sondages locaux de Mainstreet donnent des résultats qui s’inscrivent davantage dans ceux que publie Léger (CAQ plus haute, QS plus bas).

Données sources

Vous pouvez consulter le tableur qui a permis de faire les graphiques sur Google Spreadsheets.

Notes

Mise à jour

Un électorat péquiste en hausse, mais plus volatile

Mon Dieu qu’il était temps! Comme l’a dit sur Twitter Bryan Breguet, qui piaffait d’impatience:

Juste une observation générale mais quand il y a davantage de personnes/sites faisant des projections que de firmes offrant des sondages, c’est pas vraiment normal1.

C’est fait: ce matin, nous avons le rapport du dernier sondage mené par Léger du 7 au 10 septembre!

J’attends de mettre la main sur le rapport du sondage Mainstreet effectué du 5 au 7 septembre pour refaire le graphique des intentions de vote avant répartition des personnes indécises. (C’est fait!) Pour l’instant, je n’ai que l’article du Soleil, qui ne donne que les résultats après répartition.

Nous pouvons toutefois mettre à jour nos graphiques concernant la volatilité de l’électorat:

La volatilité de l’électorat est plutôt stable, avec la portion de l’électorat qui a fait un choix pour qui ce choix est définitif qui est passée en deux semaines de 56% à 58%.

Les résultats par parti choisi sont plus révélateurs:

Les intentions de vote pour le Parti québécois semblent en progression, avec une hausse de deux points de pourcentage en deux semaines (19% à 21% après répartition des personnes indécises). Toutefois, il est passé du parti à l’électorat le plus solide au deuxième plus incertain des quatre grands partis.

En effet, au sondage se terminant le 28 août, 64% des personnes qui disaient avoir l’intention de voter pour le PQ considéraient leur choix comme étant définitif. Au sondage qui s’est conclu hier, ce ne sont que 54% de l’électorat qui ont l’intention de voter PQ. Le parti de Jean-François Lisée est donc le seul qui a vu la volatilité de son électorat augmenter!

Est-ce donc le signe que des personnes qui hésitent entre le PQ et la CAQ disent maintenant qu’elles voteraient pour le PQ, mais qu’elles peuvent encore changer d’idée?

Pour ça, il va falloir aller fouiller dans les réponses à la question du deuxième choix… à suivre!

Données sources

Vous pouvez consulter le tableur qui a permis de faire les graphiques sur Google Spreadsheets.

Notes